Chapitre 1 : La socio-somatanalyse Sociothérapie : la cure séquentielle Sociothérapie courte La socio- a été inspirée par une thérapie de groupe cognitivo-comportementale, à savoir le New Identity Process de Daniel Casriel, psychiatre et psychanalyste newyorkais, qui se résume en deux outils majeurs (le cri et le contact) et trois niveaux d’intervention : ABC (A attitude, B behaviour ou comportement, C cognition). Dan (Casriel) pouvait intervenir très directement en disant : “ton attitude (ou comportement ou principe de vie) ne convient plus à une personne de ton âge et dans ta situation ; c’est autrement qu’il faut faire ; pour y arriver, cherche-toi un partenaire et crie”. Cette forme originaire est très utile et efficace pendant les premières séances d’une groupe-thérapie, pendant lesquelles il s’agit de parer au plus pressé, aux souffrances les plus vives, aux inadaptations criantes qui mettent en péril la survie, aux réactions exagérées qui empêchent la vie du groupe ou à tel membre d’y rester. Il s’agit de ce qu’on appelle ailleurs thérapie “en” groupe où l’on pratique le travail individuel devant les autres, tout en comptant sur le “conditionnement vicariant” à savoir la contagion et l’imitation. D’autres apports - plus soft - nous viennent également des méthodes cognitivo-comportementales pour constituer une première séquence de la cure groupale : une vingtaine de demi-journées ou trois à quatre ateliers de week-end sur six à huit mois par exemple. C’est la séquence “symptômatique” et directive où les somatothérapies structurées prennent une large place. Socio- somatanalyse longue La véritable socio-somatanalyse, telle qu’elle est présentée ci-dessus, est une forme analytique pure qui se propose pour des cures de plusieurs années dans un groupe ouvert à renouvellement lent. C’est la troisième séquence de la cure groupale calquée sur la cure séquentielle individuelle. Sociothérapie somatanalytique Il reste, entre ces deux séquences extrêmes, à organiser la sociothérapie de durée moyenne (1 à 2 ans), qui sera mi-directive, mi-analytique. A cet effet il est utile de s’inspirer de l’apport systémique qui, venant du système familial, a évidemment beaucoup à nous apprendre sur le système groupal. Constructionisme social Le grand courant systémique et familial a dépassé sa seule dimension cybernétique (la première), pour s’ouvrir à des dimensions plus complexes, plus intégratives. Il accède peu à peu au constructivisme (sans oublier la déconstruction de J. Derrida), au constructionisme social, et même à un constructionisme radical (Elkaïm 1995). Ces termes évoquent quelque chose d’essentiel que les neurosciences nous confirmeront ci-après à propos de la conscience qui est “unitaire, intégrée et construite” (Edelman 2004). Ces modèles théoriques nous montrent qu’il y a un effet de “construction” de par la progression du groupe vers l’excellence (du consensus et du don). Le participant se transforme fondamentalement - et imperceptiblement - de par la métamorphose sociale elle-même :
Mais - et voici le constructionisme social tel que nous l’intégrons ici. - le groupe ne fait pas que reconnaître un état individuel qui serait déjà là, préformé. Le groupe “construit”, favorise, accélère, amplifie cette progression. C’est lui qui fait de son membre un rôle, une personne puis un individu créateur, progressivement, lorsqu’il passe lui-même de la masse à la société puis à la culture et à la civilisation, et qu’il utilise des modes de réglementation de plus en plus humanistes, oubliant la force et la loi pour se fonder sur la morale puis en éthique. Et nous verrons plus loin que cette dernière est foncièrement inscrite au cœur de l’être humain, dans ses “purs processus inconscients”, comme Edgar Morin nous le rappelle dans “Ethique, la méthode, 6” (Morin 2004). Les principes du constructionisme social ne sont pas nouveaux en soi et se révèlent un peu partout comme dans cette étude faite à l’Education Nationale. On se rend compte qu’il n’y a pas tout simplement des bons et des mauvais élèves, mais que le groupe scolaire participe au façonnement des élèves en bons et en mauvais. Pascal Huguet a conçu une expérimentation éclairante. Il demande d’observer puis de reproduire une figure complexe, dans une classe de 6ème qui est répartie en deux sous-groupes :
Marie Christine Piatkowski propose depuis longtemps un exercice similaire en musicothérapie. Elle fait dire les prénoms sous toutes les intonations possibles puis elle les fait chanter. Dans la première séquence, parlée, plein de rôles plus ou moins agréables se manifestent en association avec des interpellations par les partenaires du passé ; dans la seconde, chantée, c’est le bonheur, la créativité vocale pure et la réconciliation avec son... prénom. Dans les deux exemples - scolaire et musicothérapique - la première séquence est sociale (apprendre et interpeller) et fixe donc les “rôles sociaux”, la deuxième séquence est artistique (dessiner et chanter) et éveille les talents créatifs de l’individu. Par conséquent, le sens de “l’analyse” tel qu’il est conçu dans la somatanalyse n’est pas seulement d’observer pour renvoyer tous les péchés du monde, il est de défaire, dissoudre, (ana-luo, comme en chimie) les obstacles qui empêchent le groupe de progresser vers le meilleur et d’offrir à ses membres l’optimum de l’être. L’analyse est déconstruction (dérridéenne) des rigidités sociales pour promouvoir un constructionnisme social. Nous ne sommes plus dans la cybernique (la première) un peu froide, mais dans une position positive qui est celle-là même de la vie, et du groupe social tout autant. La vie progresse, il suffit de la rendre à sa dynamique naturelle. A cet effet, le socio-somatanalyste entre dans “l’alliance thérapeutique”, dans “l’alliance thérapeutique à tonalité affective positive” (Green et Herget in Elkaïm p.520) dans la “résonance” de Mony Elkaïm (Elkaïm 2004). Il ne reste pas dans le “rôle social” de l’observateur, mais participe au “consensus”, y met le cœur et les mots, puis entre dans le “don” au risque de voir chamboulées ses attentes, bien qu’il ne devrait pas en avoir. Nous ne sommes plus dans la neutralité du psychanalyste. Nous aménageons même le cadre pour proposer au groupe et aux individus le meilleur “accordage” possible. C’est un des aspects de la “position positive” qui définit le psychothérapeute plénier. On peut représenter ce nouvel apport du systémisme par des schémas qui marquent les principales étapes de ce courant psychothérapique :
schéma 2 de la cybernétique au constructionisme
C’est ainsi que le constructionisme social s’intègre à la socio-somatanalyse et permet de compléter la cure sociothérapique séquentielle :
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