Première partie : l’intégration de méthodesRecombinaison en
un nouveau système thérapeutique
Un exemple de recombinaison
socio-somatanalyse, psycho-somatanalyse, auto-somatanalyse
Introduction : une pragmatique de l'éclectisme intégratif
La somatanalyse est un bon exemple de la deuxième étape du mouvement intégratif, à savoir de la combinaison de deux ou trois méthodes déjà existantes. Ici il s'agit de la psychanalyse (groupale et individuelle), du NIP (New Identity Process de Daniel Casriel) et du travail émotionnel et corporel. Il s’agit de plusieurs somatothérapies pour la Présence Juste. Par contre, j'ai adopté dès le départ le doute systématique quant aux théories, me laissant toute latitude d'extraire directement de nouvelles connaissances de ces véritables laboratoires expérimentaux. La somatanalyse est évidemment aussi une histoire personnelle qui m'a fait rencontrer et choisir tel ou tel formateur, telle ou telle façon de travailler, telle ou telle méthode plus ou moins connue.
Je parle longuement de cette histoire dans mes écrits précédents. Mon premier livre, « Le corps aussi, de la psychanalyse à la somatanalyse » (Maloine 1982) comprend tout un chapitre de cette…errance de morceaux de puzzle en premières figures d'assemblage. Je sortais de psychanalyse (lacanienne), je continuais par une psychothérapie analytique de groupe (verbale) et tombai sur le New Identity Process ( NIP décrit plus loin). Je proposais cette dernière thérapie de groupe à mes premiers patients ( en 1976) qui s'empressèrent de saboter le côté comportemental de la méthode et, après deux ans d'adaptation et d’accordage, je me retrouvai dans une thérapie de groupe corporelle et analytique qui ne pouvait s'appeler que…somatanalyse en 1978. Ce nouveau terme était tellement évident qu'il a été refusé par l’INPI… Il faisait déjà partie du patrimoine de l'humanité ! Il devint socio-somatanalyse quand s’adjoignit le cadre individuel appelé psycho-somatanalyse. J'avais progressivement combiné la psychothérapie analytique, le NIP et le travail corporel, sans intention de la…donner. Mes patients me l'ont imposé tout comme une analysante avait obligé Freud à « se taire et à écouter ». Mais il y avait évidemment une intention plus fondamentale au départ : réunir psycho- (le verbe), socio- (le groupe) et somato- (le corps) pour déboucher sur holanthropo- (l’être plénier). Et cela est réussi. J'ai accompagné un groupe de patients, fermé à renouvellement lent pendant 25 années à raison d'un week-end toutes les trois semaines. Pris entre la théorie psychanalytique et le pragmatisme comportemental, je ne pouvais que m'abstenir dans un véritable doute cartésien. Le résultat en est appréciable puisqu'il me fut donné d’observer les fondements mêmes de la dynamique de groupe qui s'auto-organise en quatre étapes : conflit, sécurité, consensus, don. J'en parle longuement ci après. J'y ai déniché aussi toute la richesse du travail émotionnel qui a évolué de la classique catharsis vers « l'expérience plénière », modèle même du processus thérapeutique. Mais pourquoi avoir commencé par le travail de groupe ? Mon cabinet de psychiatre m'offrait toutes les conditions de travail à part celles du groupe et du travail émotionnel intensif (en décibels et mouvements). Avec ces deux modes et lieux de travail en plus, je pouvais répondre à tous les besoins découlant des différents « facteurs organisateurs » de la psychothérapie. Dans mon cabinet, je pratiquais aussi la psychanalyse freudienne jusqu'à ce que je…n’y trouve plus mon compte. Je m'endormais dans mon fauteuil mais jouissait de deux qualités palliatives : je ne ronflais pas et me réveillais avant la fin de la séance. J'ai arrêté la psychanalyse orthodoxe. Après quelques années de privation d'un cadre analytique individuel, s'est mis en place le cadre de la psycho-somatanalyse, spontanément en deux étapes successives : coller le fauteuil à mi- hauteur du divan puis laisser partir la main sur l’épigastre du patient qui redevenait à nouveau un…analysant. Une psychanalyse se créait qui intégrait le corps avec ce contact tactile systématique. Je l'ai décrit dans des articles de la revue Somato que j'ai réunis en un chapitre des «Nouvelles Professions Psy » en 1999. Plusieurs cures prolongées sont décrites dans d'autres écrits et trois sont présentées ici. La proximité des protagonistes et le contact tactile rapprochent ce cadre de travail des propositions de Ferenczi, Balint et Winnicott, permettant aussi les régressions aux étapes archaïques grâce à l'enveloppement affectif. La longue expérience du corporel, de l'analytique et du transférentiel m'a permis de mener de nombreuses cures en psycho-somatanalyse dès le début du soin et sur de nombreuses années. Par contre, avec mes élèves, je propose la cure analytique seulement après 12 à 18 mois, en commençant par des séquences de trois puis de six mois en somatanalyse, analyse reichienne, pneumanalyse, groupe analyse puis en psycho-analyse pour terminer. Car l'intensité de la relation transféro-contretransférentielle est grande et nécessite une expérience profonde qui ne vient que progressivement. Là encore le doute théorique systématique m'a amené à de belles découvertes et élaborations, en particulier dans les domaines dits transférentiel et inconscient. Le transfert passe progressivement de la névrose de transfert qui fait résistance jusqu'au pur processus affectif qu'est l'amour authentique, processus pur de structure et inconscient. Mais cette absence de structure fait aussi sa difficulté tout en étant la plus grande richesse de l'humain. L’amour doit devenir ressource fondamentale, processus constituant, vécu inconditionnel : « j’aime, quelles que soient les conditions que je trouve en face ; mon bonheur c’est d’aimer, ça rayonne autour de moi, t’en veux, t’en veux pas, moi j’aime et basta ».C’est cela Ferenczi, Balint, Winnicott et même Otto Rank. Mais le transfert a été reconnu par Freud comme « creuset de la thérapie ». C'est au feu de l'affectif que la cuirasse musculo-caractérielle et les résistances rigides sont rendues malléables et que l’être se laisse travailler comme dans une forge. Nous verrons cela plus loin. Voici d'où vient notre titre. C'est encore en référence à Freud. Il proposait l'alliage de l'or pur de la psychanalyse et du vil cuivre de la psychothérapie. (De nos jours, les valeurs se sont inversées !). Le creuset qui peut réaliser cet alliage n'est autre que celui de l'amour. 70 % de l'efficacité du thérapeute / analyste repose sur sa personnalité propre, à savoir sur la qualité de la relation qu’il peut établir avec le patient, c'est-à-dire sur…l’amour, au sens large : transfert, consensus, attachement, amour conditionnel puis inconditionnel. « L'or et le cuivre, au creuset de l'amour ». Revoilà notre puzzle. Mais il ne s'agit plus d'une simple pièce. C'est l'un des aspects de l'image finale qui se précise. L'intégration c’est la chaleur, la lumière, l'amour pour le patient, pour soi-même, pour la planète. La psycho-somatanalyse, partie d'un besoin d'intégration, débouche sur le creuset de la psychothérapie, l'intensifie, l'enrichit, le rend définitivement créatif même si une extrême prudence s'impose. Voici peu à peu l'image du puzzle. Pour l'auto-analyse que représente principalement la «Présence Juste », l'élaboration fut tout aussi spontanée, en solo comme il convient. J'étais seul sur un télésiège au-dessus d’un ravin quand il s'arrêta. Cinq minutes pour admirer le paysage. Cinq autres pour m'inquiéter. Puis, pour ne pas angoisser, j'ai appelé à la rescousse des pratiques somatothérapiques : relaxation, expansion dans l'espace, éveil énergétique, sophrologie, visualisation, méditation, jusqu'au départ du télésiège, presque à regret. Nous aurons un très long texte qui propose à la fois le protocole détaillé, la phénoménologie de la présence et le processus sensational. Un beau cadeau m'arriva là aussi : après quelques années de pratique, l’éveil énergétique se fit subitement tel que décrit par les orientaux pour la kundalini. Je n'avais rien demandé. L'intégration l’a fait. Actuellement je simplifie le protocole pour les élèves afin de leur faire acquérir à la fois des techniques précises et un ensemble plein et plénier. Pour le premier cycle, la progression se fait à travers cinq méthodes connues et validées : training autogène de Schultz pour la relaxation globale, musculaire et viscérale ; méthode de Mathias Alexander pour corriger la posture du haut du corps, pour ouvrir le dos et la nuque ;
expansion dans l'espace de l’haptonomie pour élargir et assouplir l'enveloppe musculo-caractérielle et diminuer les défenses ;
éveil énergétique de bas en haut, en sensations, vibrations, couleurs et mouvement interne dans les sept centres reichiens ou chakras jusqu'à circulation fluide ;
descente de l'énergie sur la face antérieure du corps, d'organes sensoriels en centres de communication, apparentée à la sophrologie.
On détend, on élimine les blocages pour solliciter l'éveil énergétique ascendant et descendant. Rempli de cette plénitude sensationale, on visualise les relations avec les autres, on se situe en éthique, planète et univers… Voilà cette troisième intégration tombée du ciel - des Deux-Alpes - mais préparée par l'acquisition préalable de cette pluralité de pratiques.
Quant à toutes les trois, de somatanalyses, la socio-, la psycho – et l’auto-, elles constituent le coeur de la formation intégrative, plénière. Elles font aussi le menu exclusif d’une spécialisation de 28 jours en dernière année de formation. Mais elles s’intègrent très volontiers avec les thérapies courtes et les psychanalyses. Les voici, avec un protocole précis, des cas cliniques et des élaborations théoriques, en particulier de la dynamique de groupe et de la présence. Première des trois somatanalyses, esquissée dès 1976, la socio- a intégré le groupal et l'émotionnel intense à ce que je pratiquais déjà en individuel et en plus soft. Nous verrons ici : le protocole, immuable depuis 30 ans,
le processus émotionnel, amenant l'expérience plénière,
et, surtout, la dynamique sociale.
Le social, c'est un tiers de notre vie, à côté de psycho- et de somato-. Le social prend de plus en plus de place dans notre société moderne, en contrepoint de l'individualisme lui aussi en développement. Notre observation nous amène à postuler la séparation radicale des processus sociaux et des processus individuels. Contrairement à la psychanalyse, la socio-somatanalyse se refuse d'extrapoler les uns des autres. Aussi ne peut-on vraiment expérimenter la dynamique sociale qu’en…groupe, et dans un groupe intégratif, psycho- et somato-. Pas d'inconscient groupal ici, pas d'appareil psychique de groupe, pas d’illusion groupale… L'achèvement de la dynamique de groupe ne se fait pas dans un « consensus » qui deviendrait étouffant mais dans le « don ». Et c'est à ce don que doit aussi arriver l’humanité si elle veut…survivre.
Comment intégrer pratiquement le corps dans un groupe analytique où ne se proposent pas des exercices comme dans les autres thérapies psycho-corporelles ? Comment permettre à toutes les fonctions corporelles (une bonne douzaine) de s’exprimer et de se manifester sans injonction du thérapeute ? En proposant des cadres organisationnels, des settings bien établis, qui permettent que cela advienne : au patient d’en prendre l’initiative. C’est ainsi que la séance de socio-somatanalyse présente quatre cadres successifs, analytiques, non directifs, chacun d’entre eux permettant à des fonctions spécifiques de s’exprimer.
La séance de socio-somatanalyse :
-réunit 8 à 18 personnes,
-dure de 3 à 4 heures,
-peut se répéter pour des ateliers résidentiels de 2 à 3 jours, englobant l’une ou l’autre séance de somatothérapies
-se constitue de 4 séquences :
-grand groupe verbal en position assise (1 à 2 heures),
-groupe rapproché vocal à genoux, en se donnant les mains (15 à 30 minutes),
-couples de travail émotionnel sur un matelas ou isolement méditatif (45 à 60 minutes),
-grand groupe d’analyse, assis-allongé (20 à 40 minutes).
Le passage d’une séquence à l’autre se fait à partir de la dynamique de groupe elle-même et/ou du timing.
Le travail émotionnel.
Ici se manifeste toute la spécificité de la méthode analytique freudienne. Chacun de ces cadres suscite les manifestations correspondantes, pour peu que l’analysant veuille les manifester :
- le grand groupe verbal met à jour le discours verbal tel qu’il peut advenir dans un groupe de 8 à 18 personnes ; l’état de la congruence du discours individuel avec l’ambiance du groupe est primordial : ce dernier écoute ce qui fait écho et méconnaît ce qui est “idiot” (pas en phase avec la dynamique du groupe) ;
- le groupe vocal permet toutes les modalités de la voix, du murmure méditatif jusqu’au cri primal en passant par le chant, le rire, les sanglots, à l’unisson ou en cacophonie ; il s’y ajoute la respiration, la posture, la tension musculaire, la mimique, les états de conscience ;
- le travail allongé sur le matelas encourage à entrer dans l’expérience de l’émotion dans laquelle toutes les fonctions corporelles collaborent (en particulier le mouvement) et tous les états de conscience défilent ; il s’agit là du temps fort de la séance de socio-.
L’intérêt majeur de ce cadre analytique réside dans le fait qu’on ne travaille pas l’une ou l’autre fonction isolément mais qu’on privilégie les fonctions globales qui connectent un maximum de fonctions simultanément et que nous appelons “ fonctions plénarisantes ” émotionnelle, affective, consensuelle, énergétique, véridique. Ce travail dit « émotionnel » a été longuement décrit analysé et théorisé dans mes livres précédents. Nous n’y insisterons pas plus ici.
La dynamique de groupe
Cette “socio-” privilégie évidemment la dynamique de groupe. Deux heures de discours, palabre, parlotte parfois, où la parole ne circule qu’à un exemplaire à la fois (contrairement au travail vocal, qui laisse la place à tous les participants à la fois) suscitent des dynamiques de groupe intenses, riches, exemplaires, qui se structurent peu à peu en véritables psychodrames dont la mise en scène est totalement spontanée. Plus l’analyste est abstinent, plus ces sociodrames révèlent l’authenticité de chaque participant.
Vingt cinq années d’expérience m’ont amené à formuler les trois lois suivantes :
-tout discours individuel est informé par la dynamique du groupe (ses besoins, sa préoccupation du moment, son ambiance, sa culture) et donne à comprendre où en est cette dynamique du groupe ;
-le discours individuel auquel le groupe fait écho est celui qui traduit le mieux la préoccupation du groupe ;
-le problème posé par le groupe trouve sa réponse non dans le contenu des discours mais dans le psychodrame qui se met en scène autour du thème qui est repris par le groupe.
Par ailleurs, le groupe s’organise avec ses rôles classiques de leader, éminence grise, bouc émissaire, suiveur, médiateur, etc.conflit → sécurité → consensus →don
En une cinquième séquence, l’analyste restitue les tenants et aboutissants du psychodrame central, en en déduisant les règles (universelles) de la dynamique des groupes (quels qu’ils soient) et le rôle particulier de chaque participant dans cette dynamique. Ce discours de restitution est un discours en recul, parce qu’il décrit les mécanismes sociaux qui sont parfois cruels, souvent décapants, au-delà de l’obséquiosité de façade. Ce que Freud n’a voulu voir que sur le tard, à savoir la pulsion de destruction, s’expose ici au grand jour, pour peu qu’on veuille voir. La rigueur de l’analyse doit contribuer à dessiller les yeux trop naïfs. J’ai choisi d’aborder ici très réalistement le point de départ de tout groupe, à savoir le conflit qui y apparaît entre les intérêts du groupe et les intérêts de l’individu. Le fait de réagir ou non à telle ou telle prise de parole individuelle est déjà une violence exercée par le groupe contre celui dont on ignore la demande de parole. Et quand celui avec lequel on a dialogué comprendra plus tard que c’est pour régler le problème du groupe à travers lui, il verra aussi combien la société l’aura instrumentalisé.
Tableau 4 les quatre étapes de la dynamique de groupe Construite sur un setting analytique strictement cadré -ce qui donne les références pour l’analyse- cette séance de “socio-” se laisse aussi adapter à une utilisation plus directive lorsque la pathologie des participants l’exige, ce sera alors une “sociothérapie somatanalytique”. Voici la séance de socio- qui prend traditionnellement place lors de la dernière matinée d’un week-end de formation. Il s’agit ici d’une promotion regroupant seize élèves de première et deuxième années de formation. Comme il s’agit d’enseignement, je propose parfois un sujet qui continue le thème de l’enseignement général. Aujourd’hui il s’agit de la présence plénière : “suis-je là, entièrement là, pleinement, et sans autre ? “
Le grand groupe verbal
Après un silence de trois minutes, Mme D., une femme de la quarantaine, commence à relater les véritables états de grâce qui illuminent sa vie, de plus en plus souvent, depuis une expérience mémorable au spectacle d’un coucher de soleil en Grèce, en communion avec son mari. Elle se sent elle-même, pleinement, dans une grande volupté, avec la conviction d’être vraie, en connexion avec l’alentour et l’entourage. Aujourd’hui, ici, ce n’est pas le cas même si elle est “là“. Mr C. enchaîne, lui le fanatique de la moto qui a fait le désert et a “décollé“ dans l’immensité, avec un vécu assez proche de celui de Mme D. Puis il a beaucoup baroudé pour retrouver la même extase jusqu’à ce que ça lui arrive... à Strasbourg, un dimanche matin, sur le tatami. Mme B., une femme de trente cinq ans, nous raconte comment, à dix ans, en regardant le ciel, elle a également été aspirée dans cette félicité. Elle veut dialoguer avec Mme D. qui répond: “non, non non, ... enfin ... si, oui“. Mme B. relance le dialogue et tombe sur un “ mais... oui, bon, oui oui “. Elles décrivaient quasiment la même chose et pourtant une opposition de principe est venue : “non, mais... bon, oui, oui !“
Une demi-douzaine d’expériences extrêmes se sont encore racontées jusqu’à la typique Expérience de Mort Imminente lors d’une anesthésie pour biopsie du foie. L’écoute était entière, respectueuse, bienveillante, jusqu’à ce que Mme J., silencieuse jusque là, murmure, après un petit silence : “je ne comprends rien à ce que vous dites, je ne sais pas de quoi vous parlez“. Mme J., psychologue de quarante cinq ans, a été baptisée la “femme heureuse“. Sa répartie est étrange. Les autres essayent d’expliquer, de détailler, jusqu’à ce que Mme J. vende la mèche : “Mais moi je suis toujours -ou presque- dans cette pleine présence, quoi que je fasse, je n’ai pas besoin d’extase ou de vision“. Mme M., elle aussi silencieuse, renchérit : “Moi je me trouve ainsi quand j’épluche les légumes pour préparer la soupe ; j’appelle cela la joie“. Elle est psychologue aussi et... femme au foyer. Dans le dernier quart d’heure, le groupe réussit encore à faire communiquer les derniers récalcitrants. Seule Mme M., recroquevillée dans son coin, fond en larme et reconnaît qu’elle ne voit rien de tout cela, tellement elle est inhibée.
Le groupe rapproché vocal
Le timing me fait proposer le groupe rapproché vocal. Nous nous rapprochons en cercle, nous nous mettons sur les genoux et nous donnons les mains, yeux fermés. Silence. Petits sons. Je m’essaye à des intensités plus fortes pour provoquer mon éveil énergétique grâce à l’ébranlement vibratoire. Ça marche, ça descend dans le ventre avec les sons graves, ça titille le crâne avec les sons aigus. Ça s’éveille aux deux pôles et se connecte. Mais les autres restent aux vocalises plus douces. Il n’y aura pas de cri ce matin.
Il y avait seulement une brève esquisse de chahut, un défoulement de potaches. Deux hommes dont Mr C., le baroudeur, ont lancé des taquineries, en particulier vis-à-vis des femmes. Mais le groupe n’a pas suivi.
Le groupe éclaté primal
D’ailleurs les gens partent l’un après l’autre jusqu’à un dernier “groupion vocal “ qui finit par se passer les bras sur les épaules et constituer un pack des plus intimes qui ondule consensuellement. Dans la salle il n’y aura pas de travail émotionnel bruyant, seulement du travail méditatif.
Le grand groupe convivial
Quand tout le monde revient au “ petit salon “ pour la quatrième séquence, je repose encore ma question : “suis-je là, entièrement là et seulement là ? “. Silence. J’appuie là où ça coince : “ Celui qui a quitté le groupe rapproché, a-t-il pris cette décision en plein accord avec lui-même ? Ne serait-ce pas pour fuir le travail vocal qui aurait pu devenir trop bruyant, pour échapper à l’obligation du cri ? Était-ce avec un projet bien précis et pleinement assumé ? “ En effet, ce moment de quitter le groupe, où chacun est renvoyé à lui même, est très révélateur. Mme D., la femme au coucher de soleil, avoue qu’elle n’a jamais crié en dix huit mois de formation, qu’elle a horreur de ça, qu’elle fuit le groupe vocal. Dans le privé, elle a peu de colères ; quand il lui en vient une, elle garde une froide maîtrise, assène des paroles assassines puis part dans la nature pour se vider de son stress. Hic jacet lepus ; on a débusqué le lièvre ! “Ça, ce n’est pas plénier, c’est même franchement clivé : je bloque l’émotion pour affûter une réplique, puis je plante l’autre là et vais liquider l’émotion ailleurs” lui dis-je. Il m’est évidemment facile de préciser ce qu’est le moment plénier, qu’il ne se résume pas aux expériences paroxystiques évoquées au départ, qu’il serait plutôt proche de la soupe aux légumes. C’est un processus et non un contenu, tantôt agréable et tantôt désagréable. Il est tellement facile de cliver ou d’amalgamer (je veux du bon à tout prix). Et le cri lui-même n’est pas nécessairement douloureux ou colérique ; on peut s’exercer à se servir du cri pour se charger énergétiquement, comme le font les fans du Racing Club de Strasbourg...
La socio- de ce matin là a donné aux élèves deux enseignements : comment fonctionne une socio- et ce qu’est la Présence Plénière, live !
On aurait pu penser que le thème de la présence et le démarrage de l’échange avec une expérience paroxystique si voluptueuse entraînent rapidement le groupe dans le lien consensuel. Ce n’était qu’apparence. Il aura fallu revenir au conflit (vécu paroxystique contre joie de la soupe aux légumes), il aura fallu tester les rôles sociaux avec les plaisanteries de potache et la sollicitation des membres planqués dans leur silence, avant que ne s’installe plus profondément le consensus. Et encore, il n’y aura pas de signes très probants de “don“, pas de thérapeutes (élèves) pour accompagner spontanément d’autres élèves “patients”. La proposition du thème - si généreux - par l’analyste ne permet pas de faire l’impasse sur les étapes de la dynamique de groupe qui passe par les quatre étapes : conflit → sécurité → consensus → don.
Sociothérapie courte La socio- a été inspirée par une thérapie de groupe cognitivo-comportementale, à savoir le New Identity Process de Daniel Casriel, psychiatre et psychanalyste newyorkais, qui se résume en deux outils majeurs (le cri et le contact) et trois niveaux d’intervention : ABC (A attitude, B behaviour ou comportement, C cognition). Dan (Casriel) pouvait intervenir très directement en disant : “ton attitude (ou comportement ou principe de vie) ne convient plus à une personne de ton âge et dans ta situation ; c’est autrement qu’il faut faire ; pour y arriver, cherche-toi un partenaire et crie”. Cette forme originaire est très utile et efficace pendant les premières séances d’une groupe-thérapie, pendant lesquelles il s’agit de parer au plus pressé, aux souffrances les plus vives, aux inadaptations criantes qui mettent en péril la survie, aux réactions exagérées qui empêchent la vie du groupe ou à tel membre d’y rester. Il s’agit de ce qu’on appelle ailleurs thérapie “en” groupe où l’on pratique le travail individuel devant les autres, tout en comptant sur le “conditionnement vicariant” à savoir la contagion et l’imitation. D’autres apports - plus soft - nous viennent également des méthodes cognitivo-comportementales pour constituer une première séquence de la cure groupale : une vingtaine de demi-journées ou trois à quatre ateliers de week-end sur six à huit mois par exemple. C’est la séquence “symptômatique” et directive où les somatothérapies structurées prennent une large place. Socio- somatanalyse longue La véritable socio-somatanalyse, telle qu’elle est présentée ci-dessus, est une forme analytique pure qui se propose pour des cures de plusieurs années dans un groupe ouvert à renouvellement lent. C’est la troisième séquence de la cure groupale calquée sur la cure séquentielle individuelle. Sociothérapie somatanalytique Il reste, entre ces deux séquences extrêmes, à organiser la sociothérapie de durée moyenne (1 à 2 ans), qui sera mi-directive, mi-analytique. A cet effet il est utile de s’inspirer de l’apport systémique qui, venant du système familial, a évidemment beaucoup à nous apprendre sur le système groupal. Constructionisme social Le grand courant systémique et familial a dépassé sa seule dimension cybernétique (la première), pour s’ouvrir à des dimensions plus complexes, plus intégratives. Il accède peu à peu au constructivisme (sans oublier la déconstruction de J. Derrida), au constructionisme social, et même à un constructionisme radical (Elkaïm 1995). Ces termes évoquent quelque chose d’essentiel que les neurosciences nous confirmeront ci-après à propos de la conscience qui est “unitaire, intégrée et construite” (Edelman 2004). Ces modèles théoriques nous montrent qu’il y a un effet de “construction” de par la progression du groupe vers l’excellence (du consensus et du don). Le participant se transforme fondamentalement - et imperceptiblement - de par la métamorphose sociale elle-même : Mais - et voici le constructionisme social tel que nous l’intégrons ici. - le groupe ne fait pas que reconnaître un état individuel qui serait déjà là, préformé. Le groupe “construit”, favorise, accélère, amplifie cette progression. C’est lui qui fait de son membre un rôle, une personne puis un individu créateur, progressivement, lorsqu’il passe lui-même de la masse à la société puis à la culture et à la civilisation, et qu’il utilise des modes de réglementation de plus en plus humanistes, oubliant la force et la loi pour se fonder sur la morale puis en éthique. Et nous verrons plus loin que cette dernière est foncièrement inscrite au cœur de l’être humain, dans ses “purs processus inconscients”, comme Edgar Morin nous le rappelle dans “Ethique, la méthode, 6” (Morin 2004). Les principes du constructionisme social ne sont pas nouveaux en soi et se révèlent un peu partout comme dans cette étude faite à l’Education Nationale. On se rend compte qu’il n’y a pas tout simplement des bons et des mauvais élèves, mais que le groupe scolaire participe au façonnement des élèves en bons et en mauvais. Pascal Huguet a conçu une expérimentation éclairante. Il demande d’observer puis de reproduire une figure complexe, dans une classe de 6ème qui est répartie en deux sous-groupes : Marie Christine Piatkowski propose depuis longtemps un exercice similaire en musicothérapie. Elle fait dire les prénoms sous toutes les intonations possibles puis elle les fait chanter. Dans la première séquence, parlée, plein de rôles plus ou moins agréables se manifestent en association avec des interpellations par les partenaires du passé ; dans la seconde, chantée, c’est le bonheur, la créativité vocale pure et la réconciliation avec son... prénom. Dans les deux exemples - scolaire et musicothérapique - la première séquence est sociale (apprendre et interpeller) et fixe donc les “rôles sociaux”, la deuxième séquence est artistique (dessiner et chanter) et éveille les talents créatifs de l’individu. Par conséquent, le sens de “l’analyse” tel qu’il est conçu dans la somatanalyse n’est pas seulement d’observer pour renvoyer tous les péchés du monde, il est de défaire, dissoudre, (ana-luo, comme en chimie) les obstacles qui empêchent le groupe de progresser vers le meilleur et d’offrir à ses membres l’optimum de l’être. L’analyse est déconstruction (dérridéenne) des rigidités sociales pour promouvoir un constructionnisme social. Nous ne sommes plus dans la cybernique (la première) un peu froide, mais dans une position positive qui est celle-là même de la vie, et du groupe social tout autant. La vie progresse, il suffit de la rendre à sa dynamique naturelle. A cet effet, le socio-somatanalyste entre dans “l’alliance thérapeutique”, dans “l’alliance thérapeutique à tonalité affective positive” (Green et Herget in Elkaïm p.520) dans la “résonance” de Mony Elkaïm (Elkaïm 2004). Il ne reste pas dans le “rôle social” de l’observateur, mais participe au “consensus”, y met le cœur et les mots, puis entre dans le “don” au risque de voir chamboulées ses attentes, bien qu’il ne devrait pas en avoir. Nous ne sommes plus dans la neutralité du psychanalyste. Nous aménageons même le cadre pour proposer au groupe et aux individus le meilleur “accordage” possible. C’est un des aspects de la “position positive” qui définit le psychothérapeute plénier. On peut représenter ce nouvel apport du systémisme par des schémas qui marquent les principales étapes de ce courant psychothérapique :
schéma 2 de la cybernétique au constructionisme
C’est ainsi que le constructionisme social s’intègre à la socio-somatanalyse et permet de compléter la cure sociothérapique séquentielle : Un mouvement d’auto-organisation autour d’une tâche
qui mène du conflit à la sécurisation, au consensus et au don.
Dès que quelques personnes se réunissent autour d’une tâche à accomplir, s’anime dans ce groupe un mouvement d’auto-organisation qui passe par des étapes que l’on peut généraliser à tout groupe quelle que soit sa constitution pour peu que son existence soit assez longue autour de cette tâche.
Notre réflexion s’extrait de l’observation du groupe thérapeutique de socio-somatanalyse qui a duré vingt cinq années comme un groupe fermé à renouvellement lent, dans lequel les patients pouvaient rester pendant des années, et des groupes de formation de psychothérapeutes pléniers qui durent trois années (de 28 jours chacune) avec renouvellement restreint à chaque rentrée annuelle.
Contrairement à la plupart des psychanalystes étudiant les groupes, dont Freud et Bion par exemple, les socio-somatanalystes ont acquis la conviction que les processus groupaux et sociaux sont différents des processus individuels et qu’il faut donc renoncer aux assimilations du type inconscient de groupe ou appareil psychique de groupe, même si ces termes sont utilisés de façon métaphorique. Il faut aller à une minutieuse observation de modèles microcosmiques qui reflètent le macrocosme social. Le groupe de socio-somatanalyse et les groupes de formation de trois années constituent de tels objets d’autant plus qu’ils révèlent l’hol-anthrope dans sa dimension psychique, dans ses manifestations corporelles et dans une dynamique relationnelle parfaitement observable.
Nous connaissons déjà les quatre étapes principales –qui accueillent volontiers des sous-étapes– lorsqu’on se réunit autour d’une tâche :
conflit →sécurisation → consensus → don.
Le tableau de la page 34 donne les caractéristiques essentielles de ces étapes.
Chaque étape d’auto-organisation groupale se constitue d’un état central de stabilité structurelle et d’une transition catastrophique pour passer à l’organisation suivante, concepts empruntés à la théorie des catastrophes de René Thom. Chaque étape se fixe donc en une constellation relativement précise et les deux premières, du conflit et de la sécurisation, ont été bien décrites par ailleurs de par leur simplicité… relative. Première étape : la masse et le conflit
C’est ainsi que Freud a choisi de se référer à deux exemples de groupes potentiellement conflictuels réglementés par la force : l’armée et l’église dans « Psychologie des masses et analyse du moi ». Auparavant, dans « Totem et Tabou », il avait décrit la transition entre le groupe dictatorial de l’ancêtre et la société organisée des fils parricides. Nous n’insisterons pas ici sur ce premier état groupal que l’éthique médicale ne peut tolérer ni en thérapie ni en formation. Le macrocosme planétaire nous donne malheureusement encore trop de lieux d’observation de ce type d’organisation de masse. Ici, un chef autoritaire impose sa propre façon de réaliser la tâche, par la force.
Deuxième étape : la société et les rôles sociaux
Lorsque ce groupe (micro- ou macro-) doit continuer à partager cette tâche commune, il en vient à s’organiser en répartissant les rôles selon les compétences (au mieux), ou selon ses besoins (au pire). Chaque membre entre dans ou se voit affublé d’un rôle social. Nous sommes ici dans la classique psycho-sociologie ou socio-psychologie : leader, bouc émissaire, challenger, médiateur, suiveur… Cela est bien connu. Dans notre profession, c’est W. BION qui a décrit un aspect intéressant des formes du leadership avec trois avatars qui répondent à ses trois « hypothèses de base » :
- leader classique organisant l’hypothèse attaque-fuite,
- couple charismatique redonnant espoir,
- leader sorcier, l’analyste lui-même, manipulé par le groupe de façon à éviter tout changement dans le groupe. (Meyer 1982)
Nous n’insisterons pas plus sur cette deuxième étape dont la fonction consiste à assurer la sécurité de l’ensemble et l’efficacité dans la tâche. Ajoutons seulement que cette étape est celle de la société de droit, le droit servant à réguler principalement les rôles sociaux entre eux. Il s’agit aussi de l’entreprise moderne qui recherche l’efficacité maximale à l’intérieur, même si, à l’extérieur, l’entreprise retombe souvent dans le conflit de la concurrence. Mais on se rend aussi compte, même dans l’entreprise, qu’avec le consensus ça marche encore mieux ! Quant au groupe de psychothérapeutes en formation, c’est pour des raisons humanistes et éthiques qu’on ne laisse émerger ces rôles que jusqu’à leur niveau… didactique, jusqu’à ce que chaque participant se rende compte dans quel rôle il se retrouve – comme par hasard ! – et jusqu’à ce que le groupe puisse recevoir l’analyse de la dynamique telle que le formateur peut la renvoyer.
Transition entre sécurité et consensus
La transition à la troisième étape, de consensus, est une transition catastrophique à cause de la peur de perdre l’efficacité d’ensemble et de devoir renoncer aux rôles individuels privilégiés. Alfred Adler a investi le Gemeinschaftsgefühl ou « sentiment communautaire » que nous devons considérer comme un des précurseurs du consensus. Adler propose ce nouveau processus de façon très directive, éducative même, alors que ce sentiment ne se laisse pas imposer (Stepansky p.268) ; il peut seulement advenir dans la dynamique auto-organisatrice du groupe lui-même, donc spontanément. C’est comme la démocratie que l’on veut imposer à des pays qui n’en veulent –ou peuvent– pas pour le moment. Les effets de ces politiques imposées par les armes sont malheureusement fort… didactiques !
Troisième étape : le consensus et le respect de la personne
C’est un élève, à présent formateur, qui nous a décrit son vécu consensuel de façon tellement convaincante qu’il a boosté cette reconnaissance de l’étape consensuelle qui succède à la sécurité des rôles précédents. Ce terme « consensus » a un double intérêt, de différenciation et de compréhension par l’étymologie.
Il faut d’abord renoncer au terme « d’affectif », bien qu’il s’agisse aussi de cela, parce que l’affectif (jusqu’à l’amour et la haine) est spécifique du couple et est interdit dans la vie sociale, professionnelle en particulier, sous sa forme de harcèlement, sexuel évidemment, mais aussi affectif au sens plus large.
D’un point de vue étymologique, le mot consensus est très pertinent :
- le préfixe con, cum, veut dire « ensemble »,
- la racine « sens » inscrit le terme dans les trois dimensions de base de l’être, dans l’holanthrope :
- en psycho- : sens, signification,
- en somato- : sensoriel, sensitif, sensuel,
- en socio- : le sens comme direction commune à tout le groupe.
Pour approcher ce vécu de consensus il nous faut à présent une méthodologie et des références théoriques. Nous avons déjà évoqué le « laboratoire d’observation » où se manifeste l’holanthrope, encore faut-il préciser le mode d’observation. Car, ici, nous ne sommes pas dans l’observation individuelle mais dans celle d’un groupe. Or le groupe n’existe pas en lui-même ! Il n’a de réalité qu’en tant que ses membres communiquent entre eux. Le groupe n’est auto-organisateur qu’à travers la communication (verbale, corporelle, médiatisée). Alors comment savoir en quel lieu se situe le groupe sur le vecteur de sa dynamique, sur quelle scène il joue pour reprendre une image freudienne ? Car, à chaque instant, le groupe se situe en un lieu précis de cette dynamique.
Schéma 3 : le vecteur de la dynamique de groupe et le lieu précis d’auto-organisation d’un groupe donné
Les manifestations du lieu du groupe
Quand commence la séance de socio-somatanalyse, le groupe se trouve en un lieu très précis, bloqué là alors qu’il voudrait évoluer. Mais comment savoir où il se trouve, quand il se débloque, jusqu’où il ira ? Grâce à quelles manifestations ? Trente années de pratique et d’observation m’ont enseigné les trois règles suivantes :
1) toutes les indications nous viennent de la forme de la communication et non de son contenu ; c’est lorsque le groupe réagit longuement à une intervention d’un membre donné (et ce peut être la cinquième ou sixième prise de parole après que les essais précédents n’aient suscité que silence) qu’on approche du lieu représentatif du besoin groupal ;
2) c’est le psycho- et sociodrame qui se construit autour de ce lieu/thème, élargi au-delà des dires du porte-parole cristallisateur qui fait lever l’obstacle et relance l’évolution de la dynamique, et ce n’est pas le contenu des paroles de quiconque ;
3) puis l’échange autour de cet item s’épuise et laisse place au silence, marquant ainsi la satisfaction du besoin et la disponibilité du groupe à aller plus loin, par le fait qu’il embraye sur l’une des prises de parole suivantes, celle qui relancera la dynamique.
Références théoriques : l’intelligence collective
Nous renoncerons aux constructions classiques faisant intervenir le transfert par exemple : dans l’étape deux, de sécurisation, la bagarre se fait entre les membres du groupe jusqu’à désigner éventuellement l’analyste comme juge de paix ; dans le consensus, c’est plutôt l’entente du groupe au-delà et même contre le formateur. Nous sommes dans les dits « transferts latéraux et principaux » bien qu’il ne faudrait plus utiliser ce terme de transfert pour le groupe, puisque l’affectif y est interdit, et qu’il ne faut pas extrapoler de l’individuel au groupal.
Je voudrais me référer à des théories plus récentes, provenant de la sociologie et de la psychologie cognitive plus que de la psychothérapie, plus précisément de ce qui s’annonce comme « intelligence collective ». Voici deux apports qui touchent à notre thème, la pensée de groupe et la polarisation des opinions, processus qui se présentent dans le groupe consensuel précisément.
Voici d’abord la présentation de l’Intelligence Collective.
«Depuis quelques années, une véritable mythologie s’est constituée autour du thème de l’intelligence collective (IC). Une mythologie entretenue par quelques prophètes – ingénieurs, écrivains ou philosophes -.
Ce mythe voit dans l’apparition du Web l’émergence d’un grand « cerveau global », point d’aboutissement d’une grande évolution qui a débuté aux origines de la vie.
La structure de ce mythe repose d’abord sur une idée simple : l’organisation spontanée d’agents produit une intelligence supérieure. Son application se veut universelle : l’IC vaut tant pour les insectes que les neurones, les sociétés humaines que les réseaux techniques. Le mythe comporte une morale positive – la coopération de tous vaut mieux que l’action ou la pensée isolée – et une eschatologie – l’IC suit une voie d’évolution des formes les plus élémentaires du vivant à l’émergence d’un esprit supérieur. » (Dortier, in Sciences Humaines, n° 169, mars 2006, p. 38)
Voilà bien cette dynamique auto-organisatrice qui va jusqu’à la… «pensée de groupe » et à « l’illusion de consensus ».
« La pensée de groupe en action
Forgée en 1972 par le psychologue Ivan Janis, l’expression « pensée de groupe » désigne les mécanismes par lesquels un groupe est amené à prendre ou approuver des résolutions qui ne correspondent pas au jugement individuel de ses membres. En fait, la pensée de groupe a été étudiée sous l’angle de ses effets négatifs, c'est-à-dire de la prise de décisions irrationnelles ou erronées que la majorité des membres, consultés individuellement, n’aurait pas approuvées. Parmi ses mécanismes, certains ont été identifiés et étudiés séparément.
Le conformisme résulte de la crainte des individus de se déconsidérer en adoptant une position minoritaire ou isolée. La tendance au consensus retient les participants d’amener des points de vue provoquant des discussions désagréables. Les anticipations fausses consistent à attribuer à autrui des intentions ou des jugements qu’il n’a pas. Un effet analogue peut amener des individus à surestimer le degré d’adhésion des autres, voire de l’ensemble de l’opinion, à ce qu’ils pensent. C’est « l’illusion de consensus ».
Les caractéristiques des groupes favorisent ce genre de fonctionnement. I. Janis en recense six : la fermeture du groupe sur lui-même, son niveau élevé de cohésion, la présence d’un leader très directif, l’absence de règle de procédure, l’homogénéité idéologique du groupe et l’existence de menaces extérieures pressantes. » (Nicolas Journet o.c. p. 43)
Voilà, le mot est lâché : consensus. Mais, ici, c’est sous un aspect négatif de conformisme et de communication défectueuse. Nous en reparlerons plus loin. Ce qui nous intéresse d’abord dans ce texte c’est la présence du concept de consensus lui-même et l’observation que la dynamique du groupe consensuel prend le pas sur la pensée de chaque individu jusqu’à déboucher sur la « pensée de groupe ». On croirait retrouver « l’illusion groupale » de Didier Anzieu qui rappelle vaguement cette « illusion de consensus ». Cette dernière idée est d’ailleurs plus restreinte et permet de préciser la part acceptable du concept de D. Anzieu, d’illusion groupale, en lui enlevant son sens absolu.
Cet aspect négatif du consensus rejoint ce que j’observe comme peur en socio-somatanalyse : « on me respecte comme une personne, comme tous les autres, mais je ne suis plus personne ! »
« Il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres… » dit la chanson. Le risque du consensus, c’est l’uniformisation, le politiquement correct, l’amalgame jusqu’à l’anonymat. C’est ce qui est mis en avant avec ce concept de « pensée de groupe ». La notion de polarisation des opinions vient enfoncer le clou et préciser l’un des mécanismes en action.
« Les dérives de l’opinion
Le fait de débattre modifie-t-il nos opinions ? Oui, mais pas dans le sens de la modération.
« L’ effet de polarisation », identifié dans les années 1960, a depuis maintes fois été vérifié dans différents contextes (jurys, assemblées, groupes de discussion) et à propos de toutes sortes de questions (opinions, jugements, goûts). Il affirme que la délibération à l’intérieur d’un groupe tend à radicaliser l’opinion. Qui plus est, cet effet agit dans le sens qui était celui de l’opinion dominante avant débat. Cela signifie qu’un jury dont, avant délibération, la somme des opinions individuelles est plutôt favorable à l’accusé deviendra très favorable après s’être réuni et, inversement si l’opinion médiane de départ était plutôt défavorable, elle deviendra très défavorable après discussion.
Les psychologues ont attribué cet effet à deux causes différentes. Pour certains, la tendance reconnue des gens à rechercher l’estime de leurs semblables les mènerait à renchérir sur ce qu’ils perçoivent comme étant l’opinion dominante. Mais on ne peut écarter les effets cognitifs de l’accumulation de points de vue allant dans le même sens : pour d’autres auteurs, c’est l’addition des arguments exposés en faveur de l’opinion dominante qui radicalise le jugement d’une partie des membres du groupe. » (Nicolas Journet o.c. p. 45)
Voilà, j’ai appelé Dortier et Journet à jouer les avocats du diable ! Le consensus, ce n’est pas de tout repos ! Or le recours à l’avocat du diable est justement un des moyens pour déjouer la polarisation de l’opinion et la pensée de groupe. Et si les références scientifiques évoquées décrivent surtout les effets cognitifs (pensée et opinion) elles valent tout autant pour le vécu global : « je me sens bien dans ce groupe, j’étais angoissé avant de venir mais dès que je vous ai revus, je me suis retrouvé dans le bien-être et l’apaisement ; hier Claude m’a beaucoup aidé dans mon travail personnel et vous étiez tous autour de moi pour m’encourager ; je vous aime tous ». Voilà ce qu’a dit un participant en début de séance de socio-, après quelques jours d’atelier. Puis une seconde personne a enchaîné : « depuis deux mois je souffre de cette opération chirurgicale, on m’a enlevé les deux glandes mammaires mais ils n’avaient qu’une prothèse, il a fallu remettre ça… je suis en colère contre tout l’hôpital ; mais avec vous cette colère tombe, celle que j’ai contre Richard aussi, je vous remercie ». Et cela se voit ; le visage est apaisé, le corps détendu, la voix chaude (et moi je prends la position basse).
Puis, la troisième prise de parole contraste : « mais qu’est-ce qu’on fait là ; c’est niais et infantile ; et ces silences que je ne supporte pas ». Plus tard encore un ancien dira que c’est faux, que ça cache des choses qui ne veulent pas sortir. Entre temps, il y aura eu une longue séquence qui a accaparé les treize participants autour de … la vaisselle et du rangement de la cuisine. Mais ça s’est terminé consensuellement : trois membres ont témoigné que, parfois, ils laissaient leur tasse mais qu’à d’autres moments ils faisaient toute la vaisselle qui traînait. Il n’y a ni accusation contre un resquilleur (ce serait le conflit de l’étape 1) ni proposition de liste de responsables pour la cuisine (ce serait l’imposition des rôles de l’étape 2). Non, ça s’est réglé dans la douceur consensuelle et on n’a même pas reproché aux trouble-consensus qu’ils ne sentaient ni la paix du silence ni l’amabilité des échanges…
Le consensus existe, nous le rencontrons en socio-.
Le consensus fait peur tout autant.
Le consensus est indispensable dans ce groupe de formation pour aller encore plus loin, à l’étape du don, où le groupe accepte toute l’originalité de l’individu même si cette créativité doit aller jusqu’à mettre le consensus groupal en péril. Le groupe fait don de son attention à ce vécu individuel et de son abnégation en faveur de l’individu. Dans ce cas, le groupe quasi unanime peut accorder vingt à trente minutes de la séance au travail individuel de l’un d’eux en faisant abstraction de son besoin propre. En réalité, il est bien encore dans son besoin mais ce besoin s’est transformé en une dynamique de don ! Nous ne développerons pas ici cette quatrième étape pour ne rester qu’à la troisième, celle du consensus. Mais le groupe peut-il seulement entrer dans le don ? Peut-il organiser le potlatch comme ces sociétés traditionnelles du Canada que Marcel Mauss a décrites pour en extraire le concept du don ? Dans notre salle de travail, la réponse est simple et claire. Il s’agit d’une très belle grange d’une ferme alsacienne avec poutres apparentes qui a cent cinquante ans : voilà six générations successives qui nous ont fait don de cette merveille ! Le don, c’est ce qui fait une civilisation au-delà de la simple culture. Le don va au-delà de l’échange -réciproque- et se transmet de génération en génération.
Le consensus existe.
Dans notre approche holanthropique, il s’agit d’une certaine paix, d’un bien-être qui découlent de la reconnaissance de chacun comme personne et de l’égalité des membres et qui débouchent sur la confiance, sur l’assurance. Cette ambiance consensuelle permet d’avancer dans la tâche, de parfaire la formation du psychothérapeute qui peut exprimer ses points de vue, entrer dans un travail en profondeur jusqu’à la régression, trouver un contact inconditionnel chez l’autre ou, au contraire, de proposer son aide thérapeutique à celui qui en a besoin. Un couple peut se former ponctuellement qui n’est ni défensif (pour se protéger des autres) ni charismatique (pour augmenter son leadership) mais créatif. Mais quelles sont les manifestations de ce consensus groupal ? Voici quelques caractéristiques observées dans les séances de socio- qui interviennent dans les groupes de formation, dans le groupe verbal puis dans le groupe rapproché vocal. Voici d’abord une liste de signes puis l’analyse approfondie avec une certaine systématisation.
Les manifestations de consensus dans le grand groupe verbal au
cinquième ou septième jour d’un atelier prolongé
Cette séquence verbale se passe dans le « petit salon », un recoin de la salle, de quatre mètres sur trois, avec matelas, boudins et coussins qui permettent des postures très confortables plus ou moins droites ou allongées. Dans le consensus, les positions sont très confortables, à demi affalées et lorsqu’un membre prend la parole, il ne se redresse pas particulièrement ; lorsque quelqu’un se met droit, ça annonce quelque chose d’important de l’ordre du sécuritaire (retour à l’étape deux) ou du créatif (tentative de susciter le don dans le groupe).
La lecture de ces signes de consensus - qui peut être interrompu par le retour à un conflit ou à un rappel du respect des rôles et règles - peut aussi sembler mièvre au lecteur qui est en pleine réflexion intellectuelle ! C'est comme de transmettre l'amour à quelqu'un qui veut… comprendre et disserter. Car il s'agit fondamentalement d'une imprégnation, d'un abandon à un vécu nouveau, de l'expérience d'un sentiment qui doit être partagé.
Le consensus nécessite l’accordage à un feeling qui s'approfondit de plus en plus, qui devient subtil, qui touche du côté du spirituel, du transpersonnel. Il permet des partages de plus en plus intimes, beaucoup moins du côté du sexe que de l'affectif, des éveils énergétiques, des expériences de manifestations dites parapsychologiques par exemple. Le groupe consensuel fait le don d'une écoute bienveillante de ce qui est tu de ce côté-là.
Ce n'est pas facile de se laisser aller à cette intensité de sentiment à la fois légère et forte, vide et pleine, frustrante et nourrissante. D'où les retours réguliers à l'interrogation sur son rôle éventuel de mécanisme de défense et de protection.
Les manifestations du consensus dans le groupe rapproché vocal
Tout le groupe s’avance vers le centre, se met à genoux, se donne les mains, épaules contre épaules, en silence, attendant les sons, connectant le mental (verbal) avec le corporel par la voix. Dans l’immédiat, ce changement « catastrophique » dérange et l’ambiance flotte, se cherche dans le verbe encore, dans du chahut, dans des bousculades et des rires. « Attention, les ménisques sont fragiles quand on est à genoux ! » Puis le silence revient, les sons se cherchent, les bâillements s’affichent. Les discours s’abrègent comme au télégraphe ou sur SMS. Lorsque le groupe sort tout juste des conflits et des jeux de rôles, les sons deviennent intenses, durs, contactant peur, souffrance et colère, évacuant ces poids pour pouvoir basculer dans le consensus. Lorsque le consensus est déjà là et bien partagé, nous trouvons des manifestations spécifiques et néanmoins proches de celles d’avant :
Nous aussi, à cette lecture, recommençons peut-être à percevoir tout cela comme quelque chose de doucereux, de mièvre, de sectaire même. Ça rappellerait même l’illusion groupale, la pensée de groupe, le conformisme, la polarisation en une position unique. Et pourtant il n’est pas aisé d’en arriver là, de le laisser advenir, d’en prendre conscience, de l’assumer, de le valoriser.
Dans le groupe rapproché vocal, le son, le mouvement, l'interpellation sont à tout le monde à la fois, simultanément, contrairement à la parole, unique, du groupe verbal ! La reliance de l'individu au groupe est directe et globale ; le son les touche tous, je suis touché par tous les sons. Le consensus devient ici beaucoup plus sensoriel, sensitif, sensuel du côté de somato-, beaucoup plus intuitif, imagé, spirituel du côté de psycho- beaucoup plus énergétique et empathique du côté de socio-.
Faire l'expérience, tout d'un coup, que mon son est noyé dans les sons, que je ne peux plus les distinguer mais que ça connecte en tonalité, intensité, rythme et harmonie, cette expérience est subite, totale, étrange ; c'est l'expérience plénière.
Ressentir, tout d'un coup, que mes genoux ne font plus mal, que je ne les sens plus, parce que je suis porté et maintenu par tous ces bras autour de moi, m'abandonner sans retenue au balancement, assuré que je ne tomberai pas puisque ces bras me tiennent, est une autre entrée dans l'expérience plénière : je suis là, juste là, entièrement là, nourri par les vibrations sonores, maintenu par le bercement, relié aux corps, cœurs et âmes, inondé de larmes et de bonheur. Voilà la véritable expérience du consensus. Dans cet instant d'éternité, tout est bénéfice.
Et pourtant, le prix à payer est réel, prix double : perdre son rôle privilégié et se retrouver personne, no body.
Le rôle social est chevillé au corps. Le leader, tout comme le bouc émissaire d’ailleurs, tire avantage de son attitude ; elle le protège, elle le défend contre pire encore, contre l’anonymat précisément. Même si la victimisation est pénible, elle fait néanmoins vivre ; le leadership est tout aussi pathologique – dixit Bion – mais il fait illusion. Et il faudrait que le roi laisse dire à l’enfant qu’il est nu ! Tous ces rôles se débattent comme de beaux diables dans le balancement consensuel.
Pour se retrouver personne, no body. C’est cela le plus difficile.
Il faut lâcher, capituler, surrender, let lose. Après les citations empruntées à l’intelligence collective il n’est plus nécessaire d’insister sur cette impression de nivellement, d’uniformisation, d’anonymat, ni sur la réalité de polarisation, conformisme et univocité.
Parce que ce n’est que pour mieux passer à l’étape du don où le groupe lâche la bride, la grappe et les baskets à l’individu créatif. Dans ce cas, cette créativité se fera en connexion avec le groupe, en unification (et non en uniformisation), en plénitude. En l’absence de consensus, la création se fait en clivage, en dehors et même contre l’entourage, et risque la pathologie, paranoïaque en particulier.
Esquisse de l’étape du don
Le don, ce n'est pas
- le vol, comme cela se passe dans l'étape du conflit ;
- le commerce des biens, avec contreparties égales, comme dans l'étape des rôles et règles ;
- l'échange des alliances (des femmes selon Levi-Strauss) comme dans le consensus.
Le don est fait à l'individu (ou au sous-groupe) en le reconnaissant comme unique, original et créatif, au risque que cette créativité remette le groupe en question.
Rappelons-nous, il y a quelques siècles, la société théocratique verrouillait son pouvoir dans sa conviction cosmologique que le soleil tournait autour de la terre. Puis quelques savants l'ont remis en question. Ils y ont laissé leur tête et leur peau sur le bûcher : il venait en clivage avec une société non préparée. Vint enfin Galilée qui, très habilement, finit par imposer l’héliocentrisme. Et ça fit vaciller la société du clergé pour faire advenir le gouvernement des lumières et des sciences. Et, finalement, la civilisation y a gagné ! Car le groupe a évidemment besoin de la créativité de ses membres aux bons soins du…consensus. Le passage par le consensus est la garantie d'une véritable créativité enrichissante même si elle est dérangeante.
Pour mieux asseoir encore la pertinence de ces deux dernières étapes de la dynamique sociale, nous pouvons nous référer à notre maître Emile Durkheim lui-même, qui a longuement écrit sur les fonctions émotionnelles et sociales des rituels sociaux. Nous empruntons à Bernard Rimé les cinq thèmes qui articulent la conception de Durkheim en regard de notre propre description de la dynamique de groupe. Voici les cinq thèmes durkheimiens.
1) « L’ordre intellectuel et moral sur lequel les individus s’alignent… Ces normes assurent la cohésion du groupe et préviennent les dissidences ».
Nous sommes dans les rôles de sécurisation, étape II.
2) « Le processus par lequel ces produits sociaux s'implantent chez les individus...Un vif besoin de communiquer ceux-ci et de les répandre… Les croyances ne sont actives que quand elles sont partagées ».
Nous entrons dans le consensus sous l'aspect du partage des émotions et des croyances, étape III.
3) « Nécessité d'une régénération périodique des sentiments collectifs et des représentations collectives par les rituels, fêtes, cérémonies ». Étape du consensus agi, deuxième aspect de l'étape III.
4) « Partage collectif d'émotions… Quand ils s'affirment collectivement, les sentiments humains s'intensifient… dans une même pensée et dans une même action ». C'est la polarisation des attitudes jusqu'à la pensée de groupe, autre aspect du consensus de groupe.
5) « Effets de la communion émotionnelle... Les individus y refont leur être moral et ils en sortent fortifiés… L'individu rassuré retrouve du courage ».
Durkheim esquisse ici l'étape IV du don, où le groupe reconnaît l'individu dans sa force, dans son courage, et lui permet de devenir créatif.
(Rimé Bernard passim 353 – 356)
Voyons à présent deux aspects plus proches de notre recherche : la place du consensus de groupe dans l’ontogenèse et dans la formation du psychothérapeute.
Si le consensus prend tellement d’importance dans la dynamique de groupe jusqu’à constituer une étape à lui tout seul, il doit remplir un rôle éminent dans le développement personnel. Et pour cause, il ne caractérise rien moins que la troisième étape de l’ontogenèse, l’étape de la socialisation. Sorti de la bulle primitive vers six mois où il est seul avec ses donneurs de soins pour constituer son homéoesthésie, le bébé entre dans la fusion avec la mère (ou tout autre donneur de soins) pour éveiller attachement et affectivité. Puis il est précipité dans le groupe par père, fratrie et entourage pour apprendre la vie sociale.
Tableau 5 consensus et ontogénèse
L’enfant de deux, trois ans doit apprendre les règles du jeu, écouter, observer, accepter, se soumettre. En retour, il reçoit la sécurité du groupe familial puis social sous sa forme passive de protection. « Il est des nôtres, il a vidé son assiette comme les autres » ! On va donc lui en redonner, à manger.
Ce n’est pas encore, là, le consensus. C’en est la condition. Ce n’est pas tant avec les parents et adultes que cela se passe – ici c’est la protection – mais plutôt dans le groupe des pairs, dans la fratrie, avec les copains, au bac à sable, à la maternelle, (« deux à deux, rien de mieux » chante la comptine), puis dans la rue, les assos, avec les enfants de chœur ou les loubards en… chœur. Il en va ici comme dans le groupe de socio-. C’est sans le thérapeute, analyste, formateur ; c’est même contre lui : « ce soir on fait la fête entre nous, on vous apportera une tranche de gâteau ! »
Dans notre tradition psychothérapeutique, on néglige de trop l’importance de la fratrie et des groupes d’enfant. De par l’héritage psychanalytique, on investit trop papa, maman. Certes, la relation aux parents est primordiale, pour la sécurité et l’amour mais le consensus, lui, ne se fait qu’entre égaux, entre pairs, ici entre enfants. D’où la différence radicale entre le jeu de touche pipi entre enfant et l’abus sexuel commis par un adulte. Dans les sociétés traditionnelles, les enfants se retrouvaient par « groupes d’âge ». Aujourd’hui on les envoie en colo, rando et stage linguistique !
L’expérience du consensus par l’enfant dans ses groupes d’âge est fondatrice de son être social. C’est sur cette base que se construit sa créativité personnelle, son développement, son originalité. Peut-on évoquer ici la « période de latence » de Freud ? En partie, oui, même si, de nos jours, cette latence n’est plus sexuelle (au sens large de Freud) puisque les jeux sexuels de l’enfant sont tolérés et débouchent très vite sur des pré-pubertés précoces, sans parler des films pornos que plus de la moitié des enfants regardent à la télé ou sur internet.
C’est à un niveau plus global qu’il y a latence dans la mesure où sécurité, amour (parental) et consensus (groupal) débarrassent l’enfant des affres de l'Œdipe, des tourments de l’inceste et du meurtre, et le laissent entrer sereinement dans la socialisation.
L’absence de cette acquisition consensuelle débouche sur les psychonévroses freudiennes, sur l’hystérie en stress et clivage, sur l’angoisse, les phobies et obsessions en choc et amalgame. Plus tard ces deux groupes de pathologie s’enrichissent de psychopathie (en clivage), d’évitement et de dépendance (en amalgame). La socio-somatanalyse fait diagnostic, déblocage et réparation de ces troubles ou, du moins, gestion de ces handicaps.
L’analyse du consensus dans le groupe de socio- est la voie royale pour comprendre cette étape négligée de la socialisation, au niveau relationnel, alors qu’on n’y cherche trop souvent que l’aspect éducationnel.
Le groupe de formation est très proche du groupe thérapeutique et la place du consensus y est fondamentale, non seulement parce qu’il y a dynamique de groupe mais encore pour devenir psychothérapeute. Les qualités apprises à travers le consensus groupal sont constitutives du thérapeute. Certes, il ne s’agit pas des qualités spécifiques du travail à deux, en « individuel », que sont l’intersubjectivité, l’attachement et l’amour (voir plus loin le texte sur ce thème). Il s’agit de quelque chose d’autre, que l’on appelle neutralité, position basse, miroir, désêtre et qui se retrouve dans le no body, le n’être personne.
On peut s’attendre légitimement à ce que le thérapeute ait dépassé le stade du conflit - avec son patient du moins - . Par contre, il s’accroche volontiers à son rôle : posséder un savoir (théories), disposer d’un pouvoir (pratiques), montrer son avoir (un cabinet luxueux) et surtout témoigner du devoir (« je dois vous guérir »). Tant qu’il reste dans ces rôles, il n’est pas un véritable thérapeute. Il doit aller au-delà et cela se construit sur la capacité de consensus. Les termes évoqués découlent de la thérapie à deux, mais s’acquièrent en groupe :
· la neutralité et l’abstinence réservées à la psychanalyse orthodoxe,
· la position basse du systémisme lorsqu’elle n’est pas que pure manipulation,
· le miroir, autre métaphore psychanalytique qu’on retrouve dans la position de Rogers,
· le désêtre de Lacan, terme très signifiant dans son exagération même.
Toutes ces attitudes nécessitent de prendre du recul par rapport à sa propre
personne, d’autant plus que le thérapeute doit - déontologiquement - appartenir à des institutions professionnelles dans lesquelles s’installent également des temps consensuels… si, si !
Eh bien, ce qui se dessine ici comme relation consensuelle est à la base de ces variantes plus spécifiques : respecter l’autre comme personne, être et n’être personne. Et c’est la base de la relation thérapeutique même quand s’y ajoutent, avec le temps, attachement et transfert.
Voilà tout l’intérêt de l’analyse du consensus en formation.
Ce lieu spécifique du groupe – de formation – est tout autant exemplaire de la thérapie de groupe. Le patient est un « socius » et doit lui aussi pouvoir se lover dans l’unité du groupe social, tout en veillant contre l’uniformisation. Le moyen est décrit ici : ce consensus n’est qu’un passage et non une fin en soi, il doit faciliter le don dans lequel le groupe reconnaît l’individu dans son originalité et sa créativité. Malheureusement les psycho-sociologies en restent trop souvent aux travers du groupe consensuel (illusion groupale, pensée de groupe, conformisme) et proposent de revenir en arrière, aux rôles, plutôt que d’avancer jusqu’au don. Rappelons-nous les critères de risque de déviance énumérés par Janis :
« la fermeture du groupe sur lui-même, son niveau élevé de cohésion, la présence d’un leader très directif, l’absence de règle de procédure, l’homogénéité idéologique du groupe et l’existence de menaces extérieures pressantes. »
Invoquons une autre référence issue de l’intelligence collective qui nous propose, à présent, des outils pour éviter les effets négatifs du consensus.
« Quels sont les remèdes que l’on peut envisager ?
Il est notable qu’on ne trouve pas l’effet de polarisation par la discussion dans les « sondages délibératifs ». Mais ces sondages comportent plusieurs éléments. Avant de se rencontrer pour discuter, les participants reçoivent une documentation « équilibrée » sur le sujet discuté, puis des experts ou des hommes politiques viennent leur présenter des positions différentes. On ne sait pas auquel de ces éléments est due l’absence de polarisation. Un élément attire néanmoins l’attention, le fait que les participants sont exposés à des informations et des positions « balancées ».
Mais la procédure contradictoire a aussi d’autres valeurs, essentielles à la délibération : elle stimule l’examen critique et freine le conformisme. Même si une décision qu’une collectivité envisage ne soulevait a priori aucune opposition, il faudrait, pour avoir une bonne délibération, susciter un point de vue adverse. C’est peut-être ce qu’avait senti l’Eglise Catholique quand elle requérait la présence d’un « avocat du diable » lors des procès de canonisation. Dimension religieuse mise à part, la méthode conserve toute sa valeur pour une pensée contemporaine de la délibération démocratique. Si nous ne pouvons pas attendre que le mouvement spontané de la société amène la confrontation des opinions opposées, il nous faut l’instituer par une construction volontaire. » (Bernard Manin in o.c. p. 45)
Voilà des moyens parfaitement réalistes et matérialisés pour éviter le conformisme général au-delà de la seule polarisation de la pensée. Nous sommes dans la dynamique de groupe, dans la réalité sociale, où les bonnes intentions ne suffisent pas et où il faut des réponses précises aux dangers. Voici quelques-unes de ces parades que la séance de socio- a mise en place pour lui permettre d’être éthique et déontologique, ou tout simplement démocratique. Ce protocole, thérapeutique au départ, s’est élargi au groupe de formation avec les mêmes moyens et les mêmes exigences. Ainsi pouvons-nous préconiser le consensus, le laisser advenir pour tous ses bienfaits, y compris pour la prise de conscience de ses risques, tout en proposant les remèdes contre ses effets antithérapeutiques, antipédagogiques et, surtout, sectaires. Ces remèdes peuvent être rangés en quatre rubriques :
· l’organisation démocratique,
· le protocole analytique,
· l’accès à l’auto-organisation
· et la finalité du don.
L’organisation démocratique
Le mot démos, peuple, ne doit pas surprendre ici, dans cette réflexion sur le social. L’aspect démocratique élargit au groupe ce que l’éthique est à l’individu. Trois éléments plus précis répondent à cette exigence :
· l’expression libre pour chacun y compris le silence,
· l’expression sur tous les modes, verbale, vocale, corporelle, médiatisée, ce qui permet à chacun de trouver sa forme personnelle de manifestation,
· la possibilité de quitter le groupe (rapproché) en toute légitimité, tout en restant dans le grand cadre du groupe ; cet acte réalisé par au moins une personne – et même l’analyste – montre qu’on n’est pas dans l’uniformité ni l’illusion groupale.
Le protocole non directif, analytique
Le protocole de la socio- est fixé une fois pour toute (depuis trente ans) en ses quatre séquences et enlève à quiconque la possibilité de le modifier arbitrairement, même à l’animateur. Même s’il y a cette complexité des quatre séquences (verbale, vocale, primale, conviviale) pour permettre l’expression sur tous les modes, chaque participant gère parfaitement le déroulement et décide librement à quel moment il « travaillera » et comment. Quant au groupe en tant qu’ensemble il se sent également contenu et sécurisé par ce cadre rigoureux et y déroule sa dynamique à l’intérieur de repères familiers. Cela est pleinement vrai pour la forme socio-analytique. Quand la nécessité impose un certain constructionisme pour préserver telle ou telle personne, il y aura modulation entre l’interventionnisme et la non directivité selon les règles professionnelles et éthiques. A ce moment, dans cette sociothérapie analytique, le sens des interventions sera expliqué.
L’accès à la pure auto-organisation
Si déjà on choisit le groupe pour la thérapie ou la formation, c’est pour ajouter l’expérience du social au travail personnel. Le thérapeute ou formateur donne donc à la dynamique de groupe toute latitude de se manifester, en particulier dans ses quatre étapes :
· dans le conflit, il garantit les exigences éthiques, jusqu’à le faire très directivement si nécessaire ;
· dans l’instrumentalisation des rôles sociaux, il joue aussi son rôle en complémentarité aux autres ;
· dans le consensus, il prend du recul pour laisser l’autogestion des pairs se déployer sans lui et même contre lui ;
· quand le groupe se réalise pleinement dans le don, l’analyste ou le formateur participe à ce qui est offert à tel ou tel et reçu de lui.
La finalité du don
N’entrant pas ici dans l’explication suffisante de cette dernière et ultime étape de la vie de tout groupe, je laisserai sûrement quelque insatisfaction. Toujours est-il que de ne pas faire du consensus l’aboutissement de sa dynamique, en dégonfle grandement la baudruche des dites « illusions, pensées, consensus de groupe ». Ce n’est qu’un passage, nécessaire certes, pour arriver à la reconnaissance de la créativité très personnelle d’un chacun, donc à la différenciation du groupe. Et comme cela ne se fait qu’à travers l’éclatement du groupe rapproché, chacun réalise bien que le rapprochement n’est qu’une transition. Le socioanalyste ne transmet pas seulement ce besoin mais œuvre à sa réalisation.
Prenant le contre-pied de la douceur et de la tendresse que rayonne le consensus, nous terminerons sur un ton ferme et militant, invigoratif et batailleur. Même si le consensus ne s’impose pas (de l’extérieur), les considérations ici développées doivent être affirmées avec force. La théorie, elle, doit s’imposer.
Le consensus est la clé de voûte de l’édifice social,
· le lieu de ressourcement de la société,
· un havre de paix commun à défendre bec et ongle.
Cette reconnaissance se fonde sur une observation directe du social à partir du principe absolu que la dynamique de groupe est différente des constitutions et développements de l’individu, contrairement à la pensée psychanalytique. Il n’y a donc pas à utiliser les concepts issus de la psychologie : inconscient (de groupe), appareil psychique (groupal), transfert et autres illusions (de groupe). Le groupe social a ses caractéristiques propres et sa science, sociologique, notamment. Les psychothérapeutes doivent accepter cette séparation et faire l’effort de cette double approche.
Nos propositions sont des apports majeurs de cette nouvelle approche :
· la dynamique de groupe comme mouvement d’auto-organisation inhérent au social universel ;
· les quatre étapes principales de cette auto-organisation : conflit, sécurisation par les rôles, consensus et don ;
· la troisième étape ici développée, celle du consensus, indispensable à tout groupe qui perdure, vitale pour l’humanité, malgré son risque d’uniformisation ;
· la tâche tout aussi vitale de gérer ce risque pour passer à l’étape du don qui fait civilisation.
C’est là qu’intervient le psychothérapeute - de groupe -, sociothérapeute et socioanalyste, comme nous avons essayé de le faire ci-dessus.
L’insistance sur la dynamique de groupe ne doit pas faire oublier les autres points forts de la socio-somatanalyse :
- le travail émotionnel,
- l’affirmation de soi,
- le repérage de son rôle social propre,
- l’interrelation des trois positions de vie en groupe, en couple et solo, à la fois séparées et connectées.
Pourtant c’est autour de la spécificité du processus groupal que se construisent toutes ces acquisitions. Soulignons l’importance du retour de cette réalité sur l’individu : le sujet n’acquiert les fonctions correspondantes que s’il a réellement vécu de façon prolongée ces différents états du groupe, à savoir :
- il ne peut se battre efficacement que s’il a connu des groupes (familles) conflictuels ;
- il ne se sent en sécurité dans un groupe que s’il a reconnu, accepté, assimilé son rôle social habituel, celui dans lequel il excelle ;
- il ne se sent protégé par la société – par le gendarme au bout de la rue – que s’il a pu s’abandonner longuement au consensus groupal ;
- enfin il n’apportera sa créativité personnelle de façon constructive que s’il retrouve une culture “en don” telle qu’il l’a déjà connue auparavant.
Cela s’observe facilement dans un groupe prolongé telle une formation et stimule les participants à faire évoluer sa dynamique dans les quatre états.
Passons à présent du coté de la psycho-somatanalyse dont nous proposons les points suivants :
- le protocole en précisant le rôle et la place de la main de l’analyste sur le corps de l’analysant,
- le mode relationnel principal, à savoir le transfert et l’affectif,
- tout en élargissant les descriptions et explications à toute la complexité de cette psychanalyse corporelle à travers trois cas cliniques très documentés, une personnalité bordeline, un syndrome post traumatique sévère après inceste, une personnalité schizotypique.
Ce qui s’appelle Présence Juste est un protocole d’une pratique bien structurée, apte à déboucher sur l’acquisition de la “pleine présence “. Cette dernière n’est autre que l’attitude (qui devrait être) normale de l’être humain. Cette pratique a permis d’observer les mécanismes de la présence, en particulier au niveau de la conscience. Il y a trois processus successifs et peu à peu simultanés : la concentration, l’attention diffuse et la contemplation.
La concentration
de l’esprit est bien connue, c’est la focalisation de la conscience sur un seul objet, au maximum deux objets. Il s’agit d’un processus volontaire, actif, parfois pénible quand l’objet n’exerce pas d’attrait suffisamment fort. En Présence Juste, il s’agit de la concentration sur l’élément réel de chaque étape : le sol, la chaîne musculaire postérieure, la personne qui apparaît dans la visualisation etc...
L’attention diffuse
est un processus également actif mais moins intense, aussi peut-elle se fixer sur 3 à 4 objets à la fois. En Présence Juste, il s’agit des autres éléments du cycle et des posture et respiration.
Avec ces 4 à 6 objets scrutés simultanément, on arrive à la saturation du champ de la conscience ou "plénarité" qui a comme caractéristique d’unifier ce champ de conscience, de l’harmoniser en une présence pleine. Rien d’autre ne peut exister dans la conscience à ce moment, ni refoulement, ni clivage, ni blocage corporel ; il n’y a donc pas de symptôme à ce moment, ni de possibilité de constitution de symptôme. L’attitude globale peut se contenter de se refermer sur cette plénarité qui reste alors un état quantitatif, opérant, efficace. Les fonctions nécessaires à la situation du moment sont présentes, actives et justes. C’est la fiabilité du travailleur qui se focalise totalement sur les 3 à 5 paramètres en jeu dans sa tâche, sans autre état d’âme. Il y manque néanmoins la qualité ! Ça reste quantitatif.
Car l’attitude peut aussi rester ouverte, le corps détendu, l’esprit apaisé et non sidéré par les événements, la relation aux autres peut rester connectée et bienveillante. A ce moment là advient le troisième processus qui est un fonctionnement passif, spontané, imprévisible et incontrôlable : la contemplation.
La contemplation
En plus des objets réels de la concentration et de l’attention, apparaissent de nouveaux objets subjectifs : sensations corporelles, éveil énergétique, émotions, sentiments affectifs, images et visualisations, pensées, souvenirs etc., se connectant par association. Nous appelons ces nouveaux objets des "contemplats". Ils ont une véritable consistance, existent réellement mais sont insaisissables. Dès qu’on veut porter la concentration sur eux, ils se modifient, s’ils ne disparaissent pas carrément. En effet, leur complexité ne supporte pas la réduction qu’une concentration réflexive porterait sur eux. Les contemplats font le bonheur de la vie. Ils viennent tous seuls et s’en vont de même, ils apportent leur surprise. Ils sont généralement agréables quand l’attitude est positive et s’appellent alors volupté, amour et vérité. Les insights sont un exemple de contemplation… eh oui, c’est ce qu’a compris la psychanalyse qui fait :
Le mécanisme de la conscience en jeu dans la Présence Juste est un mécanisme universel. C’est aussi celui de la conduite automobile que nous aimons pour cela même, d’autant plus que la concentration s’y fait facilement, par attrait :
- concentration sur la route,
- attention diffuse sur les cadrans, rétroviseurs, pédales et cris des marmots,
- contemplats spontanés : bien-être corporel, souvenirs, réponse au problème de tout à l'heure, gros sentiment pour la covoiturée et... colère contre les chauffards!
- Un schéma très simple visualise ce mécanisme :
schéma 4 les mécanismes de la conscience en Présence Juste Pour conclure, il faut se rappeler les deux attitudes suivantes, seules à même de faire basculer dans la plénitude :
Enfin, on aura compris que notre pratique appelée Présence Juste comporte le maximum d'éléments propices pour que ce mécanisme de conscience si complexe advienne. C'est ce que l'expérience de mes patients et élèves me montre. Cela en fait aussi une pratique très efficace. Elle se rapproche beaucoup de la nouvelle venue du courant cognitivo-comportemental : mindfullness, méditation pleine conscience. Les évaluations statistiques si chères aux comportementalistes montrent que cette pratique participe à la prévention des rechutes dépressives (Teasdal) ou à l’atténuation des troubles obsessionnels compulsifs (Dantin L.) Ces acquis comptent autant pour la Présence Juste.
La Présence Juste est une pratique issue de la rencontre des méthodes somatothérapeutiques et des besoins et expériences personnelles de son fondateur. Les premiers textes ont décrit l'événement fondateur, un moment d'angoisse sur un télésiège bloqué au dessus de l'abîme qui a permis la mise en place du protocole de base à même de relaxer, apaiser, mettre à distance. L'enseignement aux élèves de l'École Européenne de Psychothérapie Socio- et Somato- Analytique (Eepssa) rappelle tout autant le second événement fondateur, une profonde douleur affective qui a subitement éveillé la circulation énergétique (kundalini) et tracé l’axe en soi. Enfin les péripéties de la pratique quotidienne viennent enrichir ces acquis de base de toutes les luxuriances de l'ouverture à la volupté, à la vérité et à l'amour. La dénomination "Présence Juste" permet d'englober ces trois niveaux de la pratique, de proposer l'exercice à des patients et d'y former les psychothérapeutes, tout en accompagnant ceux qui le désirent dans l'extension au bien-être, au savoir-être d'excellence et à la méditation. LE PROTOCOLE DE LA PRESENCE JUSTE Chacune de ces sphères est abordée spatialement (en bas, en haut, derrière et devant) pour obtenir une globalité (sphérique) et, grâce à elle, une saturation du champ de la conscience pour fixer cette dernière dans le présent. L'ensemble des quatre réalités situées dans ces quatre directions suffit à cet effet en analogie avec la loi de Miller qui dit que le maximum d'objets perçus distinctement et simultanément est de 7± 2, si on me permet d'extrapoler à partir de ce qui concerne la mémoire immédiate qui ne retient que ce nombre d'items pendant quelques secondes. LA POSTURE ET LA RESPIRATION COMME PREALABLES Posture et respiration sont les deux éléments objectifs qui servent d'ancrage dans la matérialité, surtout quand l'approfondissement de la pratique emporte dans les subtilités des énergies, sentiments et images. Le protocole de l'exercice fait de même, mais ce protocole peut être sublimé, oublié, transcendé. Pourquoi d'ailleurs un protocole ? Il fonctionne comme les rails pour la locomotive de... James Bond. Vous connaissez sa voiture, voici son train ! La locomotive, c'est le pratiquant. Elle avance sur des rails, il avance sur le protocole. Mais cette locomotive a des ailes escamotables, comme la voiture et, à certains moments, cette locomotive sort ses ailes, décolle, quitte les rails et batifole dans les airs, comme le méditant qui délaisse le protocole. Seulement, de temps en temps, elle s'égare là haut, et puis il lui faut refaire le plein de charbon, aussi redescend-elle sur les rails ; le méditant aussi, pour rester dans la Présence Juste.
Première étape : le sol, en bas
Premiers éléments du réel, en bas : le sol, le siège, le coussin, les accoudoirs. Ces butoirs imposent une certaine attitude du bas du corps. J'essaye de percevoir cette position... (Les points de suspension indiquent un temps de silence pour se concentrer sur l'élément évoqué) : cuisses tendues, fesses serrées, ventre rentré probablement...
Mais ces supports, ce sol, sont solides, je peux m'y fier, m'y abandonner ; je peux leur confier mon corps, le déposer...
"Je suis posé..." (Chacune des douze étapes a son signifiant verbal).
Probablement que mes jambes croisées s'affaissent un peu, mes fesses s'aplatissent, le périnée contacte mieux le support, les sphincters se détendent...
La respiration descend mieux jusqu'en bas, réchauffe le périnée, le connecte au support, pénètre les sphincters, dépose tout le bas du corps...
"Je suis posé"...
Deuxième étape : la pesanteur, en haut
Autre réalité présente, en haut : au-dessus de moi, la pesanteur qui m'écrase, la force de gravité qui me fiche 50, 60, 80 kilos et induit la posture du haut du corps... Épaules qui résistent, tête et buste penchés, respiration avec effort, dos tendu sans doute...
Mais je peux contrebalancer cette force, je peux aller la neutraliser, il suffit de m'étirer vers le haut de me prolonger dans l’axe, de me grandir de la tête, des épaules et du buste, jusqu'au plafond, pas plus loin pour le moment...
Je me mets un chapeau haut de forme de deux mètres et je deviens ce chapeau...
Le haut du corps est comme un vérin : j'appuie sur le bouton, il sort, monte et continue tout seul même quand je n'y pense pas... ça se prolonge...
Je sens l'allégement de la pesanteur, je la neutralise, c'est léger ; la respiration est libre et facile ;
l'esprit se dégage...
"Je suis grand, grande".
L'inspiration soulève les deux épaules et les emmène jusqu'au plafond, comme la tête ; à l'expiration, le thorax se relâche mais les épaules restent là-haut ; ce décrochage de l'anatomie et de la sensation est étrange, libérateur...
"Je suis grand, grande"...
Je n'oublie pas le bas du corps bien connecté aux supports du bas et je suis tout autant allongé jusqu'au plafond en une légèreté étonnante...
"Je suis posé, je suis grand, grande"...
Et s'il y a une image qui vient illustrer cet allongement, cette sensation, je la laisse venir, puis repartir, sans la provoquer, sans la chasser, sans la retenir. C'est aussi un élément du présent que j'intègre dans le champ de la conscience. Seules les images associées aux sensations entraînent la plénitude ; les images qui me font oublier le corps sont en clivage.
Troisième étape : l'énergie du dos
Autre élément du présent, à l'arrière du corps : la chaîne musculaire postérieure qui part de la base du crâne, longe la colonne des deux côtés, se continue dans les triceps, mollets, tendons d'Achille jusqu'à la plante des pieds... Chaîne unique de Françoise Mézière.
C'est elle qui travaille en ce moment pour maintenir l'assise : c'est là que se concentre l'énergie que je peux sentir circuler...
"Je suis fort, forte"...
Elle circule du sol jusqu'au plafond, dans l'axe énergétique du dos, dans l'axe en soi...
Si je la sens coincée quelque part, je reviens sur le dépôt du bas du corps, sur l'étirement du haut du corps, sur cette image d'allongement du corps à 3, 4, 5 mètres... et ça se décoince...
"Je suis posé, grand, fort"...
Elle descend avec l'expiration, elle monte avec l'inspiration, du sol au plafond...
Et cette énergie est couleur, couleur d'arc-en-ciel ; à chaque segment du corps, elle prend une des sept teintes :
- rouge dans le bassin et les jambes...
- orange dans les lombes...
- jaune à l'arrière du thorax...
- verte dans les épaules et bras...
- bleue dans la nuque...
- violette à l'arrière du crâne...
- dorée (ou blanche) dans le chignon au-dessus de la tête...
"Rouge, orange, jaune, verte, bleue, violette, dorée"... Pour les pratiquants avancés, je profite de ce travail de connexion du visuel et du sensitif pour explorer la notion de champ de conscience liée à la loi de Miller citée ci-dessus: "combien de couleurs pouvez-vous voir distinctement et simultanément ?... deux, trois, quatre, cinq... ?
Je vous propose un truc, imaginez votre tronc comme une flamme : rouge-orange-jaune, c'est la base de la flamme qui se continue vers le haut dans le doré ; à l'intérieur apparaissent des teintes plus sombres, verte-bleue-violette, comme un œil, comme la plume de paon ; arrivez-vous maintenant à sentir toute la hauteur du corps, toutes les couleurs de l'énergie, à élargir et saturer le champ de la conscience, jusqu'à être condamné à être là, uniquement là, présent, tout simplement... Si c'est oui, vous expérimentez quelque chose de plus, la plénarité et peut-être la plénitude.
"Posé, grand, fort"...
Quatrième étape : les centres énergétiques de l'avant du corps.
Enfin, à l'avant du corps, s'insèrent tous les organes de communication qui sont autant de centres énergétiques que je peux ouvrir de haut en bas :
- la vue (tout en laissant les paupières fermées)...
- l'ouïe, qui m'apporte les bruits et bruissements du moment... (en pratique avancée, je propose de ressentir yeux et oreilles comme un bandeau énergétique qui entoure le haut du crâne, occupe tout le tour, circule, se réchauffe, s'éclaire, prend la couleur dorée (ou blanche) du chignon, devient lumière, rayonne la lumière... cet éveil peut prendre des mois ou des années à se faire) ;
- l'odorat,
- le goût, à l'arrière de la langue...
- l'air qui rentre par le nez apporte une odeur et quand il sort, il passe sur les papilles de la langue et lui donne goût...
- les lèvres ... que j'arrête de pincer et quienflent, s'entrouvrent... qui amènent le relâchement des masséters et ouvrent légèrement labouche...
- le larynx...
- le cœur... lieu des sentiments...
- le ventre, centre des émotions...
- le sexe...
- la paume des mains avec sa chaleur, son énergie, le faisceau d'énergie qui en sort...
- la plante des pieds, la voûte surtout qui est, comme la paume, foyer d'énergie rayonnante...
"Je suis ouvert, ouverte"... (Ici aussi, on peut essayer de saturer le champ de la conscience en percevant simultanément ces quatre foyers d'énergie (paumes et plantes) ; quand cette plénarité s'installe, s'y ajoute généralement un signe très net de passage à la plénitude avec l'allumage d'un cinquième centre, à l'intersection des quatre premiers, au périnée, au centre ano-coccygien, le centre énergétique de base).
L'ouverture de ces centres de communication se fait en cascade, de haut en bas, comme une eau qui coule sur la peau, comme une bruine qui anime et dégouline...
L'énergie qui monte dans l’axe est l'énergie terrestre, celle qui descend est la grâce céleste...
"Je suis ouvert, ouverte".
Retour à la globalité de la sphère corporelle, énergétique,
"Je suis posé, grand, fort, ouvert"...
Plénarisation : le processus énergétique.
La globalisation de la sphère me fait passer de la simple addition d'éléments à un vécu nouveau, plein, plénier, à un vécu d'énergie...
"Je suis énergie, énergie de vie"...
"Couleur d'énergie"...
"Energie diffuse au-delà des limites anatomiques, centrée par l'axe en Soi"..,
"Vivre"...
DIGRESSION : LES EFFETS IMMEDIATS DE LA PRESENCE JUSTE
Faisons une première pause... théorique. Mais que voulons-nous donc, avec cette pratique ? Nous recherchons deux résultats bien précis :
- se débarrasser de... et se remplir de...
- s'alléger et se lester...
- guérir et grandir...
- enlever... mais remplacer par...
Il est important de remarquer que le seul processus d'élimination des symptômes ne suffit pas, élimination de :
- la tension musculaire
- l’hyperactivité mentale,
- la préoccupation exagérée par les événements.
Si on enlève seulement, on se retrouve dans un manque, un vide, une dé-pression et on n'accédera pas aux véritables :
- relaxation musculaire,
- apaisement mental,
- distanciation relationnelle.
Il ne suffit pas de soulager le "corps de maîtrise" (musculaire), il faut remplir le "corps de jouissance" (végétatif) pour maintenir l'homéostasie et surtout l'homéoesthésie. A cet effet, il faut éveiller et mobiliser :
- l'énergie jusqu'à la volupté,
- la relation aux autres jusqu'à l'amour,
- la vérité jusqu'à la sérénité.
C'est ce que les deux cycles suivants vont continuer à promouvoir - avec de la patience - tout comme le premier cycle l'a déjà fait.
Avec cette bonne énergie que nous “sommes ”, nous pouvons aborder maintenant notre vie relationnelle, entrer en contact avec les personnes de notre vie, personnes présentes, intimes ou plus lointaines, personnes du passé, vivantes ou mortes, personnages de nos fantasmes et de nos rêves d'avenir... Nous pouvons les voir, sentir puis, nous centrer et communiquer.
Cinquième étape : voir
Cette nouvelle énergie de vie nous permet d'ouvrir, en haut, les deux volets de nos yeux et de laisser venir les images -ou pensées- des personnes qui veulent bien se présenter à nous dans ces deux lucarnes...
"Voir"...
Je reste pur observateur, je laisse venir et repartir, j'accepte qu'il n'y ait personne ou que quelqu'un s'installe plus longtemps. Je ne choisis pas et ne veux rien. Je suis pur accueil...
"Voir"...
Il n'est pas facile d'être pur accueil. Si vous vous sentez interventionniste, volontariste, sans pouvoir vous en empêcher, soyez indulgent avec vous, tolérant, laissez venir ça aussi...
Inversement, si la visualisation ne fonctionne pas encore, si le volet n'est pas ouvert, patientez... mais si ça vous énerve, donnez un coup de pouce, faites venir un personnage par la pensée puis mettez-le en image...
"Voir".
Sixième étape : sentir
Chacune de ces personnes éveille des émotions, des affects, des sentiments. En bas, à l'avant, je peux sentir l'émotion dans mon ventre, quand il s'agit de relations sociales ; je peux percevoir des sentiments affectifs dans mon cœur, quand il s'agit d'une personne intime...
"Sentir"...
Là encore, le pur accueil de l'émotion ou du sentiment ne va pas de soi ; c'est un entraînement au laisser-venir, un apprentissage pour celui qui n'en a pas l'habitude. Mais c'est cela la "Présence Juste" dans la vie relationnelle : pouvoir être à la pure écoute de l'autre, pour un bout de temps du moins...
"Sentir"...
"Voir, sentir"...
Vous observez probablement que, face à l'autre, l'énergie de vie se loge à l’avant du corps, dans les yeux, les lèvres, le larynx, le cœur, les tripes, le sexe, les mains qui veulent aller vers ; peut-être tout le corps veut-il se laisser aller vers l’avant, vers l'autre...Ou alors, tout le corps recule-t-il avec telle autre personne, parce qu'il n'y a évidemment pas seulement des attraits, il y a aussi des retraits, des émotions et sentiments désagréables... Tout se passe à l’avant du corps.
"Voir, sentir"...
Septième étape : centrer
La position de l'énergie à l'avant du corps rend l'équilibre instable, la présence vulnérable, la personnalité fragile. Aussi je vous propose de vous centrer, équilibrer, re-centrer dans l'axe énergétique, dans l’axe en soi, en déplaçant l'énergie de l'avant du corps vers l'arrière, dans l'axe, dans la couleur, dans la force du dos...
Tout comme le haut du corps se déplace jusqu'au plafond, les sensations de l'avant du corps se glissent vers l'arrière.
"Centrer"...
Ce recentrement de la masse énergétique se fait aisément et il se passe bien autre chose en plus : je me sens moi-même face à l'autre, stable, moins préoccupé, moins menacé ou dépendant, je suis moi, droit dans mes bottes ; j'ai toute ma valeur face à l'autre, toute ma liberté...
"Voir, sentir, centrer"...
Vous constatez que vous arrivez à voir l'autre plus longuement, plus simplement, même ces personnes qui partaient (que vous faisiez inconsciemment partir) très vite. Il y en a de nouvelles qui peuvent arriver...
Ce que chaque personne fait ressentir s'atténue quelque peu, surtout quand c'est désagréable. Mais vous ressentez aussi plus fort ce qui mérite de l'être, surtout l'amour qui demande de l'engagement, et la haine qui veut du dégagement...
Ainsi nous ajustons encore mieux la présence à l'autre : voir et sentir en pur accueil tout en étant centré dans l'axe, du moins aussi longtemps que je n'ai pas décidé de ce que je veux avec cette personne.
"Voir, sentir, centrer"...
Huitième étape : communiquer
Ce n'est que lorsque j'ai bien accueilli l'autre et que je me sens pleinement centré en moi que je peux passer à l'étape active : communiquer. Et c'est avec tous les centres de communication ouverts à l'avant du corps que je peux le faire :
- regarder, au-delà du voir,
- écouter, au-delà de l'entendre, ce que je ne peux pas percevoir,
- humer, flairer, goûter,
- embrasser,
- parler, susurrer, dire ce que je n’ose pas dire,
- serrer contre mon cœur, contre mon ventre, mon sexe,
- toucher, me laisser toucher,
- envoyer l'énergie de mes paumes et des plantes... recevoir celle de l’autre,
"Communiquer"... A présent, j'ai le droit de retenir le visiteur que je veux, de le faire partir, d'en faire venir un autre, de communiquer activement...
Mais c'est de l'arrière que vient le mouvement de communication, de mon axe, il ne fait que traverser l'organe correspondant à l'avant : je reste centré dans mon énergie de vie. Je reste stable, en équilibre, sans chavirer vers l'avant ou l'arrière...
"Voir, sentir, centrer, communiquer"...
C'est probablement une sensation toute nouvelle que de sentir la communication qui part de mon centre et non de ma superficie... Est-ce que je sens la différence de ce que je fais - ou suis- d'ordinaire ?...
Voilà réellement les quatre ingrédients de la bonne présence à l'autre : voir, sentir, centrer, communiquer...
Plénarisation : le processus affectif
Ainsi se globalise aussi cette deuxième sphère relationnelle,
- avec les quatre temps de toute rencontre,
- avec les quatre lieux de la sphère, en haut, en bas, derrière, devant...
J'accède à la plénarité, c'est plein ; je ressens probablement déjà de la plénitude : ce qui vient en plus, spontanément, à contempler, c'est le sentiment affectif : convivialité, compassion, amour mais peut-être aussi peur, colère, haine... Je me laisse aller à cette contemplation, à aimer...
"Aimer"...
Le mot "spirituel" est l'adjectif du mot "esprit". Il représente ce que sécrète le cerveau et, pour l'expérimenter, il faut tout simplement mettre l'esprit dans la situation où il sécrète le plus intime de lui-même, à savoir dans le non-faire et le non-dire. Ce sont les traditions - universelles - et la science qui nous l'enseignent...
A présent, remplis de bonne énergie et de pur amour, laissons-nous progresser vers la sphère ultime, de la terre, de l'éthique, de l'univers...
Neuvième étape : la terre
En bas, nous sommes assis non seulement sur le coussin mais sur la terre, sur la planète, sur cette merveilleuse et unique demeure de l'humanité...
Nous sommes comme le Petit Prince sur le globe, ainsi que l'image omniprésente nous l'a montré... Laissons venir les images de cette terre, les bruits et odeurs de la vie, qu'il s'agisse d'évocations dirigées ou de contemplats inopinés... la nature, les animaux, les paysages, tel lieu privilégié, tel autre endroit récemment visité ou marqué par la présence d'une personne aimée.
Cette terre est matière, la même matière que celle dont je suis fait ; je suis terre : je viens de la terre, j'appartiens à la terre et y retournerai... Memento homo quia pulvis es.
"Terr'être"...
La terre me donne tout ce dont j'ai besoin pour vivre. Je suis intimement connecté à elle, dépendant d'elle... air, eau, feu, aliments, beauté... Je prends et je rends, je reçois et redonne... (je trie mes ordures !)
La terre, c'est aussi l'humanité dans laquelle je suis tout aussi intimement intégré... "Terr'être"...
Dixième étape : dire non
Cette terre, unique et en danger, me donne aussi des responsabilités.
La vie, imparfaite et fragile, m'impose aussi des devoirs...
L'éthique m'oblige parfois à dire "non"...
"Non"...
"Non" à tout ce qui met la terre, l'humanité, la vie, et la mienne en particulier, en danger...
Je pense peut-être à l'une ou l'autre situation précise dans laquelle je dois actuellement dire "non"...
"Non" à tout ce qui s'oppose aux valeurs, idéaux, engagements...
Ce "non" est un acte qui sécurise, qui rassure, qui libère...
C'est dans l'énergie de mon dos que je dis ce "non"...
Ce "non" est constructif, créatif...
Dire "non" me fait exister et être...
"Terr'être, Non"...
Onzième étape : dire oui
Et si je peux dire "non", je peux aussi dire "oui"...
C'est à l'avant, avec tous mes centres de communication ouverts, que je dis "oui"...
"Oui" aux valeurs, idéaux, engagements...
"Oui"...
"Oui" à mes modèles et maîtres qui me font progresser...
"Oui" aux croyances, à ce qui est au-dessus et au-delà de moi, à Dieu s'il existe pour moi... "Oui"...
C'est avec toute mon énergie et tout mon amour que je dis "oui"...
"Terr'être, non, oui"...
"Oui à ma démarche de progression, d'expansion, d'accomplissement...
Douzième étape : l'univers
L'énergie, l'amour et l'éthique m'outillent suffisamment pour aller enfin à l'ultime, à l'universel, au spirituel... Je suis terre, je suis aussi univers...
"Univ’être"...
Les atomes de mon corps étaient déjà là il y a quinze milliards d'années, dans le big bang...
Les atomes de mon corps seront encore là dans quelques milliards d'années, disséminés aux confins de l'univers...
"Univ'être"...
Me sentir à cet instant aux dimensions de l'infini me fait aussi expérimenter l'étincelle de l'éternel...aïon, plénitude.
Qu'est-ce alors que le mal. la maladie, le malheur, face à l'univers ?...
Qu'est-ce que la mort face à l'infini et à l'éternel ?...
Qu'est-ce qui peut encore ébranler la sérénité de cet "univ'ètre" ?...
"Univ'être"...
PLENARISATION
"Terr'être, non, oui, univ'ètre"...
"Energie, Amour, Sérénité"... "Etre"...
Mais, en attendant, la pratique reste liée au temps ! Il faut revenir ! Selon les obligations du moment :
- on restera dans cette sérénité spirituelle si rien de trop contraignant ne nous attend,
- on reviendra à l'amour du deuxième cycle si nous devons rencontrer des gens,
- on s'installera dans l'énergie plus ou moins diffuse ou centrée dans l'axe si c'est un boulot plus matériel qui est pendant.
Du reste, avec l'expérience, cette adaptation se fera globalement, comme un de ces contemplats qui nous surprendra ! Je suis tout simplement là, pleinement là.
Du reste, on n'est pas obligé de faire le grand tour, de pratiquer les trois cycles. Certains patients ont encore trop d'émotions négatives en laissant venir leurs "chères" relations, il leur faut encore de la thérapie. D'autres ne sont pas prêts pour le travail spirituel. De toute façon, le cycle énergétique est le plus simple et le plus valorisant, au risque de devenir une drogue ! Mais certaines de ces inhibitions peuvent se soigner par les protocoles spécialisés dont j'évoquerai les plus intéressants, un peu plus loin.
DIGRESSION : QU'EST- CE QUE LA MÉDITATION ?
Le texte qui inaugure la Présence Juste ( MEYER 1992) montre très clairement qu'il s'agit d'une somatothérapie et non pas d'une méditation. De toute façon, cette " auto-somatanalyse " doit rester une pratique à visée professionnelle que les patients peuvent intégrer sans aucune peur de récupération de quelque ordre que ce soit. C'est ce que j'ai observé tant chez les patients que chez les thérapeutes en formation. Et pourtant cette pratique peut déboucher sur les vécus mêmes qui adviennent dans certaines " méditations " à visée plus spirituelle comme les pratiques bouddhistes, zazen en particulier, les exercices d'Ignace de Loyola, les esquisses d'extase, mais aussi les méditations philosophiques ou new age ! La grande différence réside dans l'exploitation de la pratique : dans les dernières citées, on recherche un contenu, dans La Présence Juste, on se réfère aux processus. L'expansion du corps énergétique, l'éveil du sentiment d'amour, la sérénité de l'esprit sont les processus fondamentaux que nous traquons. Vérité, volupté et aimer sont les enjeux. Mais ces processus peuvent-ils ne pas se structurer et s'enfermer dans ces nouveaux cadres restrictifs que sont les contenus précisément ? La volupté du corps peut-elle échapper à la polygamie que préconisait C.G.Jung ? Le processus amoureux peut-il ne pas se réfugier dans la jalousie et l'exclusivité, pour ne pas parler de l'érotomanie ? Voilà l'enjeu.
C'est la libération du processus qui apporte le bien-être, le plaisir, la félicité, tandis que la structuration, elle, amène au désagrément de par le recadrage qu'elle impose à la fonctionnalité. Or, on l'aura compris, la Présence Juste œuvre à l'allégement progressif de la maîtrise (structure) pour laisser le plus de liberté possible à la jouissance (processus). Mais tel est aussi le but de la plupart des méditations, à deux détails près :
- elles maintiennent un certain cadre qui canalise les effets : on évitera la volupté sexuelle pour privilégier la félicité spirituelle par exemple ;
- elles préconisent un contenu et des objets, un dieu à aimer par exemple, pour ne pas s'éparpiller dans une succession de partenaires humains ; à la rigueur, un seul partenaire pour la vie!
Mais qu'est-ce encore que la méditation ? C'est une pratique d'intériorisation qui éveille les processus internes, à savoir les trois principaux évoqués tout du long : énergétique, spirituel et affectif. Nous verrons cela plus précisément dans la dernière partie de ce texte.
Dans ma jeunesse, j'ai beaucoup pratiqué la méditation chrétienne. Elle consiste en une posture (agenouillée puis assise) et en une lecture de texte généralement (mais aussi l'adoration du saint sacrement, ou d'une icône). Que faire de ce texte ? Exactement la même chose que du discours psychanalytique. Il faut traverser la matérialité des mots pour arriver au signifié ; il faut subvertir le symbole pour accéder à la vérité : derrière la crucifixion de Jésus, il faut ressentir son amour tout comme derrière le silence de l'analysant, il faut subodorer son sentiment transférentiel. Mais dans les deux cas se propose aussi la structuration : Jésus canalise l'amour, le concept de transfert prévient l'irruption érotomane.
Et qu'en est-il pour la Présence Juste ?
C'est le respect du protocole qui fait cadre et sécurité. Et pourtant, comme nous le verrons plus loin, on arrive à dépasser le protocole et à entrer directement dans les purs processus (avec un minimum de structure). Pour le thérapeute en formation, il y a alors occurrence et observation en direct de la création en temps réel des protections, défenses, structurations nécessaires. Et puis, un jour, il n'y aura même plus structure et seulement éveil processuel et accès à l'ordre intrinsèque : vérité, volupté et aimer. En fait, ces trois processus se structurent réciproquement de par leur seule coexistence. L'aimer structure la volupté, la vérité cadre l'aimer et la volupté informe la vérité...
La Présence Juste recrée un autre processus... celui de la méditation elle même. Elle nous replace aux origines de sa mise en œuvre, à l'origine du phénomène de civilisation, de religion, de morale.
La "Présence Juste" comme résultat est un état d'être qui allie l'ouverture, la sensibilité, la souplesse, la disponibilité au changement, la créativité. Il facilite le processus thérapeutique et la capacité de changement. L'état de présence se prête donc à des applications spécialisées tout comme l'état sophro-liminal en sophrologie, l'hypnose légère d'Erickson, le prolongement psychotactile de l'haptonomie ou... l'état de libre association et de transfert de la psychanalyse. Voici quelques-unes de ces applications.
L'AUTO-THERAPIE ET LE BOBO CHÉRI
Durant la pratique, nous pouvons ressentir des tensions, douleurs, spasmes, symptômes divers dans le corps et même le... bobo chéri. Chacun d'entre nous a un point faible où le premier stress venu, la moindre contrariété viennent s'impacter : céphalée, digestion lourde, congestion nasale etc.... Il s'agit ici des symptômes dits "fonctionnels" auxquels on se limite pour le moment et qui nous sont souvent très "chers" parce qu'ils font diversion sinon évacuation. " Chéri, ce soir j'ai mal à la tête..." A la fin du premier cycle, voluptueusement installé dans l'énergie diffuse, on se rappelle le symptôme, on entre dedans, on ressent l'espèce de rétrécissement qui se fait alors en soi jusqu'au cœur du spasme. Puis on redonne du volume et de la circulation à cette énergie en stase :
- on étire le bobo vers le bas et le dépose au sol comme le bas du corps,
- on le prolonge vers le haut, jusqu'au plafond, en même temps que la tête et les épaules,
- on l'élargit vers l'arrière, le connecte à l'énergie de l'axe et le fait circuler dans cet axe entre sol et plafond,
- on le pousse en avant et le fait sortir par l'organe de communication correspondant,
- on en fait une sphère de plus en plus grosse, de la couleur du segment du corps concerné,
- on le fait diffuser jusqu'à ne plus le ressentir.
Le bobo a disparu, s'il est de gravité légère ; il a diminué s'il est plus coriace. Quant au bobo chéri, vieille connaissance, on peut l'éliminer après quelques semaines de soins autothérapiques quotidiens.
LA GESTION D'UNE RELATION DIFFICILE
Tout comme le bobo chéri, nous nous gardons au moins une relation difficile sous le coude. Bush a besoin de son Ben Laden. Mais elle peut tout de même nous gâcher le plaisir du deuxième cycle relationnel ! Dans ce cas, à la fin du deuxième cycle, si nous sommes en bonne énergie et presque en pur amour, nous allons chercher le trublion ou le sauvageon et... devinez ce qu'on va faire :
- le "voir",
- le "sentir",
- se "centrer", et, enfin,
- "communiquer" comme on ne l'a jamais fait jusque là : bien regarder, écouter ce qu'on n'a pas vraiment entendu, dire tout ce qu'on n'a pas osé exprimer et, peut-être même, toucher, serrer, énergétiser... Après cela, ça fera sûrement moins mal, même si ce n'est pas encore le grand amour ! Puis on retournera vers un amour actuel en faisant apparaître des êtres chers pour prendre sa dose de tendresse ;
- Ou alors on rompt définitivement cette relation.
PASSER DEVANT UN JURY D'EXAMEN
Nous sommes dans la même situation qu'avec la relation difficile. L'exercice se situe à la fin du deuxième cycle, quand on a fait le plein d'énergie et d'amour. C'est là qu'on fait apparaître le jury, que ses membres soient connus ou non, et qu'on déroule la Présence Juste :
- "voir" : non pas des projections négatives du passé – d’échecs - mais des hommes et des femmes en chair et en os qui ont une tâche bien précise : évaluer, avec un préjugé bienveillant même ;
- "sentir" : évidemment que le trac s'esquissera dans les tripes, ou que les boules gonfleront dans la gorge... mais peut-être déjà un peu moins que prévu ;
- "centrer" : en tout cas, toute cette énergie "épidermique" du devant du corps sera amenée à l'arrière, dans l'énergie de l'axe, là où je sens que je connais mon affaire, que je suis "fort", que je ne me laisse pas intimider ;
- "communiquer" : puis, venant de mon centre, je peux faire les présentations, soutenir mon sujet, écouter les remarques éventuelles sans a priori négatif, laisser venir les questions en prenant le temps de les apprécier au centre et de laisser venir les réponses de ce même centre ; je peux regarder les membres du jury à partir de mon axe et leur envoyer une énergie bienveillante...
Je peux même les aimer ou du moins avoir de la compassion pour leur boulot qui n'est évidemment pas folichon, même quand c'est moi qui passe devant eux !
LES SOINS SEXO-THERAPIQUES
Les symptômes sexuels et conjugaux sont autant de bobos chéris et de relations difficiles, parfois même des questions métaphysiques. Je me permettrai d'être succinct avec la clinique.
• Erection molle, impuissance chez l'homme, anorgasmie chez la femme
(plaisir diffus, petits orgasmes mais pas d'orgasme résolutif). Il s'agit d'un manque de focalisation de l'énergie sur la sphère sexuelle, périnéale et vaginale (le plus souvent). A la fin du cycle corporel, on fera faire l'inverse du bobo chéri, à savoir une concentration de l'énergie sur le sexe. L'important, c'est d'expérimenter alternativement les états diffusés et les états concentrés de l'énergie sexuelle, puis de s'entraîner à passer de l'un à l'autre. Le principe se comprend assez facilement. Il faut du temps et de la persévérance pour que le résultat arrive.
• Ejaculation précoce, nymphomanie
Ici il y a un excès de concentration de l'énergie sur la sphère génitale. Le pénis entre rapidement en spasme éjaculateur tellement il est déjà sous tension ; la nymphomane recherche continuellement l'assouvissement sexuel, incapable d'éprouver une tendresse douce ou un amour expansé, comme l'est l'énergie de vie en fin de premier cycle. L'entraînement se fera évidemment comme pour le " bobo chéri " à partir de la tension située dans le pénis ou le clitoris.
• Médiocrité de la satisfaction sexuelle par appréhension, doute, hésitation, inhabileté
Si les paramètres habituels de la réussite sexuelle sont satisfaits (érection, retenue de l'éjaculation, plaisir clitoridien et vaginal, accès à l'orgasme) il manque l'assurance qui permet de jouir de chaque instant - en douceur ou intensité, en pause ou mouvement, parce que tout semble instable, incertain, fragile : peur de perdre l'érection tout comme de ne pas contrôler l'éjaculation, peur de ne pas être agréable à l'autre, de ne pas faire ce qu'il faudrait, de ne pas le gratifier par un orgasme vaginal... On est là dans cet état où l'énergie investit l'avant du corps (les yeux, l'épiderme, le ventre, le seul sexe) sans se connecter avec le centre énergétique de base (ano-coccygien) et avec l'axe postérieur. Avec de tels clients, on insistera sur le déplacement de la charge énergétique vers l'arrière, sur le centrage, comme cela s'effectue au 3eme temps du deuxième cycle. On pourra aussi recommander cet exercice dans le couple, avec de simples caresses et une attention particulière à ce que le récipiendaire puisse se concentrer sur cette translation énergétique vers l'arrière et donner des indications pour faciliter l'apprentissage.
• Médiocrité de la satisfaction sexuelle liée à un(e) partenaire trop impressionnant(e)
Pour aimer, ou du moins être amoureux(se), on choisit souvent un(e) partenaire qu'on admire, qui impressionne, le prince et rien de moins. Mais, dans la sexualité, ce décalage personnel et/ou social peut déstabiliser (éjaculation précoce, anorgasmie) ou inhiber (anérèction, vaginisme). Après avoir analysé et reconnu cette réalité et lorsqu'on veut néanmoins l'assumer, il s'agit de le faire comprendre au corps et à l'âme aussi ! Un travail de gestion de cette relation difficile peut apporter son aide, avec les précisions apportées par l'entraînement au " passage devant un jury d'examen " !
APAISER L'ANGOISSE METAPHYSIQUE
Nous avons aussi quelques questions métaphysiques en suspens pour ne pas bronzer idiot. La maladie, les inégalités, l'injustice (en particulier celle qui m'est arrivée dernièrement !), la guerre, l'ignorance, et j'en passe, sans oublier l'existence ou la mort de Dieu et... l'étouffement annoncé de notre planète.
Ça fait un peu snob de l'évoquer, mais ça gâche réellement la vie ! Eh bien, ne plaisantons pas ! Nous n'aurons pas la réponse définitive ici, mais nous pouvons nous mettre dans un état de présence qui diminuera l'angoisse et rapprochera la réponse. Evidemment, nous nous mettrons d'abord en bonne énergie puis en amour avant de nous coltiner "la" question revêche qui nous ravit... notre sérénité ! On se plantera devant elle :
- comme un terrien, en "terr'être",
- on dira "non", à ce qui nous semblera complaisance personnelle,
- on osera le "oui" à ce qui apparaîtra comme les choses à faire, oui à celui qui a déjà terrassé la question avant nous, au maître, éventuellement à la foi en...
- on s'élargira aux dimensions de l'univers pour sentir de si loin si la question est encore audible...réelle !
"univ'être". SUPERVISION ET AUTOVISION
Sigmund Freud se retirait (presque) tous les soirs dans son bureau pour réfléchir aux séances de la journée et prendre des notes. Voilà un bel exemple... à suivre. Mais, comme Somatothérapeute, il n'y a pas que la réflexion intellectuelle qui doive ponctuer notre travail, il y a aussi une post-élaboration plus spécifiquement somato- pour l'assurer et l'enrichir, ce travail. La Présence Juste est l'un des moyens privilégiés. Nous l'apprenons durant les ateliers de supervision pour pouvoir l'utiliser seul chez soi en " autovision ". II s'agit de se mettre en Présence Juste et de revenir sur le travail de la journée.
Après le premier cycle, bien installé dans l'énergie diffuse et l'axe en soi, je me replonge dans telle ou telle séance et j'essaye de préciser :
- étais-je dans une " bonne énergie " avec ce patient, ou alors dans quoi d'autre et pourquoi ?
- est-ce que ce patient modifie mon état d'être énergique du départ, et dans quel sens ? en mieux ou moins bien ? quel est le message à recevoir d'une telle modification ?
- est ce que je fais tout ce que je peux pour être dans une " bonne énergie " en travaillant ? que pourrais-je faire pour cela ?
On peut consacrer cinq minutes à cette première intro-vision. Puis on se plonge dans le relationnel du deuxième cycle jusqu'à l'amour et consacre encore cinq longues minutes à retrouver les émotions et sentiments qui s'éveillent avec les patients de la journée. On s'aide du même protocole très simple :
- quels étaient l'émotion, le sentiment, l'ouverture affective dans la journée, dans le travail thérapeutique en général, et pourquoi ?
- quelles sont les modulations que provoque tel ou tel patient sur cette sensibilité de base, en plus ou moins, en mieux ou pis ? en suis-je vraiment conscient ? suis-je cohérent ?
- quels sont ces messages que je reçois là par rapport à ces relations thérapeutiques / analytique ?
- qu'ont-ils à faire avec mon projet d'alliance thérapeutique, d'empathie, de contre-transfert ?
En réalité, il ne s’agit pas de retomber dans la réflexion intellectuelle mais seulement de ressentir et de conscientiser. La référence aux qualités de " l'accordage " (alliance, empathie, transfert) est tellement basique qu'elle peut rester intuitive. Après cette deuxième autovision, on peut progresser dans le troisième cycle, ultime, spirituel, éthique. On parcourera les étapes neuf à douze jusqu'à la vérité de l'être et fera retour sur la pratique thérapeutique :
- est-ce que j'ai des valeurs qui informent mon travail, une base de travail plus large que le seul énergétique ou affectif ?
- si oui quel patient me permet de m'y référer et quel autre m'oblige à rester le nez dans le guidon, et pourquoi ?
- est-ce que la connexion à la vérité peut faire projet dans telle ou telle cure, et comment ?
Il serait évidemment incohérent de retomber dans du savoir à la fin de cette autovision. Le but ultime et idéal consiste à être dans la présence, dans la pure présence, dans cette attitude d'être qui laisse les processus se dérouler pour éveiller les ressources correspondantes et accéder à l'ordre intrinsèque.
Ces quelques exemples d'applications spécialisées - très simples - doivent montrer que "l'entrée en Présence Juste" est une attitude de base qui permet de "s'ajuster" à des situations nouvelles ou mal engagées. C'est aussi l'attitude fondamentale propice au changement, potentialisant toute psychothérapie concomitante - c'est d'ailleurs l'un de ses buts. Et, pour ne pas en rester à de la fausse modestie, j'ajouterai que la Présence Juste, telle qu'elle est définie à travers le protocole, est l'attitude fondamentale dans la vie. Plus je pratique personnellement, plus j'expérimente la réalité de cette chose, plus je me rends compte que c'est la bonne attitude. Je peux ajouter que j'ai fait plus de progrès avec la Présence Juste qu'avec le travail émotionnel et même l'analyse individuelle. Mais on ne rencontre la bonne pratique - tout comme le bon thérapeute - que lorsqu'on est prêt !
Il nous reste à envisager deux faits importants pour faire le tour de cette présentation très pratique de la Présence Juste : l'évolution personnelle lors d'une utilisation régulière et l'organisation de son enseignement à des patients.
Dans la mesure où la Présence Juste favorise l'éveil énergétique, la subversion du schéma corporel, les modifications de l'état de conscience, et cela dès le premier cycle, on ne proposera pas cet entraînement à tout le monde. Il y a un danger pour les structures de personnalité trop rigides (schizoïde, borderline, paranoïaque) pour ne même pas parler des psychoses aigües. Ainsi une voyante de quarante cinq ans avait-elle visualisé l'étirement vers le haut, à la deuxième étape, comme un ballon d'enfant qui s'était détaché brutalement du cou et avait foncé jusqu'au plafond ne restant rattaché au cou que par la classique ficelle. Heureusement qu'elle est restée rattachée par cette cordelette ! La patiente a spontanément abandonné cet apprentissage !
Il y a quatre temps à l'irruption de la Présence Juste dans une vie, les quatre temps de la "pulsation" qui est, en somatanalyse, l'unité de vécu et la mesure du processus thérapeutique, au-delà des seules pulsions freudiennes et émotions reichiennes. Ces quatre temps sont : pulsion, émotion, intégration, maturation.
1. Pulsion, ou action
II faut une impulsion pour pratiquer la Présence Juste. Plus précisément, il faut un besoin (à distinguer de la demande (à déchiffrer !) et du désir (à laisser en l'état !)). On se rappellera que deux grands besoins ont ponctué la création de la Présence Juste : échapper à l'angoisse du télésiège bloqué, remplir le vide laissé par la perte affective...
Le besoin peut-être plus banal, sous la forme d'un simple symptôme fonctionnel, mais il faut savoir que la souffrance plus exceptionnelle - même si elle ne sert à rien en elle-même -prédispose généralement à une grande disponibilité, à un lâcher-prise profond qui favorise de rapides progrès du côté de l'énergétique et des états de conscience.
Il faut aussi des impulsions pour s'entraîner régulièrement puis pour approfondir. Cette dernière motivation provient des premiers résultats encourageants. Le premier cycle est très puissant et la plupart des apprentis ressentent très vite des phénomènes énergétiques au-delà de la seule relaxation, des contemplats visuels et mentaux au-delà du seul apaisement de la pensée. Sur dix patients qui démarraient l'entraînement de 10 séances, deux arrêtaient prématurément, quatre autres avaient suffisamment de résultat pour continuer seuls et les quatre derniers revenaient pour une nouvelle séquence de 10 séances afin d'atteindre le niveau d'auto motivation. Ces résultats me semblent bons et réconfortants quoique modestes.
2. Emotion, affect, jouissance, gratification
Je l'ai déjà évoqué, le protocole est très puissant et provoque des lâcher-prise rapides - même en dehors des grandes épreuves personnelles ! C'est ce que montre l'entraînement des somatanalystes en formation. Ces premiers résultats entretiennent la pulsion et la motivation. Mais ils constituent aussi la deuxième vague de difficultés (après la démotivation). Comme le montre l'exemple de la voyante, les processus de conscience modifiée et d'éveil énergétique peuvent surprendre, déstabiliser et même faire peur.
Ils peuvent renvoyer à la psychose anti-secte qui plombe à nouveau notre époque. Mais, pour nous, il s'agit tout simplement de vécus auxquels le patient n'est pas encore préparé et pour lesquels nous devons exercer une vigilance particulière. Il n'y a pas vraiment de danger de décompensation puisque le patient agit en toute liberté et selon ses capacités propres. Mais une bonne volonté pourrait être bloquée pour longtemps si un tel trauma n'était pas débriefé ! Le début de chaque séance d'enseignement commence par ce débriefing, par le tour de parole qui permet - sans obliger - à chaque participant de décrire ce qui se passe pour lui. Il faut aussi avoir l'œil et le feeling, au-delà de la seule écoute.
3. L’intégration
L'être humain est un système pluriel et complexe, constitué de douzaines de paramètres, et cherchant constamment à créer l'équilibre de ce système : homéostasie, homéoesthésie. égalité d'âme etc.... Lorsque l'un des paramètres change, les autres doivent s'adapter, compenser, pour rétablir l'équilibre.
Or la Présence Juste fait bouger certains paramètres, les autres doivent donc se "réajuster".
Nous avons déjà insisté sur le fait qu'il ne suffit pas d'enlever seulement de la tension (relaxation, apaisement, prise de distance) mais qu'il faut rééquilibrer en ajoutant (volupté, amour, vérité). On enlève du côté musculaire, on rééquilibre du côté végétatif (énergétique). On cède sur la maîtrise, mais c'est pour se réassurer avec la jouissance.
A moyen et long terme, ces réajustements prennent de l'ampleur, aux différents niveaux corporels, psychiques et relationnels, Dans le corps, on expérimente peu à peu les effets subtils de l'alimentation, de l'alcool ou de l'état de fatigue sur la qualité de la présence, sur le bien-être en général. Trop manger, boire trop d'alcool, être trop fatigué réduisent les bienfaits de la pratique et inversement. Alors on change peu à peu son mode de vie.
Au niveau psychique, on se met à apprécier le champ de conscience qui s'élargit, l'état de conscience qui ne reste pas seulement focalisé par le petit bout de la lorgnette mais qui se globalise par son grand bout. Comment réajuster ? En acceptant de modifier un certain nombre de conceptions, étroites et focalisées jusqu'à présent, élargies et complexes pour l'avenir : en gros, ce changement de la philosophie de vie fait déplacer le centre d'intérêt de l'extérieur vers l'intérieur et de l'intellect à l'affectif et au spirituel, tout en y injectant une autonomie nouvelle qui protège de toutes sujétions ou sectarismes.
Au niveau relationnel, on observe tout autant que certaines personnes enrichissent notre évolution alors que d'autres l'entravent, que certains cadres de vie - professionnels ou culturels - aident alors que d'autres inhibent. Les choix de vie se font ici aussi, même si la prise de conscience ne se fait qu'après coup le plus souvent.
Pour mes patients, j'avais organisé un "deuxième degré" pour ceux qui utilisaient la méthode depuis un à deux ans. Certaines évolutions ont été rapportées, en particulier des tiraillements avec des proches qui ne pouvaient pas - ou ne voulaient pas - accepter les modifications en cours et la peur que cela ne provoque des séparations... non souhaitées.
4. La maturation
Si on laisse du temps entre deux séances de psychothérapie, et surtout entre deux week-ends de somatanalyse de groupe, c'est pour donner du temps au temps, pour respecter la durée que prend le changement. Car ça "murine" (lapsus d'un patient qui me reprochait de le laisser "muriner" (mûrir-mariner). Ça mature en arrière-fond, à la base. La démonstration la plus évidente vient de la survenue de plus en plus spontanée des effets de la Présence Juste. On y entre tout seul, on est là, plein, juste, en se réveillant, au volant de sa voiture, face à telle personne. Des formes de plus en plus diverses d'éveil énergétique surviennent toutes seules, dans le ventre, dans la tête, en faisant l'amour, en testant le beaujolais nouveau - avec modération ! On oublie même de pratiquer ou, plutôt, on n'a plus besoin de pratiquer selon le protocole. Et les ajustements compensatoires évoqués ci-dessus ne posent plus problème; ils sont évidents et très simplement accueillis ; c'est à prendre ou à laisser ! La locomotive de James Bond a pris son envol et trouve d'autres lieux de régulation et de sustentation que les rails.
C'est ailleurs que ça se passe à présent.
Pour éviter qu'une relation affective avec le formateur ne vienne interférer avec l'apprentissage -parce que nous ne sommes pas en thérapie ici où l'on analyse et perlabore la relation affective - on propose l'entraînement à la Présence Juste dans un groupe. Selon le local, ce groupe peut aller de 3 à 4 personnes jusqu'à une bonne douzaine. Au-delà, on risque de ne plus suivre suffisamment l'évolution de chaque participant.
La séance dure de 60 minutes pour un petit groupe à 90 et 100 minutes pour un grand groupe. Il ne faut pas que cela devienne une thérapie de groupe en étant trop long. La séance est divisée en quatre séquences :
- tour de table avec restitution des vécus et présentation de la nouvelle étape (20 à 30 minutes),
- pratique : du début jusqu'à la nouvelle étape incluse (15 à 25 minutes),
- restitution des vécus (10 à 20 minutes),
- nouvelle pratique accélérée (5 à 10 minutes) et départ en silence.
L'apprentissage complet se fait en trois cycles distincts :
- entraînement de base aux sphères corporelles et relationnelles, ces deux cycles ne présentent aucune équivoque quant à la dimension thérapeutique, hédonique et humaniste ; on peut proposer une dizaine de séances étalées sur 4 mois : au début, fréquence hebdomadaire, puis espacement de 15 jours ;
- entraînement de base à la sphère universelle et spirituelle, dans la foulée ; l'une ou l'autre personne peut y renoncer, ne voulant pas encore aller... là ! Quatre séances ; là aussi, on commence toujours au début et l'on approfondit donc les deux premiers cycles ; séance toutes les 2 puis 3 semaines ;
- après un an, deuxième degré, où l'on reprend le tout en l'approfondissant ; la séance dure 100 à 120 minutes et la pratique centrale s'allonge à 45 minutes avec de moins en moins d'accompagnement verbal par l'enseignant ; 3 à 4 séances espacées d'un mois ;
- si on en a la possibilité, séances isolées de reprise, tous les six à douze mois.
Quand on s'est beaucoup entraîné à la relaxation, de Schultz par exemple, la vague de détente traverse le corps dans les secondes qui suivent la mise en condition, à la seule évocation de l'induction: lourd, chaud ....
Quand on s'est autant habitué à '' l’arc énergétique " des orientaux, repris par Lowen comme '' position de l’axe ", les secousses musculaires s'ébranlent dès la prise de posture et les vibrations énergétiques s'ensuivent rapidement.
II en va de même ici : la présence juste s'installe vite. La locomotive n'a même plus besoin de sortir ses ailes. Il n'y a même plus de locomotive nécessiteuse de rails. Il suffit d'une prise de posture, de l'ajustement de la présence, et il s'ensuit des effets rapides et presque automatiques. Il suffit que la posture adéquate s'accompagne d'une respiration élargie, de calme mental et d'une certaine intériorisation et... ça vient.
La pratique " hors protocole "
Plus besoin de protocole, ça se fait '' hors protocole ", comme le ski se fait " hors piste "' et le cyclisme dans les cols "hors catégorie". Ça descend tout seul, ça grimpe (presque) gaiement. En réalité la technique du sportif s'applique encore plus ici et, à ce niveau, c'est même de l'art, du grand art.
Aussi ne peut-on pas dire qu'il n'y a plus de protocole, qu'il n'y a plus les trois cycles avec leurs quatre points cardinaux. Ça continue à glisser presque tout seul (posé), à grimper tout aussi aisément (grand). En fait, il faut bien comprendre que le protocole de la Présence Juste n'est pas une " structure "' mais, au contraire, un ensemble d'actings qui allègent les structures. Abandonner le bas du corps au sol, laisser monter le haut du corps vers le soleil comme un arbre qui y cherche la chaleur, ça fait lâcher la structure corporelle. Par contre, l'application compulsive des actings du protocole peut devenir rigide, rituelle, structurante, et donc étouffer le processus à éveiller. De là, les sempiternelles recommandations de toutes les traditions : il ne faut pas vouloir, pas maîtriser, mais lâcher-prise ; pas de saisie ; abandonnez-vous à la volonté (de dieu ou du maître,) soyez humble et modeste, prenez la position basse.... En fait, le " hors protocole " n'est autre qu'une attitude plénière déjà acquise qui intègre directement les effets des actings sans avoir besoin de les conscientiser longuement.
Et ce qui s'observe alors en soi, c'est l'avènement de phénomènes quasi spontanés que nous appellerons " purs processus " ; c'est de la vivance sans guidance, de la jouissance sans maîtrise, du fonctionnement sans structure. Nous savons déjà que guidance, maîtrise et structure ne sont pas absents mais tout simplement inutiles à ce moment là parce que le processus se déroule dans son "ordre intrinsèque ", tel qu'il le faut, tel qu'il le fait depuis des milliers d'années chez l'être humain de toutes cultures et de toutes régions du globe. En effet, les "purs processus" qui s'actualisent sont universels et il n'est pas anodin que la Présence Juste y accède comme toutes les autres pratiques de ce genre, de relaxation poussée, d'éveil énergétique et de méditation. Evoquons les trois principaux de ces processus, l'énergétique, le véridique et l'affectif.
Le " pur processus énergétique " est bien connu des somatothérapeutes et des méditants et même du vieillard qui prend le soleil pendant des heures, devant sa maison. Je m'assieds en tailleur, la colonne droite, dans mon petit coin bien calme, lâche la tête et me tourne vers l'intérieur. Après une à deux minutes, un endroit du corps se met àse remplir d'une douce énergie, àpulser cette sensation au-delà, à la diffuser dans tout le corps.
Dans les premières années de pratique, ça s'éveillait d'abord dans le périnée et montait sagement le long de la colonne comme l'enseigne l'Orient avec son image du serpent kundalini. Arrivé dans le crâne, le serpent y répand une douceur qui se transforme en félicité et prend la place de la pensée. Puis elle se déverse dans le reste du corps en descendant très lentement. Aussi longtemps que je peux rester dans cette pure douceur et cette absence de pensée, c'est divin.
Après quelques années, ça s'éveillait plutôt dans le crâne et, au début, je loupais cet éveil parce que je l'attendais ailleurs, en bas. Maintenant, ça peut démarrer n'importe où, à condition de ne pas attendre à un autre endroit !
Tant que c'est pure douceur, circulation lente et diffusion totale, clarté et couleur, la volupté est maximale. Parfois je sens des soubresauts dans le tronc comme des extrasystoles. D'autres fois cela se stabilise, se répète, entre dans une certaine routine. Il y a dans ce dernier cas un retour de structure qui prend le pas sur le processus... Je peux alors arrêter la pratique et retourner à mes occupations ou recourir au protocole pour recommencer selon les règles... Mais je me sens en tout cas transformé et tout autre pour aborder à nouveau l'extérieur.
Le pur processus spirituel ou "nature de l’esprit"
C'est quand le mouvement énergétique submerge plus massivement le cerveau, au-delà de la douceur et de la félicité évoquées ci-dessus, que la structure mentale cède dans des manifestations très proches du tunnel noir, mais néanmoins atténuées : obnubilation de l'esprit, envahissement par une obscurité plus ou moins opaque, déferlement de la vague d'endormissement qui nous emporterait vers le sommeil comme dans un brouillard noir. Quand on sait résister au sommeil et qu'on reste dans la posture, on sort lentement de l'éclipse et découvre la clarté, la lumière, l'éclat du soleil. Le cerveau devient lui-même lumière, soleil et rayonnement. Il faut qu'elle sorte, cette lumière, qu'elle se répande, enrichisse alentour et entourage, se renforce dans la lumière du maître que l'on peut visualiser en face de soi. Parfois ce sont de pures plages de couleur, vives et lumineuses. Puis ce flamboiement envahit le reste du corps en descendant lentement de centre énergétique en organe de communication selon le cheminement évoqué dans le protocole (cycle 1, étape 4) transformant tout le corps en corps de lumière.
Une grande volupté accompagne cette lumière et la présence reste juste ; on est là, présent, capable d'intégrer ce qui peut se passer d'imprévu. II s'agit de rester dans cette présence plénière, riche et sobre à la fois, exaltante et simple tout autant. C'est “pur ” processus, sans forme, sans structure, sans intention ni but hors du temps, sinon éternel. C'est, tout uniment.
Selon le contexte de vie (période calme ou préoccupée), cet être de lumière et de jouissance se maintient plus ou moins longtemps. Si on s'écarte de ce pur état d'être, la structuration se réinstalle et c'est, paradoxalement, en passant à la production imaginaire (les images ayant des formes et les pensées s'inscrivant dans des concepts et des mots).
Alors s'imposent des images, des personnages (cycle II étape 5), des paysages (cycle III, étape 9), des considérations éthiques (étapes 10 et 11), des intuitions plus ou moins essentielles (étape 12). Pour les personnes qui ont une visualisation prédominante et une créativité débordante, il y a incursion dans le paradis de l'E.M.I. avec la luxuriance qui sera décrite dans la troisième partie du livre.
Mais c'est la dimension affective qui caractérise fondamentalement ce qui correspond ici au quatrième palier de l'E.M.I... Quand la lumière descend dans le corps jusqu'au cœur, elle allume un sentiment d'amour ineffable. En fait, on accède là à un troisième processus hors structure, le " pur processus affectif ".
Le " pur processus affectif " ou "l’intime du lien"
C'est lui d'ailleurs qui vient redonner les formes aux images, les visages aux personnages, le paradisiaque aux paysages. L'affectif se libérant de plus en plus fait advenir ses objets privilégiés: les êtres aimés, vivants et morts, les ambiances de rêves amoureux. Lorsqu'il y a évocation d'événements de vie, ces événements sont ressentis comme augmentant ou diminuant le sentiment d'amour et prennent ainsi une couleur morale. S'ils l'augmentent, ils étaient bons ; s'ils le diminuent, il y avait faute. Nous sommes ici aux origines des processus les plus nobles de la civilisation : sentiments sociaux, éthiques, mystiques et religieux. Qu'il y ait sécrétion d'ocytocine, la toute nouvelle hormone de l'amour, comme il peut y avoir libération d'endorphine dans le " pur processus énergétique " et de mélatonine dans l'obscurité de l'esprit, ne change rien à l'affaire. Ce serait plutôt plus rassurant que d'en rester au " meurtre du père ", ce mythe freudien qui aurait présidé à la naissance de la civilisation !
Puis se précise le point de (non) retour, sous des formes diverses : fin du temps de séance programmé, retour d'une vigilance qui dispose à retourner à ses occupations, sensation d'achèvement de la pratique ou, plus prosaïquement, irruption de la vie extérieure qui nous rappelle à nos responsabilités citoyennes. Mais on se sent bien, profondément calme, stable et assuré, heureux dans son corps, serein dans sa tête, aimant dans son cœur. Et cela, c'est un changement intense qui transforme toute la période qui va suivre, puis toute la vie, imperceptiblement. La valeur thérapeutique / analytique de cette pratique découle de là. L'efficacité, si tant est qu'il faille la rechercher, se déduit des trois effets suivants :
- durabilité de cet état de bien-être,
- justesse de la présence à la situation sociale (ou familiale) dans laquelle on retourne,
- empathie et bienveillance, sinon amour, envers les personnes que l'on retrouve.
Ces trois qualités sont autant de critères qui nous permettent d'évaluer si l'on pratique correctement, dans le but de s'ouvrir aux autres et non pas pour se replier sur soi.
Je voudrais revenir sur le troisième et long écrit publié dans " La dimension spirituelle en psychothérapie, corps et transpersonnel " où j'annonçais tout simplement une "méditation scientifique et humaniste". Pour ma part, cela me semblait légitime, vue la procédure très méthodique de l'expérimentation ; on s'assied puis.... ça arrive... et.... De plus les actings du protocole sont des techniques somatothérapiques. Mais un doute subsistait quant à l'accueil qui pourrait être fait à cette prétention... scientifique. Aujourd'hui, grâce aux concordances établies avec les purs processus libérés dans l'expérience de mort imminente, avec les étapes de la psychose aiguë, tous thèmes que nous développerons plus loin, avec l'inconscient de Freud et l'inconscient collectif de C.G. Jung et même les sécrétions (neuro-) hormonales, ce doute recule grandement. Plus que jamais je propose cette hypothèse exaltante de l'unité profonde de tous ces mécanismes autour de la valeur universelle de ces trois états de "pur processus" énergétique, spirituel et affectif. Et je ne veux pas me priver d'illustrer encore cette réalité avec l’enseignement que je donne depuis longtemps aux élèves : " l'affectif est sans structure, il n'a que des garde-fou ". Bien sûr, puisque l'affectif est un pur processus !
La Présence Juste est donc une démarche psychothérapique scientifique. Elle s'intègre dans la conception humaniste de la psychothérapie qui privilégie la relation, la liberté et le respect, sans négliger la méthodologie que requiert la conception médicale de notre profession.
Nous n'essayons en rien de pousser la psychothérapie du coté de la méditation prise au sens populaire du terme, trop souvent connotée de religieuse ou d'ésotérique. Encore que le cognitisme ne se gêne pas à intégrer la méditation sous son vocable anglais : mindfullness. Nous montrons seulement, et faisons découvrir, que les fonctions les plus profondes de l'esprit ne s'expérimentent que par... l'assise silencieuse.
Enfin permettons-nous de clore avec une réflexion grave et... bien nécessaire. En cet été 2002 où l'Europe Centrale, la Chine et bien d'autres régions du globe sont submergées par les eaux, au moment de la grande conférence de l'O.N.U. sur l’environnement à Johannesburg, il devient de plus en plus évident que la part '' rationnelle, intelligente, technique et capitalistique " de l'être humain est en train de détruire la planète et de... s'autodétruire. Il faudra bientôt reconnaître que le " logos " montre dangereusement ses limites, ce " verbe " dont on fait encore la panacée en certains endroits. Mais il nous reste, fort heureusement, la richesse énergétique, spirituelle et affective, à savoir l'âme, cette " Seele '" dont parlait Freud (et non pas " psyché "' comme le veut la mauvaise traduction française), le Soi de Jung, la " connexion en soi " selon notre appellation. Il nous reste le corps et l'âme, la volupté, l'aimer et la vérité qui n'émettent ni CO2 ni bombes intelligentes.
Chapitre 5 : Corpus théorique pour corps thérapeutique Somatanalyse, Somatothérapie, un premier champ d’intégration
La somatanalyse a été enseignée à près de mille professionnels de toute l’Europe et d’Afrique du Nord. Elle se pratique bien plus encore sous d’autres formes très proches, certes moins systématisées mais d’autant plus inventives, souvent cantonnées au pays d’origine et d’autant plus difficiles à transmettre. C’est intégrée dans le vaste champ de la Psychothérapie Plénière, qu’elle trouve sa juste place, un peu effacée mais d’autant plus efficace.
Notre but, ici, n’est pas la promotion de la somatanalyse mais l’exposé de son exemplarité pour la démarche intégrative. Elle n’est pas seulement un modèle de recombinaison cohérente de techniques existantes mais encore un exemple d’évolution vers une forme propre et de constitution d’une nouvelle psychothérapie. Fort heureusement elle ne s’est pas refermée sur elle-même. Elle a rapidement postulé à une nouvelle classe de méthodes : la somatothérapie. Très vite, je me persuadais que s’il y a une somatanalyse, il doit y avoir une catégorie plus large, la somatothérapie et, tant qu’à faire, une science correspondante, la somatologie ! Le mimétisme a fait son œuvre – psychanalyse, psychothérapie, psychologie - encore fallait-il oser y céder car tant d’arrogance ne suscite guère la sympathie. Quand j’ai intégré l’haptothérapie dans la classe des somatothérapies (en référence au toucher haptonomique) Frans Veldman m’a excommunié et tous ses livres contiennent au moins une diatribe contre la somato- ! Et je le lui rends de temps en temps comme on le lira dans quelques pages !
Le besoin d’intégration était là dès le départ mais il aura fallu un quart de siècle pour réaliser la première étape, du corps en psychothérapie, du corps « qualitatif », du corps de maîtrise et de jouissance. La société a mis ce corps à la disposition des thérapeutes, prudemment, progressivement : d’abord le corps du mouvement, de la posture, de la détente, il y a cent ans ; puis le corps émotionnel de Reich, Janov, Casriel ; et encore le corps sensuel du massage, de la sexothérapie ; enfin le corps « transpersonnel » des états de conscience modifiés et de la méditation pour, finalement, oublier le seul corps au profit de la globalité de l’être, de l’holanthrope.
Freud avait touché le corps avant de se retirer à distance canonique. Il a dissuadé Ferenczi de le faire et a pu le neutraliser. Reich, lui, il a fallu le renvoyer. La nouvelle loi française qui réglemente le titre de psychothérapeute est une nouvelle entrave pour le corps en thérapie. Mais, bien que marginalisée officiellement, la somatothérapie se répand, mieux encore elle oblige la psychothérapie à se remettre en question, à accepter, par exemple, ses trois champs d’application principaux (psychothérapie, sociothérapie, somatothérapie), à s’inscrire dans un historique et des classifications dont on verra un des tableaux plus loin.
Le nouveau champ somato- est très expérientiel et produit volontiers des études cliniques, ou du moins des descriptions de cas cliniques. Nous en avons proposé trois ci-devant. Lacan, par contre, n’a jamais décrit de cure…. Son cas Aîmée n’étant qu’un tableau diagnostique et théorique. J’ai aussi rédigé de longues présentations de groupes thérapeutiques et, dans ce livre, on retrouvera une belle dynamique de groupe qui illustre la naissance du « somatodrame », créé par Wasilis Zanichas, psychiatre d’origine grecque. Certes, les cas cliniques ne sont pas des validations, et encore moins des preuves ; ils ne sont que des illustrations des méthodes et théories. Mais les professionnels déduisent bien plus de ces textes : ils se laissent convaincre ou se méfient, dans une appréciation « molle » comme cela se fait dans les sciences humaines réputées telles.
Toujours est-il que la production de cas cliniques et leur diffusion dans le monde professionnel est un véritable acte scientifique. Les mémoires de fin de formation de mes élèves doivent tourner autour d’une telle présentation.
Puis vient le temps de la concrétisation théorique. Il est bien entamé en somato-. Nous avons déjà reçu le nouvel enseignement sur la dynamique de groupe. Nous avons annoncé la théorie des « purs processus inconscients » qui se complètera plus loin. Les explications calmeraient-elles les craintes que suscitent les pratiques ? Bien au contraire. Autant les professionnels peuvent se laisser séduire par une nouvelle technique qu’ils pourraient ajouter à toutes les autres, autant ils rechignent à voir leur bel édifice conceptuel menacé ! De mettre « l’illusion groupale » en question m’a valu cette merveilleuse réplique d’un de mes éditeurs :
« En France, on n’attaque pas Didier Anzieu » !
Résumons. Autant les trois Somatanalyses sont d’excellentes méthodes – pour séquences longues et moyennes de la cure séquentielle – autant elles sont un premier jalon dans notre démarche intégrative. Nous possédons à présent un très beau sous-ensemble de notre puzzle. Et pour lui ajouter encore quelques morceaux supplémentaires, je propose un texte sur la méthodologie et l’épistémologie de l’intégration. Ce texte a quinze années d’âge mais n’a pris aucune ride depuis. Il est extrait du livre « Les Somatothérapies » édité par Masson/Simep en collaboration avec G. Liénard.
"L'irruption du corps en psychothérapie est un événement majeur, non seulement pour la pratique psychothérapique elle-même mais encore pour sa compréhension. Et comme la psychothérapie est actuellement l'un des laboratoires les plus féconds de la psychologie, la recherche sur le corps en thérapie est aussi un lieu privilégié des sciences humaines. En voici deux exemples.
Les quatre temps de l’histoire des somatothérapies
Nous venons d'évoquer rapidement l'une des nombreuses acquisitions issues de cette démarche : l'observation de quatre temps successifs dans l'histoire des somatothérapies occidentales ce qui ouvre une hypothèse passionnante, à savoir qu'il y aurait les quatre mêmes étapes dans le développement de l'enfant, les temps du :
- corps fonctionnel (mouvement, posture, tension-détente),
- corps émotionnel,
- corps sensuel,
- corps transfonctionnel (des états de conscience modifiés).
Un autre apport scientifique nous vient du travail de classification qui s'élargit à toute la psychothérapie (prise au sens large) après en avoir proposé la distinction fondamentale en:
- psychothérapie (prise au sens restreint de thérapie basée sur les processus psychiques et verbaux),
- sociothérapie (thérapies basées sur la dimension sociale : couple, famille, institution, groupe thérapeutique),
- somatothérapie (basée sur les processus somatologiques).
Cette mise en parallèle des trois grandes classes de (psycho) thérapie nous permet de postuler la « loi d'équivalence fonctionnelle » entre les trois niveaux où se déroulent les processus thérapeutiques, les niveaux psycho-, socio- et somato-logiques : les processus thérapeutiques essentiels sont les mêmes aux trois niveaux. En conséquence, il se passe fondamentalement la même chose, que l'on travaille en psycho-, socio- ou somato-thérapie.
La fécondité de ces découvertes nous pousse à croire que la somatothérapie joue un rôle analogue à celui de l'ethnologie. L'étude des sociétés traditionnelles nous donne un aperçu basal de l'organisation des sociétés parce qu'elles sont non pas élémentaires mais centrées sur l'essentiel, contrairement à nos sociétés occidentales où la complexité ne permet d'extraire que difficilement les choses fondamentales. Les somatothérapies nous donnent elles aussi accès à l'essentiel, grâce au corps, alors que le verbe et le discours travestissent déjà bien trop le fonctionnement humain. Dans ce chapitre, nous assistons à une autre illustration de cette fécondité de la démarche somatothérapique.
Car il s'agit d'une démarche bien structurée, à la fois méthodologique et scientifique, que cette mise en évidence du fait « somatothérapique » qui transcende les individus et les écoles pour ne se centrer que sur un fait, sur « le corps en psychothérapie ». tout le corps, rien que le corps.
Une théorie pour le corps ?
Aujourd'hui il s'agit du corps de doctrine, du corpus théorique. Ici aussi le regard naïf du somatothérapeute voit des choses neuves, une autre histoire, d'autres développements. La classe psychothérapique actuelle est tellement obnubilée par la prééminence que prend la théorie psychanalytique qu'elle en rajoute et traduit la célèbre formule de Freud dans un lapsus révélateur : quand Freud compare la psychanalyse à l'or et les psychothérapies au cuivre, parce qu'alliées à la suggestion, les disciples parlent d'or et de plomb. Le plomb est vil, mais le lapsus traductori est encore plus vilain.
Sortons donc notre calepin d'ethnologue et notre magnétophone, notre caméscope faudrait-il ajouter pour faire moderne. Car ce sont les mouvements les plus élémentaires, les plus basaux de la démarche théorique que nous pouvons observer ici. Et d'abord le départ, la cause, le besoin de théorie.
Pourquoi théoriser, en effet ?
Rappelons-nous le bref historique que nous avons esquissé. Nous y avons vu des hommes de terrain, des expérimentateurs, des cliniciens aux prises avec la pratique. Cela ne marche plus ? Alors on trouve autre chose, De nouvelles pathologies éclosent-elles ? Voilà qu'on crée des réponses idoines. Le courant psychanalytique, replié sur le psycho-, sur le verbal, est-il confronté à un reste ininterprétable ? On introduit le corps, la mise en acte et le contact cathartique (Ferenczi), le massage de la cuirasse musculaire et l'énergisation respiratoire (Reich). Mais voici que ces nouvelles pratiques créent aussi des faits nouveaux, des vécus inconnus et des événements étranges (unheimlich). Le courant des pratiques corporelles, lui, se laisse porter par le libéralisme ambiant et passe du corps fonctionnel au corps émotionnel puis sensuel, bientôt aux états de conscience modifiés que Freud traitait précisément « d'unheimlich », d'étranges. En même temps, ces pratiques libèrent des vécus tellement forts et intenses qu'ils fascinent les nouveaux thérapeutes les plus jeunes surtout, déroutent les autres et suscitent une véritable inquisition chez d'autres encore.
La surprise des praticiens et la condamnation des patriciens devant du matériau aussi brut poussent tout droit à la recherche d'une structuration. Le vécu doit s'organiser. Le besoin fondamental est de structuration, dans la vie et en psychothérapie. Ce recadrage se fait nécessairement, par étapes successives, en partant des plus implicites pour arriver aux plus explicites. Notre tribu somatothérapique nous balise clairement cet itinéraire, marquant trois étapes plus précises d'autant de rituels tellement évidents qu'ils risquent de passer inaperçus. Ces trois étapes sont :
- sociale
- méthodologique
- et théorique.
Le premier effet de structuration vient de la société. C'est la capacité du cadre social à assimiler la nouveauté qui constitue le premier niveau d'organisation. Et les psychothérapeutes s'y adaptent sans le savoir. Ce mouvement se fait à une si grande échelle et à une telle profondeur que l'intéressé, pris dans l'immédiateté du vécu, n'y fait pas attention. L'histoire de la somatothérapie nous en donne l'illustration parfaite, positive et négative. Le développement des pratiques corporelles, du corps fonctionnel aux corps émotionnel, sensuel et transfonctionnel, suit très précisément le degré de libéralisation de la société occidentale. En temps de paix et d'abondance, on lâche la bride sur le corps. En temps de conflit et de pénurie, on met le holà. C'est ainsi que les tentatives de Ferenczi et de Reich ont été freinées, rejetées et arrêtées par les totalitarismes régnants puis par la seconde guerre mondiale. Et c'est la Californie, qui n'a pas connu la guerre sur son sol et s'est même développée grâce à la guerre, qui a relancé le mouvement. La bioénergie, le cri primal, la gestalt sont nées là-bas, loin de Ferenczi et Reich... que la société psychanalytique elle-même n'a pas pu assimiler.
Cette structuration par la société est implicite, automatique, tellement elle est fondamentale. Même si l'individu résiste à l'une ou à l'autre intervention ponctuelle (rejet par les collègues, critique d'un écrit), il ne peut échapper véritablement à la vague profonde. Car, tout aussi spontanément, il déclenche la seconde étape de la structuration, l'étape méthodologique. Il s'organise lui-même, il inscrit son travail dans un cadre structurant, il crée une méthode, une technique. Référons-nous encore à Reich qui s'est laissé surprendre et convaincre par l'explosion émotionnelle de certains de ses patients, qui s'est lancé globalement dans la libération sexuelle, dans la libération tous azimuts. Ses disciples n'en ont pas moins structuré son travail, découpant la globalité (du corps) en parties distinctes (les sept anneaux musculaires) et y inscrivant un sens de déroulement très précis, les sept lieux du corps devant être travaillés dans une succession précise. La preuve qu'il s'agit là du besoin de structuration plus que d'une nécessité clinique se trouve dans le fait que les écoles post-reichiennes se séparent sur le sens de ce déroulement, de haut en bas (yeux → périnée) ou de bas en haut (jambes → yeux) en donnant chacune des arguments tout aussi péremptoires. Moi-même, avec ma socio-somatanalyse (forme groupale de la somatanalyse), j'impose le découpage de la séance en quatre temps (verbal, vocal, primal et convivial) pour caractériser la méthode et la distinguer de toute autre organisation, quelle que soit son allégeance analytique.
Et puis s'initie la troisième étape, celle qui nous intéresse ici, l'étape théorique. Cette longue introduction a voulu nous en donner la portée première qui est de structuration. Tout événement humain doit avoir un sens, parce que l'homme fonctionne conjointement dans le corporel, le social et le psychique. Le « sens » constitue la part psychique de son fonctionnement. Toute psychothérapie doit avoir une théorie parce que cette «explication intellectuelle» constitue la part psychique de l'événement thérapeutique. Celte troisième étape est tout aussi implicite et obligatoire que les deux premières. Mais elle est généralement plus consciente puisqu'elle fait intervenir le... conscient, le rationnel. La théorisation peut déborder le seul cadre d'origine dans un second temps et devenir une science autonome. C'est le cas de la métapsychologie freudienne et de ma propre somatologie. Mais, au départ, sa fonction première est de structuration, d'organisation d'une pratique qui ne peut pas en rester au vécu brut, qui deviendrait sans cela... brutale. Il y a là d'ailleurs le risque que cette extrapolation à une science autonome ne vienne nuire à sa fonction première, de pratique. Nous y reviendrons.
En attendant, il nous est agréable de constater que l'extrême exubérance des somatothérapies nous permet encore une fois de regarder les démarches de théorisation de façon nouvelle, sans préjugé d'école. Elle nous aide à illustrer ce qui va suivre et que je propose de généraliser en quatre attitudes principales :
- l'intuition pragmatique,
- l'emprunt syncrétique,
- l'enveloppement synthétique,
- le développement scientifique.
Nous terminerons avec la «dérive dogmatique»,qui est la tentation de l'homme, au delà de la théorie.
La psychothérapie est d'abord une pratique, une praxis. Elle tâtonne, elle crée, elle fait du bricolage de... génie. Chaque couple thérapeutique est singulier et neuf, chaque séance même de cette cure est unique. Il n'y a donc pas à s'étonner que le psychothérapeute soit d'abord et avant tout pragmatique. Il travaille sur le tas. Joseph Breuer a observé les mérites de la « talking cure », Sigmund Freud a prêté de l'efficacité au transfert, Arthur Janov a saisi au bond l'impact du cri. Au commencement était l'acte... bien avant le verbe, qui n'est qu'un autre acte, sui generis.
Le pragmatisme, c'est la reconnaissance des faits qui nous sont donnés à voir, c'est l'intuition de l'efficacité thérapeutique de ces faits. It works, ça marche. On peut donc y aller. Tant que ça marche, on peut continuer. On cherche à perfectionner le truc pour que ça marche encore mieux ; quant à la compréhension des faits, elle est secondaire, du moment que ça marche.
Cette attitude est répandue et fréquente, plus qu'on ne croit. C'est une attitude positive, initialement nécessaire et parfois durable et définitive. Dans le courant psychanalytique français, on avait essayé à une certaine époque de distinguer les praticiens et les théoriciens, et même de les séparer comme pour les protéger, comme si la théorisation devait nuire à la pratique et vice versa. Cela n'a rien donné et pour cause, puisque, dans notre approche, le praticien est un théoricien... pragmatique. Il y a évidemment déjà une certaine élaboration, même si elle reste implicite ; il y a déjà des références externes et j'en citerai trois pour en faire les critères d'une subdivision en trois pragmatismes distincts :
- clinique,
- comportemental,
- sociétal.
Pragmatisme de référence clinique
Ici, ça guérit.
Le truc, qu'il soit acte, expression ou contact, fait disparaître le symptôme.
Le patient va mieux : « Merci docteur et surtout pas au revoir ».
La guérison clinique est évidemment la référence première pour un thérapeute. J'aime à rappeler l'histoire de Matthias Alexander qui est exemplaire ici. Il était acteur, mais perdait la voix quand il déclamait sur scène. Les médecins n'y pouvant rien, il se prend en charge lui-même et observe que sa voix s'éteint quand sa tête bascule en arrière. Il suffit qu'il la penche quelque peu en avant pour que sa voix se maintienne. Mais il met neuf ans pour en arriver à faire de cette posture une attitude habituelle. Et cette simple « pratique » posturale devient le cœur d'une somatothérapie, la méthode Alexander. Elle s'est perfectionnée, s'est élargie autour de cette posture centrale, elle s'enseigne et se pratique de par le monde et... ça marche. Et il suffit que ça marche, comme le yoga, comme la marche à pied, comme l'amour. Il n'y a pas à théoriser plus avant, il suffit que ça guérisse.
Pragmatisme de référence comportementale
Ici, ça fait mieux vivre, ça fait réussir.
Le truc, ce n'est plus seulement une technique thérapeutique mais un comportement plus global qui découle de la thérapie.
Le patient fonctionne bien, réussit mieux, construit sa vie avec satisfaction.
L'exemple nous vient de Daniel Casriel, l'un de mes maîtres. Ce psychiatre et psychanalyste new-yorkais était spécialisé dans la prise en charge des toxicomanes. Dans ce cadre, il découvrit la communauté de Synanon où les ex-drogués se prenaient eux-mêmes en charge, en particulier dans le cadre de sessions marathon où ils exprimaient tout, jusqu'à la confrontation et l'agression, avec geste et cri, dans une expressivité aussi totale que possible. Casriel reprit ce « comportement » et en fit une thérapie pour sa clientèle psychothérapique, le «New Identity Process ». Qu'il découvre ultérieurement l'expressivité supplémentaire par le contact, dans le « bonding » ou étreinte, est dans la droite ligne de ce comportement. Et qu'il fasse de ce comportement de libre expression le cœur de sa théorie illustre parfaitement notre propos : puisque ça fait vivre le drogué, puisque ça fait mieux vivre le névrosé et le borderline, ça vaut une théorie... très pragmatique. Le livre de Casriel s'intitule : « a scream away from happiness ». « le bonheur n'est qu'à un cri de là ».
Pragmatisme de référence sociétale
Ici, ça fait s'intégrer dans le cadre social.
Le truc, c'est carrément une philosophie de vie, une Weltanschauung, un mode de vie.
Le patient hume l'air du temps et s'y sent à l'aise, inséré, intégré. L'illustration est plus subtile puisque la chose elle-même se complexifie. On n'est plus dans l'ethnologie sommaire mais dans une sociologie compliquée. Le créateur de thérapie hume le fameux « air du temps », la culture de groupe, la quintessence du moment social et sait les faire passer dans son travail, obtenant ainsi des résultats réels et appréciables ! De là à en faire la théorie de sa méthode, il n'y a qu'un pas que le pragmatisme... américain franchit aisément. Car je pense à Fritz Perls, psychanalyste européen, qui a émigré aux Etats Unis après un passage en Afrique du Sud et qui a bien senti d'où venait le vent : du hic et nunc, de l'ici et maintenant. En effet, bien que la Gestalt soit complexe, elle se résume bien dans cet « hic et nunc » qui devient quasiment son logo. De plus, c'est un astucieux pied-de-nez à la psychanalyse qu'il était temps de confronter. Vivre dans le présent, là où l'on est, dans le moment qui s'écoule, avec les gens alentours, est d'un effet salutaire pour tous ceux qui cherchaient dans le passé (du divan) ou se projetaient dans le futur de la réussite à l'américaine. C'était du temps des hippies et des premières pollutions de la planète. Un peu plus tard, annonçant les yuppies, et toujours aux Etats Unis, se créait le séminaire EST avec le nouvel air du temps : réussir à tout prix, quitte à imposer les junk bonds (les actions «pourries») qui conduiront les caisses d'épargne à la faillite. Le créateur d'EST était d'ailleurs un ancien commercial.
Onl'aura compris, la cohérence avec la mentalité ambiante constitue une espèce de validation théorique de la pratique. Le pragmatisme n'est pas une véritable théorie. Il vaudrait mieux l'envisager comme une « rationalisation de la pratique ». Il y a du raisonnement dans l'air : puisque ça guérit, fait vivre, insère dans l'ambiance sociale, c'est bon. Et ça peut effectivement suffire pour soutenir une praxis. C'est même la qualité première de ce type de démarche, d'être près de la praxis et d'y investir au maximum, dans la relation particulière à chaque patient, dans la singularité de chaque séance de cette cure. Et puis, il y a d'autres garanties, d'autres niveaux de structuration, ceux que nous avons évoqués ci-dessus : la structuration sociale et l'organisation méthodique. Car, contrairement à l'idéologue, le praticien pragmatique ne dévie pas trop de ce qui a cours ; implicitement, il rejoint les courants porteurs, c'est bien pour cela qu'il n'a pas besoin d'une béquille théorique importante.
L'intuition pragmatique est néanmoins exposée à deux risques majeurs lorsque le praticien n'y prend pas garde, lorsque c'est par paresse ou facilité qu'il en reste à cette seule rationalisation de sa pratique : le manque de profondeur et la généralisation abusive. La somatothérapie est toujours complexe, se déroulant à de multiples niveaux. La praxis ne retient que l'un ou l'autre point particulier, elle trahit cette complexité et devient réductrice. Par ailleurs, les comportements doivent évoluer, avec l'âge notamment, et l'air du temps tourne comme le vent... il y a donc risque de changement fréquent de références théoriques.
Quant au risque de généralisation, il découle de là. L'intuition pragmatique est simplificatrice et versatile ; elle ne supporte donc pas de généralisation trop poussée sinon elle se transforme en dogme contraignant ou référence stérile, car démodée et déplacée. Ce qui faisait sa force se retourne contre elle ; le truc ne marche plus ; it does'nt work. A un certain moment, le seul pragmatisme ne suffit plus. Le somatothérapeute qui persévère dans sa profession prend conscience de la légèreté de ses rationalisations même si elles sont justes. Quand il échange avec ses collègues, il encourt leurs remarques ou se les fait lui-même. C'est alors qu'il est séduit par la puissance des théories bien construites, bien partagées et bien médiatisées.
J'ai assisté à l'époque où le courant des « Nouvelles Thérapies », appelé aussi « Psychologie Humaniste », a accusé le coup. Mai 68 a fait flamber sa créativité et son pragmatisme mais, dix ans plus tard, il se retrouvait en piteux état, cherchant désespérément des ancrages. Le mouvement a d'ailleurs éclaté en deux courants principaux, l'un médical représenté par la somatothérapie, l'autre spirituel, regroupé dans le transpersonnel.
Dans un premier temps, ce sauvetage s'est fait principalement par l'emprunt syncrétique. Par là. J'entends le recours à un corpus théorique déjà existant et qui semble pouvoir servir de cadre à la nouvelle praxis somatothérapique. L'emprunteur découvre un certain parallélisme entre sa pratique et la théorie concernée et lui attribue une fonction explicative de cette pratique. Il s'agit même peu à peu d'une justification et d'une validation. Nous pouvons illustrer cette démarche par trois lieux d'emprunt principaux :
- les sciences bio-physiologiques et neurosciences,
- la métapsychologie psychanalytique
- et les sagesses orientales.
Emprunts a la bio-physiologie
La synergie est évidente : les somatothérapies travaillent au niveau du corps, donc tout ce qui vient de la biologie et de la physiologie est pain béni. Freud lui-même pensait que la biologie allait tout expliquer un jour et rendre la psychanalyse caduque ! Alors pourquoi se priver ? Toute connaissance qui pourrait expliquer de près ou de loin ce qui se passe au niveau bio-physiologique pendant le travail somatothérapique peut devenir la théorie explicative de cette somatothérapie. Certains auteurs ont sauté sur l'aubaine. Henri Laborit a décrit une voie nerveuse «inhibitrice de l’action» et l'on s'en est servi pour théoriser le travail d'expressivité : libérez vos émotions. Les neuroendocrinologies ont découvert les endorphines, des morphines cérébrales qui font jouir comme la drogue elle-même. Qu'à cela ne tienne, le cri primal fonctionne à ces endorphines là : quand on crie, de façon primale, on libère des endorphines et c'est bon pour la santé.
Il est un autre emprunt, plus commun, plus ancien aussi, qui se fait largement, c'est celui du cerveau de Mc Lean avec ses trois étages : cerveau archaïque, cerveau émotionnel, cerveau intellectuel. La tentation tendait des bras séducteurs : le travail sur le corps et les émotions reconnecterait les trois étages du cerveau. Le parallélisme est évocateur. Plus tard se sont précisées les deux fonctions opposées et complémentaires des hémisphères droit et gauche, associatif et dissociatif : là encore l'évocation se fait persuasive.
En réalité, ilne s'agit que de parallèles, que de descriptions qui ont des airs de ressemblance. L'insistance sur ces coïncidences voudrait arracher un effet d'explication : «voyez que les effets du cri sont biologiques »... Les développements donnés aux aspects bio-physiologiques voudraient évoquer une validation des pratiques corporelles : « puisque c'est physiologique, c'est donc vrai et efficace ». Comme psychiatre, je connais bien ces incursions dans les sciences dites exactes. Chaque année, on m'annonce un nouveau marqueur de la schizophrénie, une tache rosée dans les urines, ou une déformation d'unerégion de l'encéphale. Vue au scanner, elle renforce le crédit des causes organiques, pour trois mois… puis on se rabat à nouveau sur les valeurs sûres, la correspondance Freud-Ferenczi par exemple.
Il ne faut évidemment pas rejeter ces compléments d'information venant des sciences anatomo- bio-physiologiques. Mais il faut toujours garder à l'esprit que :
- ces sciences dites exactes sont en plein développement et que la vérité d'aujourd'hui est modifiée sinon contredite demain ;
- elles ne disent que des généralités dans un réductionnisme maximal qui n'envisage plus que des « organes », ce qui exclut toute approche de la personne singulière et de sa complexité telle qu'elle se présente en somatothérapie ;
- enfin, même au paroxysme de la gloire d'une nouvelle découverte bio-physiologique, la relation de cause à effet avec la thérapie n'est jamais établie... scientifiquement.
Il y là effet d'interprétation, mais pas de scientificité...
Emprunts à la psychanalyse
Alors on se rabat sur les valeurs sûres, sur le comportementalisme, actuellement magnifié par le cognitivisme, sur le systémisme et surtout la psychanalyse. Cette dernière s'avère toujours encore le corpus le plus ancien — cent ans — le plus développé, le mieux connu et le plus proche de la somatothérapie. N'ai-je pas moi-même appelé ma propre création « somatanalyse » ? Et l'on s'approprie ses concepts, qui de l'inconscient, qui de la pulsion, de l'Oedipe et autre scène primitive. Et l'on se doit de verbaliser, d'interpréter et de respecter la neutralité. On se demande même s'il ne faut pas renoncer à nouveau au toucher ! N'oublions pas l'imaginaire, le symbolique et le réel, dans sa trilogie lacanienne qui fait du corps, relégué dans le réel, quelque chose d'absent.
Evidemment, en vertu de la « loi d'équivalence fonctionnelle », les psycho-, socio- et somato-thérapies reposent sur les mêmes processus fondamentaux. Aussi les principes de base si bien étudiés en psychanalyse s'appliquent-ils à la somatothérapie en tant que cure psychothérapique. Le praticien aguerri, à l'aise avec le travail corporel et familier des concepts psychanalytiques, jongle utilement avec les concepts freudiens et s'en sert avantageusement pour constituer ses grilles de lecture clinique. Mais...
Mais, là encore, il faut s'astreindre à une grande prudence et respecter les principes de l'épistémologie, en particulier la règle fondamentale selon laquelle un concept n'est vraiment pertinent que dans le cadre de son lieu de découverte. Or la psychanalyse est un lieu sans corps, un lieu de «représentation » du corps, alors que la somatothérapie est le lieu du corps agi, du corps réel, vécu.
Aussi, même si les processus thérapeutiques se rejoignent, les concepts sont déjà éloignés de par leur origine. Ainsi de l'inconscient. J'ai entendu récemment un praticien de l'hypnose ericksonnienne insister sur «l'accès direct à l'inconscient» que lui donnerait sa méthode: «suivez la flèche, à gauche, puis tout droit ; vous avez gagné, il est là ! » Or l'inconscient n'a que deux définitions scientifiques :
- une définition heuristique : l'inconscient est ce qui advient sur le divan de la psychanalyse;
- une définition étymologique : l'inconscient est inconscient, ni vu ni connu, n'en parlons plus sauf... dans un effet d'interprétation.
On en arrive ainsi à des expressions aussi dangereuses que : « image inconsciente du corps » et « moi-peau ». Ces deux concepts remettent certes la psychanalyse au goût du jour; le corps est à la mode. Mais elles vident la somatothérapie de sa substance même : si le corps n'est plus qu'une image, à quoi bon le faire bouger, respirer, crier. Si la peau est une abstraction comme le « moi », à quoi bon la toucher ? Et je n'oublie pas que ces deux expressions ne sont que des concepts... Mais, justement, pour la somatothérapie, le corps n'est pas qu'un concept.
Emprunts aux sagesses orientales
Tous les somatothérapeutes ne baignent pas uniquement dans l'ambiance médicale ou psychanalytique. Ils voyagent aussi, en véritables citoyens du monde. Ils s'intéressent aux autres cultures, à l'Orient plus particulièrement. Ils y trouvent des sagesses, la Sagesse, pour eux puis pour les autres. Ils adoptent, adaptent et partagent. Ils en font bientôt des théories aptes à soutenir leurs pratiques. Très souvent il ne s'agit que d'un pragmatisme sociétal : les sagesses orientales rencontrent le besoin des Occidentaux de sortir de l'activisme industrieux. Les somatothérapeutes ont beaucoup contribué à l'avènement du new age ; certains s'y consacrent corps et âme. D'autres y vendent leur âme, contre monnaie sonnante et trébuchante.
Ce qui nous intéresse ici, c'est la transformation de cette ambiance existentielle en théories qui s'annexent de façon aussi syncrétique que les autres savoirs évoqués ci-dessus. Il s'agit alors de véritables corps de doctrine qui se présentent comme des corpus explicatifs et validants. Je ne voudrais évoquer ici que deux exemples suffisamment circonscrits pour faire image, les théories de la re-naissance et des vies antérieures. Elles sont bien occidentalisées maintenant mais découlent de l'influenceorientale qui a marqué ses promoteurs.
Le vécu de re-naissance est postulé par la thérapie respiratoire appelée « rebirth ». Pour des raisons physiologiques simples - ferais-je du syncrétisme bio-physiologique ? - l'hyperventilation du rebirth introduit aux images familières du tunnel noir débouchant sur une lumière éclatante. Il suffit d'y transposer la filière utéro-vaginale pour évoquer le souvenir de la naissance et d'ajouter la prétention d'immortalité comme le fait le créateur du rebirth pour être dans l'Orient éternel.
D'autres développent l'image et accèdent aux « vies antérieures ». Leurs images mentales en sont réelles et leur reproduction ne pose pas problème : les praticiens de la «régression» se multiplient et garantissent le Moyen-Age, l'Egypte Ancienne ou l'Atlantide. C'est là que les traditions orientales ajoutent leur expérience millénaire à ces vécus subjectifs, fonctionnant ainsi comme autant de garants théoriques.
Le tour est joué. C'est une théorie. Renaissance ou vie antérieure expliquent, justifient et valident les thérapies respiratoires et régressives. On en sourirait si... les emprunts à la bio-physiologie et à la psychanalyse ne fonctionnaient pas de la même façon :
- pour la praxis, il y a effet de sens, donc globalisation du vécu dans le corps, la relation (au thérapeute) et la tête ; ça permet de faire marcher la thérapie ;
- mais pour la théorie, il n'y a qu'emprunt d'un corpus venu d'ailleurs,
d'une cotte mal taillée que toutes les retouches ne rendront jamais seyante. Synthèse. Qui ne rêve pas de synthèse ? Finie la course entre la thèse et l'antithèse. Ici s'introduit une troisième démarche théorisante qui apporte une étape supplémentaire aux deux premières. En effet, elle se fonde le plus souvent sur les deux premières :
- une bonne praxis, bien observée, bien décrite, constituée éventuellement d'un regroupement de techniques très éclectiques,
- une bonne théorie d'emprunt, bien solide, bien validée dans son lieu d'origine.
Puis elle développe cette dernière à un point tel qu'elle constitue un corpus théorique énorme, apparemment cohérent, puissant, qui n'a plus de commune mesure avec la praxis d'origine. Le développement théorique se suffit à lui-même, s'emballe lui-même, oubliant le point de départ initial, le cachant même, parce qu'il apparaît de plus en plus disproportionné.
Prenons l'exemple du « toucher en prolongement » qui devient « haptonomie », et «science de l'affectivité». Au départ, il y a une observation géniale de l'effet important et précis du contact en prolongement. C'est comme l'aveugle qui se « prolonge » dans sa canne et qui sent réellement au bout de sa canne. Eh bien, lorsqu'au cours d'un contact avec un autre corps, on se prolonge dans ce corps, il s'installe un état très particulier chez celui qui contacte : détente, disparition de symptômes fonctionnels éventuels, ralentissement cardiaque, approfondissent de la respiration, coloration de la peau, apaisement et confiance en l'autre. Ce contact en prolongement est strictement reproductible, les effets se répètent analogues à eux-mêmes, on peut donc parler d'un fait scientifique.
L'auteur de cette observation, Frans Veldman, a développé de nombreuses utilisations de ce toucher en prolongement : pour les soins infirmiers, dans la préparation à l'accouchement et l'éducation du nourrisson, en somatothérapie. Mais il a surtout appelé à la rescousse la théorie phénoménologique. C'est d'ailleurs chez Maurice Merleau-Ponty qu'il a trouvé l'image de l'aveugle prolongé jusqu'au bout de sa canne. Et puis il a poussé son développement du côté du sentiment, extrapolant les effets du prolongement jusqu'à l'affectivité elle-même. Il s'agit maintenant de toucher « haptonomique » et de science de l'affectivité.
Voici de la bouche d'un de ses disciples, ce glissement d'une technique à une science... de l'affectivité.
« L'haptonomie cherche, à travers le corps, à atteindre la personne. Dans l'approche haptonomique, je ne touche pas le corps, je touche la personne. Entendons-nous bien ; je touche la peau : mais quand je mets en œuvre les facultés développées dans l'haptonomie, je dépasse le corps et l'autre le sent très bien...
« Si l'hapto se voit », ce n'est plus de l'hapto. Les positions proposées ne sont intéressantes que dans la mesure où elles participent d'un investissement affectif. La seule question qui mérite d'être posée à l'issue d'un accouchement hapto c'est celle de «l'être-ensemble». L'homme et la femme ont-ils pu s'aider mutuellement ?...
« La naissance de l'haptonomie et sa découverte après plusieurs dizaines d'années par nous autres médecins ou thérapeutes ne me paraît pas relever du hasard : ce siècle est celui de l'inhumanité à tous les niveaux. Je pense bien sûr à l'extermination des Juifs, à la bombe atomique, au Goulag, aux boat-people... Nous n'avons que l'embarras du choix en matière de barbarie. Or, la démarche haptonomique s'attache précisément, non pas à expliquer pourquoi de telles choses sont possibles - comme ont tenté de le faire nombre de penseurs — mais à prévenir leur apparition. Comment faire pour que l'inhumanité n'ait pas lieu ? Quelles conditions doivent être réunies chez un être pour que jamais il ne puisse se transformer en bourreau ?...
« Veldman s'est attaché à développer ce qu'il nomme « le développement de la sécurité de base », laquelle se traduit par la capacité à s'ouvrir affectivement, la possibilité d'être « touché », affecté par l'autre. Et dès lors que l'on est affecté par l'humanité d'un autre, on ne peut pas le torturer...
« En pratique l'haptonomie pourrait se résumer à un contact psycho-tactile qui nous appelle à Être, au lieu de nous sommer de répondre à une demande. En outre, loin de produire des agneaux bêlants, cette approche ne vous rend que plus apte à vous défoncer en cas de besoin. C'est lorsque l'on ne se tient plus constamment sur ses gardes, toujours crispé dans un réflexe de défense qu'il devient possible d'accéder à la vraie force...
« Spiritualité, sûrement, mais pas religieuse. Pour Frans, l'hapto n'est pas une démarche religieuse, bien qu'elle puisse relier les êtres, mais une éthique du bonheur. Par contre, il se réfère souvent à l'« âme », notion éminemment spirituelle. Reste que, pour lui, il ne saurait y avoir d'autre spiritualité que celle inhérente à la personne humaine, cette personne que l'hapto nous apprend à toucher...
« Je restitue maintenant la technique à sa vraie place ; indispensable, sans doute, mais ne devant jamais prendre le pas sur l'affectivité. Je sais que l'essentiel réside dans la relation, dans l'approche. Voilà pourquoi on peut aussi bien mettre dix ans qu'une seule année à se former en haptonomie : tant que l'on reste dans la technique, on n'est pas dans l'hapto. L'haptonomie commence dès lors qu'on a acquis, pour soi, ce minimum de sécurité de base qui nous autorise à aller au-delà de la technique pour entrer dans une relation de confiance. » (Farcet Gilles, in Terre du Ciel, 1992)
Nul ne peut nier la beauté, la bonté et la puissance d'évocations aussi généreuses. Tout psychothérapeute atteint par moments ces niveaux de profondeur interrelationnelle et ne peut que se réjouir de la place qui leur est faite ici. Mais s'agit-il encore de la théorie scientifique qui explique un acte technique ? Ne sommes-nous pas plutôt dans une philosophie de vie, dans un idéal humaniste qu'on ne peut qu'admirer mais... dont on se demande ce qu'il a encore à faire avec la praxis initiale, avec le toucher en prolongement ? Il est quelque peu perdu dans l'amoncellement de bonnes nouvelles. A l'instar de la thèse et de l'antithèse, il disparaît dans la synthèse.
Et puis, il ne s'agit que de l'un des trois touchers possibles qui sont : en prolongement, en recentrement et dans le moment. Comment la prise en considération d'une technique unilatérale peut-elle mener à la globalité de l'affectivité ?
C'est cela l'enveloppement synthétique : la synthèse théorique déborde largement la praxis initiale, la transcende et vient donc... la fragiliser. On ne peut plus toucher tout naturellement, tout naïvement, comme Monsieur Jourdain faisait sa prose... on est dans la science de l'affectivité !
Il en va de même d'un autre développement déjà évoqué, celui de Léonard Orr, le créateur du rebirth, qui se sent immortel, prêche l'immortalité et en enrobe le rebirth jusqu’à lui enlever sa nature même d'acte... respiratoire.
Il est vrai que les techniques somatothérapiques sont de simples actes corporels et qu'elles manquent cruellement d'apparat. Quand on se retrouve dans les bras de son thérapeute, on découvre rapidement que ce sont des bras analogues à ceux des autres participants du groupe, que la tendresse y est celle d'un autre homme, d'une autre femme... Il n'y a pas de renvoi majestueux à la scène primitive ou à un Oedipe inversé : des bras sont des bras et la tendresse ressemble à d'autres tendresses. Aussi la tentation de synthétiser dans des théories exaltantes vient-elle seulement comme un... prolongement séduisant.
La création du concept « somatothérapie » n'est pas seulement le recours aux racines grecques pour trouver une désignation internationale ; elle n'est pas plus la seule tentative de faire table rase des querelles de personnes et d'écoles. Elle s'inscrit bien plus dans la reconnaissance d'une réalité nouvelle, à savoir de l'approche globale de la personne dans ses dimensions psycho-, socio- et somato-logiques. Et, à ce titre, la somatothérapie se doit d'élaborer une science nouvelle, un savoir nouveau.
Il en va ainsi en science. Chaque fois qu'un objet nouveau apparaît ou qu'un nouveau moyen d'observation d'un objet ancien s'invente, il se crée une science nouvelle. Rappelons-nous de ce qu'il en fût du corps organique. A l'époque de la seule investigation à l'œil nu, se constituait l'anatomie. Avec l'arrivée du microscope optique, se développait l'histologie. Le perfectionnement électronique du microscopique donna naissance à la cytologie et les progrès récents permettent des sciences nouvelles telles que les biologies moléculaires puis nucléaires... En anthropologie, nous sommes passés de la théologie aux philosophie, sociologie et psychologie. Le microscope psychanalytique a donné lieu à la métapsychologie et l'observation somatothérapeutique peut légitimement revendiquer une... somatologie.
C'est dans ce cadre, « somatologique », qu'on peut inscrire ce qui se développe en maints endroits comme développement scientifique à partir de la somatothérapie. C'est dans ce cadre aussi que se laissent préciser les conditions et étapes d'une démarche vraiment scientifique. Nous la voyons en six phases successives :
- définition du lieu d'observation,
- observation et description des faits,
- modélisation de ces faits,
- généralisation par niveaux d'abstraction successifs,
- falsification et/ou validation,
- refus de toute extrapolation indue.
Définition du lieu d’observation
Nous nous faisons tous des idées et des théories sur l'homme à un niveau très pragmatique, pour la simple raison que nous sommes des hommes et que nous devons assumer cette humanité. La démarche scientifique est plus ambitieuse -et modeste par conséquent. Elle veut établir des connaissances exactes et, a cet effet, elle s'impose une méthodologie rigoureuse avec beaucoup d'humilité. Elle commence par choisir un lieu d'observation qu'elle investit totalement et uniquement, comme base des développements à venir, renonçant dès l'abord à extrapoler au-delà de ce lieu d'acquisition des données fondamentales. La somatothérapie est ce lieu, ici. Encore faut-il définir plus précisément de quelle somatothérapie il s'agit. La classification proposée dans ce livre fondée sur des critères objectifs (d'organisation de la thérapie et de fonctions corporelles concernées) permet une bonne définition du laboratoire d'étude en question.
La définition précise du champ de recherche est le garant de la transmission et de la reproductibilité des faits. Ainsi tout autre thérapeute peut recréer le cadre en question et y faire dévoiler les faits décrits, même en dehors d'une relation de maître à élève.
La constitution de ce lieu d'observation est aussi le cadre dans lequel la science à venir aura toute sa pertinence. En effet, ce qui en découlera ne sera vrai que là ! Eh oui. C'est cela la modestie de la démarche scientifique. C'est ainsi que j'ai annoncé que l'inconscient freudien n'avait de définition exacte que dans le cadre de la psychanalyse : l'inconscient freudien, c'est ce qui advient sur le divan de la psychanalyse. Tout le reste est extrapolation hasardeuse !
En somatothérapie, il faudra veiller en particulier à ne pas vouloir développer de théorie trop globale à partir d'une technique corporelle trop partielle, à partir d'une simple technique du toucher par exemple.
Observation des faits et description en termes courants
Dans ce cadre bien défini — somatothérapeutique — se passent des choses qu'il s'agit à présent d'observer et de décrire. Nous avons vu que les somatothérapeutes sont des gens très pragmatiques tout simplement parce que, dans un premier temps, il n'y avait que la pratique, que la création de pratiques. On débouche sur les fameux « cas cliniques » ou « vignettes cliniques » dont certains sont aussi passionnants à lire que les cinq psychanalyses de Freud. Mais il s'agit d'utiliser d'abord les termes les plus simples qui existent, les mots les plus courants, comme le font les romanciers et les poètes. C'est ce qui se révèle très difficile, en fait, parce que nous sommes déjà encombrés par les termes techniques usuels, médicaux, psychanalytiques et/ou philosophiques par exemple. Or chaque fois que nous employons des concepts venus d'ailleurs (comme psychose, inconscient, ou désensibilisation par exemple) nous travestissons déjà le matériel observé, nous l'affublons déjà d'un habit qui n'est pas le sien, nous dévions de la démarche scientifique.
En effet, ces concepts théoriques venus d'ailleurs ont des sens de plus en plus particuliers au fur et à mesure de leur utilisation dans un cadre donné. Et puis les concepts, ce sont des abstractions très réductrices, bien éloignées des faits réels. Même les mots, les simples mots qu'il faudrait pourtant utiliser en premier sont déjà des abstractions qui trahissent la singularité des faits. Que veut dire : il sourit, son visage s'éclaire, ses traits se détendent, la peau se colore ?
Avant les concepts et presque avant les mots, doit intervenir une étape fondamentale en somatologie, la visualisation sur un modèle topographique.
Repérage sur un modèle topographique
La thérapie est un événement unique et singulier, alors que la théorie ne dit que des généralités.
Pour échapper à cette réduction — du moins partiellement — on peut recourir à l'inscription du fait singulier sur un modèle topographique qui se construit tout autant autour de repères généraux. C'est ce qui se fait dans de nombreuses démarches scientifiques (nous le verrons plus loin) La somatothérapie s'y prête merveilleusement dans la mesure où le corps se laisse voir, en des régions quasi géographiques, avec des fonctions distinctes et des lignes de force vectorielles (tension - détente, émotion - communication, sensation - action par exemple) ! Ces tentatives sont présentées plus loin et possèdent une telle pertinence qu'il semble obligatoire à toute somatologie d'introduire un modèle topographique.
Généralisations par niveaux d’abstraction successifs
Quand on a observé dix fois le même effet (il sourit, son visage s'éclaire, ses traits...) avec la même technique (respiratoire notamment), on a le droit de proposer une première généralisation : la thérapie respiratoire détend, apaise et remplit. Quand on observe que dix techniques différentes aboutissent au même effet (de détente par exemple), on peut faire un pas de plus et les réunir sous le terme de « techniques de détente », Et ainsi de suite.
Ce travail se fait un peu partout, mais pas toujours avec suffisamment de rigueur. Il reste trop souvent confiné à un lieu d'observation particulier — à une méthode précise d'une école donnée. Le recueil de ces premières généralisations et leur mise en rapport entre elles devraient être confiés à des chercheurs qui ont du recul par rapport à chaque école particulière. Mais cela est rare. Etquand cela se fait, c'est pour aboutir trop souvent à une synthèse qui... se particularise aussi vite en une nouvelle école !
L'autre possibilité d'arriver à des généralisations de plus en plus abstraites et globales découle de l'utilisation des modèles topographiques. Il se fait peu a peu un travail sur le modèle, par le modèle lui-même qui court-circuite la subjectivité du chercheur. C'est ce qui se développe en somatologie plus précisément.
Falsification ou validation des théorisations
Bien qu'on soit dans les Sciences Humaines réputées « molles » par opposition aux sciences exactes dites « dures », il est possible et nécessaire de tester les premières conceptualisations. S'agit-il d'une simple tentative de falsification comme le préconise Karl Popper ou d'une véritable validation qui lui assurerait plus de permanence, c'est au choix de chacun ! Toujours est-il qu'il faut tester, et cela peut se faire par trois moyens au moins :
- le retour à la praxis : chaque théorie doit être confrontée à la pratique, avec des thérapeutes différents et des patients différents ;
- la transmission à d'autres chercheurs pour tester la reproductibilité des faits dans des conditions différentes ;
- l’établissement des concordances et discordances avec les théories voisines issues de lieux d'observation voisins ; il s'agit là de tout autre chose que d'emprunt syncrétique.
Refus de toute extrapolation abusive
Nous le disions dès la première étape : les théories issues d'un lieu de recherche donné ne sont vraiment pertinentes que pour ce lieu-là. Toute généralisation au-delà de ce lieu ne sera qu'extrapolation sans garantie scientifique. Elle pourra apporter sa part d'enseignement, elle pourra éventuellement être efficace en ce nouveau lieu, mais il s'agira d'une nouvelle démarche qui nécessitera de repasser tout le parcours de validation que nous venons de détailler.
Sinon il ne s'agit que de dogme et d'idéologie. C'est le risque de toute théorie. Mais, il faut le souligner, ce risque ne guette pas tant le chercheur initial que ses élèves et disciples.
Dérive dogmatique
Personnellement, je connais bien la chanson. Car ça se déroule comme une chanson et, en France notamment, ça se termine surtout par une chanson. On commence dans la recherche scientifique et ça s'achève dans les dogmes de l'école. Au départ existe un impérieux besoin de comprendre comment et pourquoi ça se passe d'une certaine façon. Cette disponibilité mentale provoque les intuitions les plus créatives, des trouvailles très apaisantes, comme des percées plus troublantes. Et ça cogite ! Puis se font tout aussi associativement les références aux autres théories, l'espionnage dans les congrès et revues avec de gros doutes dès que l'on tombe sur des concepts bien ficelés et médiatisés. Puis revient l'entêtement personnel : non, ici, c'est différent, il faut trouver mieux. La recherche reprend ses droits avec rigueur et discipline. La solitude est appréciable parce qu'elle empêche la contamination par les autres. L'isolement à Strasbourg, petite ville provinciale, est protecteur. Puis, quand j'ai trouvé, Strasbourg redevient tout d'un coup la capitale de l'Europe ! Et l'on recommence à observer, généraliser, douter, modéliser, écrire et communiquer. Mais la médiatisation est longue et lente. La circulation des messages achoppe sur une dynamique qu'il faut apprendre, sur la circulation du savoir qui n'est que la forme moderne du pouvoir. Et quand ça traîne, on s'en félicite à nouveau pour ce temps supplémentaire à bien ficeler le message !
Car, à la longue, on conçoit enfin la pertinence de l'idée — très somatothérapique — que tout mûrit grâce au temps et arrive à son heure. On en deviendrait presque philosophe si... les élèves n'arrivaient pas entre temps. Car, avant de faire la une des médias et le prime time des télés, on récupère quelques disciples.
Syndrome de l’école
Ils sont quasiment des pionniers. Ils ont le mérite d'avoir fait le bon choix et on leur en sait gré, les récompensant de passe-droit et de facilités de tous ordres. Rappelez-vous, Ferenczi et Jung, leur analyse, c'était en promenade, avec la main de la fille de surcroît. On attend d'eux qu'ils participent à la recherche, qu'ils l'épousent — encore — qu'ils épaulent, qu'ils prennent à leur compte l'un ou l'autre secteur de cette recherche parce qu'on ne peut être partout à la fois. Mais ce n'est pas ça. Ils ne veulent pas ça du tout, Déjà qu'ils ont accepté un maître, ils ne vont pas encore lui faire son boulot. Trop, c'est trop. Il leur faut juste quelques concepts bien sécurisants, apaisants, quelques munitions à balancer aux détracteurs. Ils veulent des résultats. Ils écoutent distraitement et lisent superficiellement... comme c'est toujours la même chose qu'il raconte, le maître ! Ils ne voient pas que quelque chose évolue même si c'est la même chose, d'un texte à l'autre.
C'est là que se constitue le syndrome de l'Ecole : alors qu'il y a du doute chez le chercheur, il ne s'installe que des certitudes chez le disciple. Encore, s'il répétait exactement. Mais non. Soucieux d'ajouter son grain de sel, il transforme le message et le rend parfois inintelligible sinon arrogant. Alors commence la souffrance du maître qui se sent incompris, trahi, utilisé. Et ce n'est que maigre consolation que d'avoir au moins quelqu'un qui fait circuler le message. Ferenczi et Jung, quelle souffrance pour Freud. Faut-il s'en débarrasser pour soigner le syndrome ? Ferenczi a été réduit au silence, Jung, congédié, la Cause Freudienne, dissoute.
Car la recherche continue. La théorisation passe par ces niveaux d'abstraction successifs que nous évoquions au risque de constituer une rupture conceptuelle fondamentale. Le nouvel acquis vient déranger tous les autres. Ainsi de la «pulsion de mort» de Freud, dela « passe » de Lacan, du « back to basics » de Lowen qui créent des clivages dans l'école, sinon des ruptures. L'insécurité guette à nouveau et pousse à se crisper encore plus sur les dogmes si péniblement acquis.
La ritualisation de la pratique, la dogmatisation des concepts et l'idéologisation de la théorie relèvent beaucoup plus des élèves que de leur auteur lui-même. Le syndrome de l'Ecole commence à éclore dans le courant des somatothérapies aussi. Ici aussi, ils offrent un lieu d'exploration quasi ethnographique qu'il nous faudra aborder et arpenter gaillardement. La Science est à ce prix.
Mais que peut-on faire pour éviter ce syndrome de l'Ecole ? Il y a trois solutions d'inégale valeur.
- Le maître peut exercer une autorité telle qu'il réussit à faire répéter ses théories de façon suffisamment fidèle; le risque se déplace dans la possibilité d'avoir des élèves encore plus paranos que le maître !
- Le maître peut laisser faire, spontanément, confiant dans le devenir de tout ce qu'il sème ainsi. Le risque réside dans des développements de plus en plus dissidents qui se constituent en théories nouvelles. Daniel Casriel est venu en Alsace et au Bade Wurtemberg voisin: il a suscité la somatanalyse à Strasbourg et la Teaching and Learning Conmunity à Bad Herrenalb ; mais autant Walther Lechler que moi-même lui en savons gré et le citons parmi nos maîtres.
- Enfin, on peut refuser d'être un maître et rester un chercheur fidèle aux règles de la recherche scientifique. Il faut alors accepter toute la dimension de la circulation du savoir et jouer le jeu de cette dynamique. La société a mis en place les règles de ce jeu : écriture, publication, communication dans les congrès, émissions radio et télé sérieuses — mais pas en prime time—, confrontations et éventuellement conflits... à gérer scientifiquement. La circulation du savoir est à ce prix et cette circulation-là est aussi nécessaire que la circulation de l'énergie pour éviter au chercheur de devenir... parano, dans son coin ou dans son Ecole.
Je disais en introduction que la somatothérapie est la « cambrousse >. de la psychothérapie, sa tribu archaïque, le lieu d'observation des processus élémentaires. Mais, paradoxalement, elle est aussi le lieu le plus jeune, le plus souple et le plus évolutif de la psychothérapie. Il y a là deux qualités extrêmement intéressantes qui laissent augurer d'une belle évolution. Notre ambition est de nous appuyer sur ces qualités pour permettre aux somatothérapies de bien soigner les « syndromes d'Ecole ».
Mais qu’est-ce encore que ces somatothérapies ? La deuxième partie de ce livre nous en décrira de nombreuses et en profondeur pour que des données précises viennent étayer les réflexions plus générales que nous portons sur elles.
|