Pysch'Inté

Table des matières

Chapitre 5 : Corpus théorique pour corps thérapeutique

EMPRUNT SYNCRETIQUE

Dans un premier temps, ce sauvetage s'est fait principalement par l'emprunt syncrétique. Par là. J'entends le recours à un corpus théorique déjà existant et qui semble pouvoir servir de cadre à la nouvelle praxis somatothérapique. L'emprunteur découvre un certain parallélisme entre sa pratique et la théorie concernée et lui attribue une fonction explicative de cette pratique. Il s'agit même peu à peu d'une justification et d'une validation. Nous pouvons illustrer cette démarche par trois lieux d'emprunt principaux :
-   les sciences bio-physiologiques et neurosciences,
-   la métapsychologie psychanalytique
-   et les sagesses orientales.
 
Emprunts a la bio-physiologie
La synergie est évidente : les somatothérapies travaillent au niveau du corps, donc tout ce qui vient de la biologie et de la physiologie est pain béni. Freud lui-même pensait que la biologie allait tout expliquer un jour et rendre la psychanalyse caduque ! Alors pourquoi se priver ? Toute connaissance qui pourrait expliquer de près ou de loin ce qui se passe au niveau bio-physiologique pendant le travail somatothérapique peut devenir la théorie explicative de cette somatothérapie. Certains auteurs ont sauté sur l'aubaine. Henri Laborit a décrit une voie nerveuse «inhibitrice de l’action» et l'on s'en est servi pour théoriser le travail d'expressivité : libérez vos émotions. Les neuroendocrinologies ont découvert les endorphines, des morphines cérébrales qui font jouir comme la drogue elle-même. Qu'à cela ne tienne, le cri primal fonctionne à ces endorphines là : quand on crie, de façon primale, on libère des endorphines et c'est bon pour la santé.
Il est un autre emprunt, plus commun, plus ancien aussi, qui se fait largement, c'est celui du cerveau de Mc Lean avec ses trois étages : cerveau archaïque, cerveau émotionnel, cerveau intellectuel. La tentation tendait des bras séducteurs : le travail sur le corps et les émotions reconnecterait les trois étages du cerveau. Le parallélisme est évocateur. Plus tard se sont précisées les deux fonctions opposées et complémentaires des hémisphères droit et gauche, associatif et dissociatif : là encore l'évocation se fait persuasive.
En réalité, ilne s'agit que de parallèles, que de descriptions qui ont des airs de ressemblance. L'insistance sur ces coïncidences voudrait arracher un effet d'explication : «voyez que les effets du cri sont biologiques »... Les développements donnés aux aspects bio-physiologiques voudraient évoquer une validation des pratiques corporelles : « puisque c'est physiologique, c'est donc vrai et efficace ». Comme psychiatre, je connais bien ces incursions dans les sciences dites exactes. Chaque année, on m'annonce un nouveau marqueur de la schizophrénie, une tache rosée dans les urines, ou une déformation d'unerégion de l'encéphale. Vue au scanner, elle renforce le crédit des causes organiques, pour trois mois… puis on se rabat à nouveau sur les valeurs sûres, la correspondance Freud-Ferenczi par exemple.
Il ne faut évidemment pas rejeter ces compléments d'information venant des sciences anatomo- bio-physiologiques. Mais il faut toujours garder à l'esprit que :
-        ces sciences dites exactes sont en plein développement et que la vérité d'aujourd'hui est modifiée sinon contredite demain ;
-        elles ne disent que des généralités dans un réductionnisme maximal qui n'envisage plus que des « organes », ce qui exclut toute approche de la personne singulière et de sa complexité telle qu'elle se présente en somatothérapie ;
-        enfin, même au paroxysme de la gloire d'une nouvelle découverte bio-physiologique, la relation de cause à effet avec la thérapie n'est jamais établie... scientifiquement.
Il y là effet d'interprétation, mais pas de scientificité...
 
Emprunts à la psychanalyse
Alors on se rabat sur les valeurs sûres, sur le comportementalisme, actuellement magnifié par le cognitivisme, sur le systémisme et surtout la psychanalyse. Cette dernière s'avère toujours encore le corpus le plus ancien — cent ans — le plus développé, le mieux connu et le plus proche de la somatothérapie. N'ai-je pas moi-même appelé ma propre création « somatanalyse » ? Et l'on s'approprie ses concepts, qui de l'inconscient, qui de la pulsion, de l'Oedipe et autre scène primitive. Et l'on se doit de verbaliser, d'interpréter et de respecter la neutralité. On se demande même s'il ne faut pas renoncer à nouveau au toucher ! N'oublions pas l'imaginaire, le symbolique et le réel, dans sa trilogie lacanienne qui fait du corps, relégué dans le réel, quelque chose d'absent.
            Evidemment, en vertu de la « loi d'équivalence fonctionnelle », les psycho-, socio- et somato-thérapies reposent sur les mêmes processus fondamentaux. Aussi les principes de base si bien étudiés en psychanalyse s'appliquent-ils à la somatothérapie en tant que cure psychothérapique. Le praticien aguerri, à l'aise avec le travail corporel et familier des concepts psychanalytiques, jongle utilement avec les concepts freudiens et s'en sert avantageusement pour constituer ses grilles de lecture clinique. Mais...
Mais, là encore, il faut s'astreindre à une grande prudence et respecter les principes de l'épistémologie, en particulier la règle fondamentale selon laquelle un concept n'est vraiment pertinent que dans le cadre de son lieu de découverte. Or la psychanalyse est un lieu sans corps, un lieu de «représentation » du corps, alors que la somatothérapie est le lieu du corps agi, du corps réel, vécu.
Aussi, même si les processus thérapeutiques se rejoignent, les concepts sont déjà éloignés de par leur origine. Ainsi de l'inconscient. J'ai entendu récemment un praticien de l'hypnose ericksonnienne insister sur «l'accès direct à l'inconscient» que lui donnerait sa méthode: «suivez la flèche, à gauche, puis tout droit ; vous avez gagné, il est  là ! » Or l'inconscient n'a que deux définitions scientifiques :
-        une définition heuristique : l'inconscient est ce qui advient sur le divan de la psychanalyse;
-        une définition étymologique : l'inconscient est inconscient, ni vu ni connu, n'en parlons plus sauf... dans un effet d'interprétation.
On en arrive ainsi à des expressions aussi dangereuses que : « image inconsciente du corps » et « moi-peau ». Ces deux concepts remettent certes la psychanalyse au goût du jour; le corps est à la mode. Mais elles vident la somatothérapie de sa substance même : si le corps n'est plus qu'une image, à quoi bon le faire bouger, respirer, crier. Si la peau est une abstraction comme le « moi », à quoi bon la toucher ? Et je n'oublie pas que ces deux expressions ne sont que des concepts... Mais, justement, pour la somatothérapie, le corps n'est pas qu'un concept.
 
Emprunts aux sagesses orientales
Tous les somatothérapeutes ne baignent pas uniquement dans l'ambiance médicale ou psychanalytique. Ils voyagent aussi, en véritables citoyens du monde. Ils s'intéressent aux autres cultures, à l'Orient plus particulièrement. Ils y trouvent des sagesses, la Sagesse, pour eux puis pour les autres. Ils adoptent, adaptent et partagent. Ils en font bientôt des théories aptes à soutenir leurs pratiques. Très souvent il ne s'agit que d'un pragmatisme sociétal : les sagesses orientales rencontrent le besoin des Occidentaux de sortir de l'activisme industrieux. Les somatothérapeutes ont beaucoup contribué à l'avènement du new age ; certains s'y consacrent corps et âme. D'autres y vendent leur âme, contre monnaie sonnante et trébuchante.
Ce qui nous intéresse ici, c'est la transformation de cette ambiance existentielle en théories qui s'annexent de façon aussi syncrétique que les autres savoirs évoqués ci-dessus. Il s'agit alors de véritables corps de doctrine qui se présentent comme des corpus explicatifs et validants. Je ne voudrais évoquer ici que deux exemples suffisamment circonscrits pour faire image, les théories de la re-naissance et des vies antérieures. Elles sont bien occidentalisées maintenant mais découlent de l'influenceorientale qui a marqué ses promoteurs.
Le vécu de re-naissance est postulé par la thérapie respiratoire appelée « rebirth ». Pour des raisons physiologiques simples - ferais-je du syncrétisme bio-physiologique ? - l'hyperventilation du rebirth introduit aux images familières du tunnel noir débouchant sur une lumière éclatante. Il suffit d'y transposer la filière utéro-vaginale pour évoquer le souvenir de la naissance et d'ajouter la prétention d'immortalité comme le fait le créateur du rebirth pour être dans l'Orient éternel.
D'autres développent l'image et accèdent aux « vies antérieures ». Leurs images mentales en sont réelles et leur reproduction ne pose pas problème : les praticiens de la «régression» se multiplient et garantissent le Moyen-Age, l'Egypte Ancienne ou l'Atlantide. C'est là que les traditions orientales ajoutent leur expérience millénaire à ces vécus subjectifs, fonctionnant ainsi comme autant de garants théoriques.
Le tour est joué. C'est une théorie. Renaissance ou vie antérieure expliquent, justifient et valident les thérapies respiratoires et régressives. On en sourirait si... les emprunts à la bio-physiologie et à la psychanalyse ne fonctionnaient pas de la même façon :
-        pour la praxis, il y a effet de sens, donc globalisation du vécu dans le corps, la relation (au thérapeute) et la tête ; ça permet de faire marcher la thérapie ;
-        mais pour la théorie, il n'y a qu'emprunt d'un corpus venu d'ailleurs,
d'une cotte mal taillée que toutes les retouches ne rendront jamais seyante.
 

    Haut de page

    << Section précédenteTable des matièresSection suivante >>