Chapitre 6 : Monique et Fabienne : deux somatanalyses prolongées et approfondies Monique Monique a 34 ans quand nous la rencontrons. Elle a travaillé pendant six ans en somatanalyse, travail qu'elle estime achever depuis un an et demi. Retracer son histoire et son "cursus" hospitalier n'est pas tâche facile vue la complexité de sa biographie. La vie de Monique commence par un abandon : sa mère, allemande, célibataire, alors âgée de 17 ans, l'abandonne à trois semaines. Elle est recueillie par un orphelinat tenu par des sœurs, en Allemagne, où se déroule la première partie de sa vie, jusqu'à l'âge de dix ans. Elle ne sera jamais scolarisée durant cette période, dont il ne lui reste que de mauvais souvenirs. Elle ne retient que la froideur et l'injustice des sœurs par qui elle était souvent frappée, ce à quoi elle réagissait par l'inhibition et le repli sur elle-même, n'ayant pas d'amis, n'osant ni jouer, ni rire. Sa mère réapparaît dans sa vie quand elle a dix ans. Elle est alors mariée avec un batelier d'origine alsacienne qui, apprenant qu'elle a une fille, décide de l'adopter et la fait sortir de l'orphelinat pour la scolariser. C'est la mère de ce père adoptif, âgée de 70 ans et veuve, qui va la prendre en charge pendant la période scolaire, tandis que les vacances se passent sur le bateau avec les parents. Elle s'entendait assez bien avec cette grand-mère. Son père se montrait gentil avec elle, la "gâtant beaucoup", tandis que la relation avec sa mère est d'emblée mauvaise, empreinte de violence et de ressentiment. Celle-ci, qui par ailleurs boit et se prostitue à l'occasion, la "frappe jusqu'au sang" en se cachant de son mari, et la menace. Monique se décrit comme une enfant craintive, renfermée, ayant toujours peur d'être battue. Sa mère ne reste que très peu de temps dans sa vie. En effet, à treize ans, elle apprend par son père le divorce des parents, ce qui la ''bouleverse". Son père a des problèmes de santé : artérite, diabète... pour lesquels il est hospitalisé régulièrement et subira, quelques années plus tard, à 48 ans, une amputation des deux jambes. Lorsque Monique a 18 ans, son père, ne pouvant plus travailler, vient s'installer chez sa propre mère. Pour elle, "c'est là que tout a commencé". Ce père, avec qui elle avait jusqu'à présent de bonnes relations, change de visage, abusant d'elle et de sa naïveté. Il s'instaure alors une relation incestueuse qui durera dix ans, jusqu'à la mort de ce père qu'elle ressent comme un soulagement. Ne se sentant pas en mesure de se défendre, Monique préférait subir en silence plutôt que de risquer un deuxième abandon, dont la menaçait son père, ou d'en parler à sa grand-mère qui ne survivrait peut-être pas à une telle nouvelle. Elle se sentait toujours redevable envers ce père qui l'avait sortie de l'orphelinat, et, le sachant condamné, pensait sa mort prochaine. Les problèmes gynécologiques puis "psychiatriques" surviennent dans ce contexte. Les hospitalisations apparaissent à Monique comme seul refuge, ce qui explique en partie leur fréquence. Vues les circonstances, la scolarité de Monique n'a guère de place dans sa vie. Elle ne sera scolarisée que de 10 à 14 ans et n'atteindra qu'un niveau inférieur au certificat d'études, du fait d'un handicap lié à la langue. Elle fait un apprentissage de vendeuse à 14 ans, n'obtient pas le C.A.P., mais est gardée comme employée car elle donne satisfaction. Elle sera donc employée dans un grand magasin de 14 à 22 ans, puis mise en invalidité. Toutes ces difficultés existentielles se soldent tout d'abord par une symptomatologie gynécologique apparaissant aux alentours de ses 18 ans. Douleurs pelviennes, dysménorrhées, métrorragies mènent à un bilan gynécologique complet ; une laparotomie diagnostique une sclérose kystique des ovaires. Présentant un volumineux kyste à droite, Monique subit une ovariectomie partielle droite à 19 ans. Les douleurs reprennent quelques mois plus tard, plus vives et s'accompagnent d'épisodes lipothymiques. Monique est hospitalisée pour la première fois en psychiatrie suite à une "perte de connaissance survenue dans la rue, précédée de douleurs abdominales et provoquant une douleur au genou". Le diagnostic de crise comitiale, d'abord évoqué, n'est pas retenu, au profit du diagnostic de crises hystériques. Dès lors, la vie de Monique sera ponctuée par ces crises donnant lieu à de nombreuses interventions du SAMU et à des hospitalisations le plus souvent courtes, entre avril 1972 et mars 1973. Les bilans pratiqués, neurologiques, gynécologiques, rénaux... restent négatifs. Ces crises focalisant tout d'abord l'attention médicale, restent rebelles à toutes les tentatives thérapeutiques entreprises, traitement anticomitial, neuroleptique, psychothérapie. Le bénéfice secondaire est évident : son père, hospitalisé pour amputation d'une jambe, à qui elle rend visite, est témoin d'une de ces crises, particulièrement spectaculaire et elle souligne que "c'est la première fois que je l'ai vu pleurer, quand il a su ce qui m'arrivait". La symptomatologie s'aggrave à l'annonce de la deuxième amputation de son père, de sa sortie... Une année après, elle présente "une symptomatologie somatique accentuée sur le mode hypochondriaque avec douleurs des genoux empêchant la marche normale, douleurs du bas ventre" qui font envisager une affection rénale. Ces douleurs cèdent à l'injection d'eau distillée. Elle fait part d'une "impulsion à se jeter sous les voitures" et d'idées de suicide. L'élément manipulation apparaît évident, Monique redoutant alors de quitter l'hôpital et d'affronter la maladie de son père encore hospitalisé et sa grand-mère... La persistance de symptômes dans la sphère génitale va conduire à une seconde intervention gynécologique à 21 ans, ovariectomie gauche, pratiquée dans une clinique allemande où était hospitalisé son père. En allant lui rendre visite, elle aurait en effet présenté une importante hémorragie, nécessitant l'hospitalisation immédiate. Deux mois plus tard, Monique se fait réadmettre en psychiatrie pour état dépressif. Alors qu'elle est encore hospitalisée, sa mère vient lui rendre visite, avec son deuxième mari. Celle-ci tiendrait un restaurant en Allemagne et propose à Monique de venir travailler avec elle, ce qu'elle accepte. Elle fugue de l'hôpital, tout va bien pendant deux à trois mois puis les relations se dégradent. D'après elle, sa mère, qui boit toujours, est rapidement jalouse d'elle, l'insulte... Son séjour chez sa mère dure huit mois environ el se termine par une tentative de suicide médicamenteuse, suivie d'une nouvelle hospitalisation en psychiatrie, en Allemagne. Monique se sent incapable de vivre seule, n'a plus d'endroit où aller. L'intervention du médecin la décide finalement à revenir chez son père et sa grand-mère, espérant que tout va s'arranger. Mais très rapidement, "tout recommence" et Monique revient à l'hôpital. Les médecins font mention de son attitude revendicatrice à leur encontre. Monique a un comportement d'opposition, refusant les médicaments, menaçant de faire la grève de la faim... Au cours de ces multiples hospitalisations, Monique a été vue par de nombreux médecins, et a mis en échec toute tentative de prise en charge. Les entretiens glanent au hasard quelques détails de son histoire et de ses préoccupations, parfois contradictoires. Mais elle avoue n'avoir jamais abordé le problème réel, à savoir sa relation incestueuse à son père. Le premier dossier médical ouvert à 19 ans se referme là, à 22 ans. Peu de temps après, pourtant, elle est réhospitalisée, mais dans un autre hôpital cette fois. Elle y fait un séjour, sort, refait des "malaises" qui la font réadmettre encore ailleurs. El ainsi de suite... Monique fait le tour des hôpitaux de la région. Elle s'étonne de l'insistance des médecins à lui parler psychothérapie. Elle se décide finalement à consulter une psychiatre privée, qui lui a été recommandée. Mais très rapidement, après quatre ou cinq séances, elle interrompt en disant que c'est inutile. Plus tard, elle consultera un autre psychiatre, ça ne durera que quelques mois. Elle nous dit avoir parlé, "mais jamais de mon père, de ma mère, de ma grand-mère", et encore moins d'elle-même ! "J'inventais des histoires". Enfin, elle voit un neuropsychiatre, pensant qu'il serait plus compétant mais se lasse après quelques séances, déçue dans son attente. Elle dit avoir toujours gardé une attitude fermée, ne voyant pas la nécessité de parler, et attendant des médecins qu'ils fassent "des miracles". Bien sûr, elle n'obtenait pas les résultats spectaculaires attendus et abandonnait. Ceci nous amène à ses 24 ans, Monique ne parvient à parler ni en psychothérapie, ni à son père à qui elle voulait dire que c'est à cause de lui, de son attitude vis-à-vis d'elle, qu'elle est malade, mais dont elle a bien trop peur. Cette même année, Monique subit une troisième intervention gynécologique, radicale cette fois, puisque c'est une hystérectomie totale. D'après les médecins, il y aurait eu un processus tumoral débutant au niveau du col de l'utérus et cette intervention "prophylactique" serait indispensable malgré le jeune âge de Monique. Son gynécologue lui aurait confié "n'avoir jamais compris pourquoi elle était allée si loin", ne s'expliquant pas les réactions "fortes" de son corps. On ne note aucun changement dans sa vie jusqu'à 25 ans, hormis le fait qu'elle refuse alors toute proposition de psychothérapie. Mais c'est là, n'en pouvant plus, qu'elle consulte son médecin pour se faire réhospitaliser, et, devant son refus, se décide à faire une nouvelle démarche psychothérapique auprès du Dr Meyer. Les premiers mois se passent en entretiens individuels. Là encore, Monique ne parle "de rien", annonçant parfois, en début de séance, qu'elle restera silencieuse, attendant que l'heure passe, et se demandant ce qu'elle faisait là. Puis le groupe de somatanalyse lui est proposé. Elle poursuit, entre les week-ends, des séances individuelles. Pour éviter le risque d'une interprétation hâtive et rester au plus près de ce qui s'est vécu réellement, nous avons choisi d'adopter le style de l'interview et rapporterons directement les propos de Monique, exprimés dans un langage très simple. Il sera souvent fait allusion au thérapeute, Richard, comme l'appellent les participants du groupe de somatanalyse. Tout d'abord, Monique nous parle de ses symptômes, de l'hôpital : "J'étais très malheureuse... je n'ai pas pu m'exprimer... je ne pouvais pas détruire mon père... j'avais honte de lui. Les kystes, c'était un refus... Je faisais des crises tout le temps. Je me laissais tomber. Je hurlais dans la rue, de souffrance ; je ne pouvais pas exprimer ma souffrance mais je ne comprenais pas, à l'époque. Je me sentais incapable de réagir toute seule, Je voulais que les autres réagissent à ma place". Plus tard, elle fait encore des "crises" mais prend conscience de ce qui se passe : "en sortant de chez Richard, je ressentais une souffrance morale : je souhaitais avoir un symptôme et j'avais une chute de tension ; je tombais. En reprenant conscience, je hurlais. Je voulais qu'on s'occupe de moi, on, mon père, ma mère... J'ai compris pourquoi je voulais tomber". Puis elle aborde le groupe de somatanalyse. "Dès le premier week-end, j'ai commencé à crier. Je ne savais pas ce qui se passait mais je sentais que c'était un soulagement. Je me suis sentie prête à revenir... c'est un peu le groupe qui a fait que je suis restée en thérapie... ça m'a permis de me dégager de mes douleurs... Je ne parlais pas beaucoup, mais j'exprimais beaucoup, surtout par le cri... J'ai commencé à parler de moi, d'abord à Richard... seulement un an après dans le groupe. Au début, je me mettais à l'écart du groupe, j'avais l'impression qu'on ne m'écoutait pas – je me sentais rejetée... Je voulais que les autres voient comme j'ai souffert... II n'y avait que Richard qui comptait. Très vite, je l'ai vu comme mon père - j'ai eu peur - j'ai voulu partir - j'avais envie de le frapper- il m'a expliqué que c'était le transfert... En travaillant le cri, les images revenaient très fort. Parfois j'avais peur que ça devienne trop fort, que je n'arrive plus à contrôler, je m'agitais. J'avais peur de me tuer dans ce cri... Plusieurs fois, j'ai quitté la salle en ressentant une émotion trop forte. Richard est venu me chercher. C'était peut-être un appel par les gestes. "Les autres fois, Richard n'est plus venu- je me sentais abandonnée. J'ai revécu une scène avec ma mère : elle m'avait emmenée faire les courses avec elle, puis m'a laissée dans un café pendant quatre heures - j'avais peur qu'elle ne revienne pas - je devrais retourner chez les sœurs... J'étais consciente que c'était à ma mère que s'adressait cette demande de ne pas m'abandonner- je revivais cette situation -je ressentais des douleurs. Cela s'est reproduit plusieurs fois - à la longue, je n'avais plus besoin de cela..." Après quelque temps, Monique attend les week-ends avec impatience pour exprimer ses émotions, essayant de contrôler ses "malaises" entre les week-ends. "Je préférais crier un bon coup que de tomber et recommencer tout le tralala, le Samu ... J'aurais eu honte de tomber dans le groupe..." Par la suite, le travail du cri fait revenir les symptômes que Monique connaît déjà si bien. Elle peut analyser de plus près ce qui se passe. "Dès que je vivais quelque chose avec mon père ou ma mère, ça commençait par des bourdonnements d'oreille, puis j'avais l'impression de m'envoler et si je laissais venir, je tombais... après je connaissais le système, quand j'avais des bourdonnements, j'en parlais, je m'exprimais". "D'autres fois, je criais, puis, tout à coup, je n'avais plus d'image, c'était un blocage... après j'avais des maux de tête… peut-être que je n'avais pas tout exprimé... En commençant à crier, j'avais une mauvaise respiration, j'avais des crises tétaniques, j'espérais que je ferais un arrêt du cœur... c'était une fuite... puis j'ai vu qu'il ne se passait rien, je me suis dit : arrête ton cinéma... je pouvais respirer tout doucement". Bien sûr, le thérapeute prend une importance primordiale à travers le transfert et Monique voudrait l'exclusivité de son attention. "J'aurais voulu qu'il reste des heures avec moi. Quand il partait, je me sentais abandonnée, c'était terrible... Je regardais combien de temps il travaillait avec les autres - et avec moi. Je lui reprochais de rester moins de temps avec moi. Je criais "j'ai besoin de toi", je l'appelais, et je voyais mon père - je m'accrochais à lui comme à mon père... enfant, j'étais toujours "accrochée à ses pantalons"... J'étais consciente de mon attitude... A la fin du week-end j'avais toujours un sentiment de frustration. Ce n'était jamais assez - j'allais entre ses genoux, comme avec mon père - j'avais quand même quelque chose". Monique établit aussi des transferts latéraux, avec d'autres membres du groupe. Elle en évoque deux, qui lui ont permis, à travers des femmes, de travailler sa relation avec sa mère. "Avec Eliane, j'étais crispée. Elle buvait comme ma mère - j'avais peur d'elle - je sentais de la colère. J'avais peur qu'elle ne sache plus ce qu'elle faisait, une fois saoule. Je revoyais ma mère, elle changeait de visage, ça m'angoissait. Je m'imaginais qu'elle allait me frapper ou m'étrangler... On est devenues très amies. Mais en fait, ce n'était pas une amitié, elle me faisait pitié. Je n'osais pas la quitter, je n'osais rien lui dire ; je ne supportais pas de la voir boire, mais je restais... J'ai travaillé là-dessus. Il m'a fallu longtemps pour réagir et pour accepter... Je n'ai plus besoin d'elle". "Carole me rappelait ma mère physiquement, elle avait les mêmes manières, s'inventait des problèmes comme elle… Quand elle m'assistait pour le cri, je voyais ma mère qui me battait, me privait de tout. Je lui criais : tu me fais mal, arrête de me battre- je ressentais une grande souffrance morale. Je lui demandais : pourquoi ne m'as-tu pas aimée ?... Je ne comprenais pas pourquoi j'avais eu une mère comme ça. Je revoyais les images du passé, ressentais des douleurs morales et physiques, des maux de tête, de ventre, des crampes. Je m'effondrais, je ne pouvais pas réagir... je ne voulais pas voir qu'elle était aussi négative. Après je me mettais en colère contre elle - j'ai crié ma haine... Un jour, j'ai eu l'image de ma mère enceinte... je me voyais dans son ventre, je ne voulais pas sortir - j'étais en position fœtale - j'étais bien, j'aurais voulu rester là..." Plus tard, Monique a pu travailler le contact physique en bonding, plus particulièrement avec le thérapeute, puis avec d'autres personnes. Elle a pu aborder là ses difficultés de contact, surtout avec les hommes. Au début, elle disait ne même pas pouvoir toucher un homme. Les premiers bondings font revenir l'image de son père ; elle interrompt l'expérience: ‘’j'étais très crispée, je tremblais, j'étais comme paralysée... je voyais mon père me tripoter..." Puis elle semble subir les choses : "je restais passive, j'attendais... c'était parfois très fort, je le sentais, je voyais..." Puis elle accède à d'autres expériences : "j'étais crispée, dans ses bras, je pensais déjà à la séparation... je ne pouvais pas prendre de plaisir... Plus tard, je l'appelais quand il était parti- je revoyais ma mère et mon père en même temps. Quand il ne revenait pas, j'avais un vide, je pleurais pendant des heures, je souffrais... J'étais bien dans ses bras sans le regarder- je ne pouvais pas le regarder... J'ai vécu des moments de bien-être, quand j'étais enfant, dans ses bras- ça me faisait pleurer, je ne comprenais pas pourquoi c'était fini..." Elle exprime ses sentiments vis-à-vis de son père : "je vivais de la haine ou de l'amour, aussi fortement... je le criais, j'avais envie de le frapper...". Elle évoque ses désirs : "j'avais envie d'une présence affective, de caresses". Elle se sent mieux dans le groupe. "J'étais là, avec les autres du groupe, je ne pouvais pas parler, mais au moins, j’étais là... Je ne sais pas discuter, mais maintenant, je l'accepte, j’écoute, je ne me sens plus "bête"... j'ai retrouvé le rire... je communique plus facilement". Après six années de thérapie qui ne peuvent évidemment pas être rapportées in extenso ici, Monique n'a plus éprouvé le besoin de venir. "On attend toujours quelque chose du thérapeute - ce n'est pas Dieu non plus ; pour le reste, il faut se prendre en charge", ce qu'elle fait effectivement. Si le décès de son père, à ses 25 ans, la laisse sans regrets, celui de sa grand-mère cinq ans plus tard, est vécu comme un choc et elle fera, à cette occasion, une poussée de psoriasis qui, dit-elle, "a disparu tout seul quand j'ai accepté sa mort". Le décès de cette grand-mère était un cap difficile de sa vie, qu'elle a, somme toute, assez bien franchi. Monique vit seule actuellement avec un copain qui vit seul également. Elle a repris une activité professionnelle (garde d'enfants à domicile), et sa vie relationnelle et affective la satisfait. Elle ressent un besoin nouveau d'indépendance et envisage sans crainte de vivre des moments de solitude. Elle se sent capable, comme tout un chacun, d'affronter les moments difficiles et ne veut surtout pas retomber dans le "cercle vicieux" de la thérapie et encore moins de la psychiatrie. Nous voudrions à présent apporter un autre regard sur Monique, celui du thérapeute qui a bien voulu répondre à nos questions. Nous conserverons le style de l'interview adopté précédemment pour cet exposé, reprenant les trois dimensions de la somatanalyse.
Concernant le comportement de Monique dans le groupe, on retiendra plusieurs points. Quant à l'évolution de ses investissements dans le groupe.
La relation transférentielle de Monique, "est massive... la difficulté, au début, était d'accueillir la massivité de son transfert... mon attitude au départ a été chaleureuse... Le travail corporel et émotionnel a permis à ce transfert massif de se fixer, puis d'évoluer... Dans le transfert, elle reproduit sa relation à son père, qu'elle aimait et qui introduit le risque sexuel. Peu à peu, elle a pu séparer l'affection de l'agression sexuelle. Elle a pu retrouver, grâce au transfert, sa capacité amoureuse, et déconnecter l'image de son père et sa vie actuelle, ce qui, par la suite, a été élargi à d'autres personnes puis transposé dans sa vie privée, correspondant à la liquidation du transfert. J'étais le "premier maillon de la chaîne", d'autres maillons sont venus compléter, Monique établissant des transferts latéraux, en particulier avec des femmes. Ces différents transferts sur des personnes distinctes apportent, en thérapie de groupe, l'avantage de la simplicité et donc d'une compréhension plus facile. Pour Monique, la gymnastique d'esprit nécessaire en travail individuel, du fait que des transferts différents se portent sur la même personne, n'était peut-être pas évidente...
Les settings investis par Monique sont d’abord le cri et le bonding dans un deuxième temps. Ce qu'apporte le corps dans la thérapie :
En somatanalyse, l'interprétation se fait à plusieurs niveaux. Nous ne repasserons pas en revue tous les aspects de la thérapie qui apparaissent déjà clairement dans les propos du thérapeute. Richard Meyer a déjà souligné quelques-uns des avantages introduits par le corps et le groupe, et la démarche qui permet de passer du corps à la dimension analytique. Notre réflexion essayera de mettre en évidence les éléments qui nous sont apparus essentiels dans ce travail. Monique apparaît atteinte d'une névrose hystérique grave à laquelle des années de psychiatrie n'apportent pas de solution. On ne note aucune amélioration de son attitude : elle offre aux médecins des symptômes, avec une tendance à l'escalade et un "discours de séduction", ajoutant parfois un détail piquant supplémentaire à son histoire. Mais elle reste incapable d'aborder ses préoccupations réelles. Les quelques tentatives de psychothérapie verbale ne viennent que confirmer l'incapacité de Monique à investir cet abord purement verbal, à laquelle nous pouvons entrevoir plusieurs raisons :
Par contre la somatanalyse lui permet d'établir très rapidement et très fortement une relation transférentielle par le biais du travail corporel et émotionnel. Elle lui ouvre également un champ plus large d'expression, au sein duquel elle peut trouver sa place, à travers des "settings" bien particuliers qui correspondent à sa dynamique personnelle. Conformément au principe de répétition, elle s'exprime, au début, dans l'exhibition, l'intensité émotionnelle du cri, cherchant régulièrement à se démarquer du groupe. En dehors de ces moments d'ouverture dans l'émotionalité, Monique reste réservée ou dans une attitude de jeu avec quelques personnes privilégiées, faisant preuve de sa difficulté à établir une communication véritable avec autrui. Son cri, comme auparavant son discours, est une réponse à l'attente du thérapeute mais, très vite, elle ne peut plus le contrôler, contrairement à son discours. Les images et l'émotion qui surgissent sont trop fortes. Elle a alors accès à autre chose, au moment primaire. Elle vit tout d'abord l'effet cathartique de surprise ouvrant à un vécu unifié auquel elle ne pouvait accéder jusqu'alors que par le symptôme qui était, pour cette raison, désiré. Elle découvre ainsi qu'il existe d'autres voies de détente que le symptôme, découverte qui apparaît comme un soulagement. Mais cet effet cathartique de surprise ne dure qu'un temps, le temps pour les défenses de se remettre en place. Les siennes sont de deux ordres.
Nous avons vu, à travers les propos de Monique et ceux du thérapeute, tout le travail qui peut se faire alors, comment il se fait à force de négociation, et la prise de conscience qui en résulte. Le corps est le support de cette prise de conscience, I’illustration indispensable pour Monique du phénomène de résistance, qu'elle n'aurait sûrement pas pu appréhender autrement. Ainsi abandonne-t-elle progressivement le symptôme puis le passage à l'acte, en ayant compris leurs significations Elle trouve une expression plus adéquate à ses émotions en acceptant de les reconnaître et de les vivre. Le corps lui permet d'accéder à !a compréhension d'elle-même par le biais du symptôme, puis du passage à l'acte, enfin, des résistances. Elle parvient alors à ce que Richard Meyer dénomme catharsis de négoce, lui permettant d'explorer plus clairement ses sentiments, de les exprimer ou d'accéder à des situations de bien-être, tel le niveau intra-utérin dont elle nous fait part, moment plein par excellence, qu'il n'est nullement besoin d'interpréter. Pour Monique, le corps apparaît comme un moyen d'expression et de communication privilégié grâce auquel elle peut passer du symptôme, langage erroné car coupé de sa signification réelle, au cri, langage souvent poignant de vérité. On peut encore constater que Monique, quand elle était poussée à s'exprimer verbalement en thérapie, à l'hôpital, avait tendance à la fabulation, ce qui explique sans doute que ses souvenirs parlés apparaissent plus ou moins fluctuants, voire contradictoires. Dans le revécu émotionnel, au contraire, les images s'imposent à elle, s'enchaînent naturellement, se répétant identiques à elles-mêmes tant que leur contenu n'a pas été perlaboré ; on peut penser, de ce fait, qu'elle correspondent plus exactement à la réalité. Et Monique est donc confrontée à cette réalité, à ces conflits que la fabulation et les ‘’faux souvenirs" lui permettaient de fuir. Petit à petit, l'intensité émotionnelle et le travail exclusif avec le thérapeute par lesquels elle continuait à répéter son comportement antérieur ''hystérique" ne lui sont plus nécessaires. Elle accède à d'autres modes de communication en travaillant avec d'autres personnes, puis dans d'autres settings, plus spécifiquement dans le bonding où elle sera confrontée directement à ses difficultés de contact et surtout à leur source : la relation incestueuse à son père. Cette évocation insistante, sous forme d'images, l'empêche d'être dans le bonding, dans le moment. Son corps reste tendu, fermé à la sensualité, à la tendresse. La prise de conscience des tensions musculaires et de l'origine de ces tensions lui permet peu à peu de les abandonner, de se laisser aller au plaisir tendre. Elle peut vivre alors des moments pleins dans le calme, l'affection, découvrir une autre façon d'être qui lui était restée interdite jusque là, du fait du traumatisme sexuel qu'elle avait subi. Grâce à ces expériences positives, Monique peut dépasser ses souvenirs pénibles et retrouver sa capacité amoureuse dans le transfert puis dans le groupe, enfin, dans sa vie privée - capacité amoureuse que sa maladie lui avait fait perdre. Enfin, son travail d'individuation se poursuit, Monique éprouvant le besoin de rester seule avec ses émotions et parvenant, par la suite, à verbaliser son vécu et à faire le lien entre ses expériences passées et actuelles. Cette évolution en trois temps, soulignée par Richard Meyer : recherche de sécurisation, ici par le thérapeute, recherche d'affection dans la relation de couple, enfin isolement pour l'individuation, "est dans l'ordre des choses en somatanalyse". En dernier lieu, on remarque les settings ou cadres thérapeutiques qui ne sont pas investis par Monique : la méditation, le rebirth, qui nécessitent un travail trop intériorisé, à niveau émotionnel bas, et ne correspondent pas du tout, de ce fait, à sa personnalité. Tout ce travail qui consiste en définitive à restituer le flux vital, reste d'esprit reichien. Il s'agit pour Monique d'exprimer l'émotion qui était bloquée, ne pouvant se traduire, du fait des clivages, que sous forme de symptômes puis de passages à l'acte. Le moment primaire lui permet de vivre entièrement cette émotion d'abord dans le cri, l'intensité, puis dans la tendresse, le calme. Les clivages deviennent perméables, permettant d'autres modes d'être. Le corps vécu est le centre du travail. D'hystérique, Monique est devenue une femme à la sensibilité fine et aux émotions fortes, tout simplement. Mais si le travail au corps a nécessairement retrouvé les grands principes reichiens, l'organisation de ce travail est, ici, non-directive et analytique, ayant laissé toute sa place à l'originalité extrême de Monique.
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