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Chapitre 1 : La socio-somatanalyse

Vignette clinique

 
            Voici la séance de socio- qui prend traditionnellement place lors de la dernière matinée d’un week-end de formation. Il s’agit ici d’une promotion regroupant seize élèves de première et deuxième années de formation. Comme il s’agit d’enseignement, je propose parfois un sujet qui continue le thème de l’enseignement général. Aujourd’hui il s’agit de la présence plénière : “suis-je là, entièrement là, pleinement, et sans autre ? “
 
Le grand groupe verbal
            Après un silence de trois minutes, Mme D., une femme de la quarantaine, commence à relater les véritables états de grâce qui illuminent sa vie, de plus en plus souvent, depuis une expérience mémorable au spectacle d’un coucher de soleil en Grèce, en communion avec son mari. Elle se sent elle-même, pleinement, dans une grande volupté, avec la conviction d’être vraie, en connexion avec l’alentour et l’entourage. Aujourd’hui, ici, ce n’est pas le cas même si elle est “là“. Mr C. enchaîne, lui le fanatique de la moto qui a fait le désert et a “décollé“ dans l’immensité, avec un vécu assez proche de celui de Mme D. Puis il a beaucoup baroudé pour retrouver la même extase jusqu’à ce que ça lui arrive... à Strasbourg, un dimanche matin, sur le tatami. Mme B., une femme de trente cinq ans, nous raconte comment, à dix ans, en regardant le ciel, elle a également été aspirée dans cette félicité. Elle veut dialoguer avec Mme D. qui répond: “non, non non, ... enfin ... si, oui“. Mme B. relance le dialogue et tombe sur un “ mais... oui, bon, oui oui “. Elles décrivaient quasiment la même chose et pourtant une opposition de principe est venue : “non, mais... bon, oui,   oui !“
            Une demi-douzaine d’expériences extrêmes se sont encore racontées jusqu’à la typique Expérience de Mort Imminente lors d’une anesthésie pour biopsie du foie. L’écoute était entière, respectueuse, bienveillante, jusqu’à ce que Mme J., silencieuse jusque là, murmure, après un petit silence : “je ne comprends rien à ce que vous dites, je ne sais pas de quoi vous parlez“. Mme J., psychologue de quarante cinq ans, a été baptisée la “femme heureuse“. Sa répartie est étrange. Les autres essayent d’expliquer, de détailler, jusqu’à ce que Mme J. vende la mèche : “Mais moi je suis toujours -ou presque- dans cette pleine présence, quoi que je fasse, je n’ai pas besoin d’extase ou de vision“. Mme M., elle aussi silencieuse, renchérit : “Moi je me trouve ainsi quand j’épluche les légumes pour préparer la soupe ; j’appelle cela la joie“. Elle est psychologue aussi et... femme au foyer. Dans le dernier quart d’heure, le groupe réussit encore à faire communiquer les derniers récalcitrants. Seule Mme M., recroquevillée dans son coin, fond en larme et reconnaît qu’elle ne voit rien de tout cela, tellement elle est inhibée.
 
Le groupe rapproché vocal
            Le timing me fait proposer le groupe rapproché vocal. Nous nous rapprochons en cercle, nous nous mettons sur les genoux et nous donnons les mains, yeux fermés. Silence. Petits sons. Je m’essaye à des intensités plus fortes pour provoquer mon éveil énergétique grâce à l’ébranlement vibratoire. Ça marche, ça descend dans le ventre avec les sons graves, ça titille le crâne avec les sons aigus. Ça s’éveille aux deux pôles et se connecte. Mais les autres restent aux vocalises plus douces. Il n’y aura pas de cri ce matin.
            Il y avait seulement une brève esquisse de chahut, un défoulement de potaches. Deux hommes dont Mr C., le baroudeur, ont lancé des taquineries, en particulier vis-à-vis des femmes. Mais le groupe n’a pas suivi.
 
Le groupe éclaté primal
            D’ailleurs les gens partent l’un après l’autre jusqu’à un dernier “groupion vocal “ qui finit par se passer les bras sur les épaules et constituer un pack des plus intimes qui ondule consensuellement. Dans la salle il n’y aura pas de travail émotionnel bruyant, seulement du travail méditatif.
 
Le grand groupe convivial
            Quand tout le monde revient au “ petit salon “ pour la quatrième séquence, je repose encore ma question : “suis-je là, entièrement là et seulement là ? “. Silence. J’appuie là où ça coince : “ Celui qui a quitté le groupe rapproché, a-t-il pris cette décision en plein accord avec lui-même ? Ne serait-ce pas pour fuir le travail vocal qui aurait pu devenir trop bruyant, pour échapper à l’obligation du cri ? Était-ce avec un projet bien précis et pleinement assumé ? “ En effet, ce moment de quitter le groupe, où chacun est renvoyé à lui même, est très révélateur. Mme D., la femme au coucher de soleil, avoue qu’elle n’a jamais crié en dix huit mois de formation, qu’elle a horreur de ça, qu’elle fuit le groupe vocal. Dans le privé, elle a peu de colères ; quand il lui en vient une, elle garde une froide maîtrise, assène des paroles assassines puis part dans la nature pour se vider de son stress. Hic jacet lepus ; on a débusqué le lièvre ! “Ça, ce n’est pas plénier, c’est même franchement clivé : je bloque l’émotion pour affûter une réplique, puis je plante l’autre là et vais liquider l’émotion ailleurs” lui dis-je. Il m’est évidemment facile de préciser ce qu’est le moment plénier, qu’il ne se résume pas aux expériences paroxystiques évoquées au départ, qu’il serait plutôt proche de la soupe aux légumes. C’est un processus et non un contenu, tantôt agréable et tantôt désagréable. Il est tellement facile de cliver ou d’amalgamer (je veux du bon à tout prix). Et le cri lui-même n’est pas nécessairement douloureux ou colérique ; on peut s’exercer à se servir du cri pour se charger énergétiquement, comme le font les fans du Racing Club de Strasbourg...
            La socio- de ce matin là a donné aux élèves deux enseignements : comment fonctionne une socio- et ce qu’est la Présence Plénière, live !
            On aurait pu penser que le thème de la présence et le démarrage de l’échange avec une expérience paroxystique si voluptueuse entraînent rapidement le groupe dans le lien consensuel. Ce n’était qu’apparence. Il aura fallu revenir au conflit (vécu paroxystique contre joie de la soupe aux légumes), il aura fallu tester les rôles sociaux avec les plaisanteries de potache et la sollicitation des membres planqués dans leur silence, avant que ne s’installe plus profondément le consensus. Et encore, il n’y aura pas de signes très probants de “don“, pas de thérapeutes (élèves) pour accompagner spontanément d’autres élèves “patients”. La proposition du thème - si généreux - par l’analyste ne permet pas de faire l’impasse sur les étapes de la dynamique de groupe qui passe par les quatre étapes : conflit → sécurité → consensus → don.
 

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