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Chapitre 6 : Monique et Fabienne : deux somatanalyses prolongées et approfondies

 Nous avons rencontré deux personnes, Monique et Fabienne, effectuant un travail suivi en somatanalyse et souhaitons rapporter le plus fidèlement possible ce qu'elles ont bien voulu nous dire à propos de leur thérapie. Chacune d'elle était déjà une habituée des circuits psychiatriques avant d'entrer dans le groupe de somatanalyse. Nous commencerons donc par évoquer, pour chacune, son histoire personnelle et psychiatrique, avant d'essayer de retracer, à travers leur discours, leur vécu en somatanalyse. Une entrevue avec le Dr Meyer nous renseignera sur sa vision des choses.

Pour donner une vue aussi complète que possible, nous avons essayé d'aborder la somatanalyse dans ses trois dimensions, relationnelle, somatothérapique et analytique. Nous avons systématisé nos questions, visant dans chacun de ces trois volets, quelques items plus précis :

1) dans la dimension relationnelle, nous envisageons:

  • le comportement dans le groupe,

  • la relation transférentielle.

2) dans la dimension somatothérapique :

  • les settings investis,

  • ce qu'apporte le corps dans la thérapie.

3) dans la dimension analytique:

  • le transfert,

  • l'interprétation.

En dernier lieu, nous donnerons notre point de vue et tenterons d'apporter nos conclusions personnelles.

 

  • Monique

  •  Monique a 34 ans quand nous la rencontrons. Elle a travaillé pendant six ans en somatanalyse, travail qu'elle estime achever depuis un an et demi. Retracer son histoire et son "cursus" hospitalier n'est pas tâche facile vue la complexité de sa biographie.

    La vie de Monique commence par un abandon : sa mère, allemande, célibataire, alors âgée de 17 ans, l'abandonne à trois semaines. Elle est recueillie par un orphelinat tenu par des sœurs, en Allemagne, où se déroule la première partie de sa vie, jusqu'à l'âge de dix ans. Elle ne sera jamais scolarisée durant cette période, dont il ne lui reste que de mauvais souvenirs. Elle ne retient que la froideur et l'injustice des sœurs par qui elle était souvent frappée, ce à quoi elle réagissait par l'inhibition et le repli sur elle-même, n'ayant pas d'amis, n'osant ni jouer, ni rire.

    Sa mère réapparaît dans sa vie quand elle a dix ans. Elle est alors mariée avec un batelier d'origine alsacienne qui, apprenant qu'elle a une fille, décide de l'adopter et la fait sortir de l'orphelinat pour la scolariser. C'est la mère de ce père adoptif, âgée de 70 ans et veuve, qui va la prendre en charge pendant la période scolaire, tandis que les vacances se passent sur le bateau avec les parents.

    Elle s'entendait assez bien avec cette grand-mère. Son père se montrait gentil avec elle, la "gâtant beaucoup", tandis que la relation avec sa mère est d'emblée mauvaise, empreinte de violence et de ressentiment. Celle-ci, qui par ailleurs boit et se prostitue à l'occasion, la "frappe jusqu'au sang" en se cachant de son mari, et la menace.

    Monique se décrit comme une enfant craintive, renfermée, ayant toujours peur d'être battue. Sa mère ne reste que très peu de temps dans sa vie. En effet, à treize ans, elle apprend par son père le divorce des parents, ce qui la ''bouleverse". Son père a des problèmes de santé : artérite, diabète... pour lesquels il est hospitalisé régulièrement et subira, quelques années plus tard, à 48 ans, une amputation des deux jambes. Lorsque Monique a 18 ans, son père, ne pouvant plus travailler, vient s'installer chez sa propre mère.

    Pour elle, "c'est là que tout a commencé". Ce père, avec qui elle avait jusqu'à présent de bonnes relations, change de visage, abusant d'elle et de sa naïveté. Il s'instaure alors une relation incestueuse qui durera dix ans, jusqu'à la mort de ce père qu'elle ressent comme un soulagement. Ne se sentant pas en mesure de se défendre, Monique préférait subir en silence plutôt que de risquer un deuxième abandon, dont la menaçait son père, ou d'en parler à sa grand-mère qui ne survivrait peut-être pas à une telle nouvelle. Elle se sentait toujours redevable envers ce père qui l'avait sortie de l'orphelinat, et, le sachant condamné, pensait sa mort prochaine.

    Les problèmes gynécologiques puis "psychiatriques" surviennent dans ce contexte. Les hospitalisations apparaissent à Monique comme seul refuge, ce qui explique en partie leur fréquence.

    Vues les circonstances, la scolarité de Monique n'a guère de place dans sa vie. Elle ne sera scolarisée que de 10 à 14 ans et n'atteindra qu'un niveau inférieur au certificat d'études, du fait d'un handicap lié à la langue. Elle fait un apprentissage de vendeuse à 14 ans, n'obtient pas le C.A.P., mais est gardée comme employée car elle donne satisfaction. Elle sera donc employée dans un grand magasin de 14 à 22 ans, puis mise en invalidité.

    Toutes ces difficultés existentielles se soldent tout d'abord par une symptomatologie gynécologique apparaissant aux alentours de ses 18 ans. Douleurs pelviennes, dysménorrhées, métrorragies mènent à un bilan gynécologique complet ; une laparotomie diagnostique une sclérose kystique des ovaires. Présentant un volumineux kyste à droite, Monique subit une ovariectomie partielle droite à 19 ans.

    Les douleurs reprennent quelques mois plus tard, plus vives et s'accompagnent d'épisodes lipothymiques. Monique est hospitalisée pour la première fois en psychiatrie suite à une "perte de connaissance survenue dans la rue, précédée de douleurs abdominales et provoquant une douleur au genou". Le diagnostic de crise comitiale, d'abord évoqué, n'est pas retenu, au profit du diagnostic de crises hystériques. Dès lors, la vie de Monique sera ponctuée par ces crises donnant lieu à de nombreuses interventions du SAMU et à des hospitalisations le plus souvent courtes, entre avril 1972 et mars 1973.

    Les bilans pratiqués, neurologiques, gynécologiques, rénaux... restent négatifs. Ces crises focalisant tout d'abord l'attention médicale, restent rebelles à toutes les tentatives thérapeutiques entreprises, traitement anticomitial, neuroleptique, psychothérapie. Le bénéfice secondaire est évident : son père, hospitalisé pour amputation d'une jambe, à qui elle rend visite, est témoin d'une de ces crises, particulièrement spectaculaire et elle souligne que "c'est la première fois que je l'ai vu pleurer, quand il a su ce qui m'arrivait". La symptomatologie s'aggrave à l'annonce de la deuxième amputation de son père, de sa sortie...

    Une année après, elle présente "une symptomatologie somatique accentuée sur le mode hypochondriaque avec douleurs des genoux empêchant la marche normale, douleurs du bas ventre" qui font envisager une affection rénale. Ces douleurs cèdent à l'injection d'eau distillée. Elle fait part d'une "impulsion à se jeter sous les voitures" et d'idées de suicide. L'élément manipulation apparaît évident, Monique redoutant alors de quitter l'hôpital et d'affronter la maladie de son père encore hospitalisé et sa grand-mère...

    La persistance de symptômes dans la sphère génitale va conduire à une seconde intervention gynécologique à 21 ans, ovariectomie gauche, pratiquée dans une clinique allemande où était hospitalisé son père. En allant lui rendre visite, elle aurait en effet présenté une importante hémorragie, nécessitant l'hospitalisation immédiate. Deux mois plus tard, Monique se fait réadmettre en psychiatrie pour état dépressif. Alors qu'elle est encore hospitalisée, sa mère vient lui rendre visite, avec son deuxième mari. Celle-ci tiendrait un restaurant en Allemagne et propose à Monique de venir travailler avec elle, ce qu'elle accepte.

    Elle fugue de l'hôpital, tout va bien pendant deux à trois mois puis les relations se dégradent. D'après elle, sa mère, qui boit toujours, est rapidement jalouse d'elle, l'insulte... Son séjour chez sa mère dure huit mois environ el se termine par une tentative de suicide médicamenteuse, suivie d'une nouvelle hospitalisation en psychiatrie, en Allemagne. Monique se sent incapable de vivre seule, n'a plus d'endroit où aller. L'intervention du médecin la décide finalement à revenir chez son père et sa grand-mère, espérant que tout va s'arranger.

    Mais très rapidement, "tout recommence" et Monique revient à l'hôpital. Les médecins font mention de son attitude revendicatrice à leur encontre. Monique a un comportement d'opposition, refusant les médicaments, menaçant de faire la grève de la faim... Au cours de ces multiples hospitalisations, Monique a été vue par de nombreux médecins, et a mis en échec toute tentative de prise en charge. Les entretiens glanent au hasard quelques détails de son histoire et de ses préoccupations, parfois contradictoires. Mais elle avoue n'avoir jamais abordé le problème réel, à savoir sa relation incestueuse à son père. Le premier dossier médical ouvert à 19 ans se referme là, à 22 ans.

    Peu de temps après, pourtant, elle est réhospitalisée, mais dans un autre hôpital cette fois. Elle y fait un séjour, sort, refait des "malaises" qui la font réadmettre encore ailleurs. El ainsi de suite... Monique fait le tour des hôpitaux de la région. Elle s'étonne de l'insistance des médecins à lui parler psychothérapie. Elle se décide finalement à consulter une psychiatre privée, qui lui a été recommandée. Mais très rapidement, après quatre ou cinq séances, elle interrompt en disant que c'est inutile.

    Plus tard, elle consultera un autre psychiatre, ça ne durera que quelques mois. Elle nous dit avoir parlé, "mais jamais de mon père, de ma mère, de ma grand-mère", et encore moins d'elle-même ! "J'inventais des histoires". Enfin, elle voit un neuropsychiatre, pensant qu'il serait plus compétant mais se lasse après quelques séances, déçue dans son attente. Elle dit avoir toujours gardé une attitude fermée, ne voyant pas la nécessité de parler, et attendant des médecins qu'ils fassent "des miracles". Bien sûr, elle n'obtenait pas les résultats spectaculaires attendus et abandonnait.

    Ceci nous amène à ses 24 ans, Monique ne parvient à parler ni en psychothérapie, ni à son père à qui elle voulait dire que c'est à cause de lui, de son attitude vis-à-vis d'elle, qu'elle est malade, mais dont elle a bien trop peur. Cette même année, Monique subit une troisième intervention gynécologique, radicale cette fois, puisque c'est une hystérectomie totale. D'après les médecins, il y aurait eu un processus tumoral débutant au niveau du col de l'utérus et cette intervention "prophylactique" serait indispensable malgré le jeune âge de Monique. Son gynécologue lui aurait confié "n'avoir jamais compris pourquoi elle était allée si loin", ne s'expliquant pas les réactions "fortes" de son corps.

    On ne note aucun changement dans sa vie jusqu'à 25 ans, hormis le fait qu'elle refuse alors toute proposition de psychothérapie.

    Mais c'est là, n'en pouvant plus, qu'elle consulte son médecin pour se faire réhospitaliser, et, devant son refus, se décide à faire une nouvelle démarche psychothérapique auprès du Dr Meyer. Les premiers mois se passent en entretiens individuels. Là encore, Monique ne parle "de rien", annonçant parfois, en début de séance, qu'elle restera silencieuse, attendant que l'heure passe, et se demandant ce qu'elle faisait là. Puis le groupe de somatanalyse lui est proposé. Elle poursuit, entre les week-ends, des séances individuelles.

    Pour éviter le risque d'une interprétation hâtive et rester au plus près de ce qui s'est vécu réellement, nous avons choisi d'adopter le style de l'interview et rapporterons directement les propos de Monique, exprimés dans un langage très simple. Il sera souvent fait allusion au thérapeute, Richard, comme l'appellent les participants du groupe de somatanalyse.

    Tout d'abord, Monique nous parle de ses symptômes, de l'hôpital : "J'étais très malheureuse... je n'ai pas pu m'exprimer... je ne pouvais pas détruire mon père... j'avais honte de lui. Les kystes, c'était un refus... Je faisais des crises tout le temps. Je me laissais tomber. Je hurlais dans la rue, de souffrance ; je ne pouvais pas exprimer ma souffrance mais je ne comprenais pas, à l'époque. Je me sentais incapable de réagir toute seule, Je voulais que les autres réagissent à ma place".

    Plus tard, elle fait encore des "crises" mais prend conscience de ce qui se passe : "en sortant de chez Richard, je ressentais une souffrance morale : je souhaitais avoir un symptôme et j'avais une chute de tension ; je tombais. En reprenant conscience, je hurlais. Je voulais qu'on s'occupe de moi, on, mon père, ma mère... J'ai compris pourquoi je voulais tomber".

    Puis elle aborde le groupe de somatanalyse. "Dès le premier week-end, j'ai commencé à crier. Je ne savais pas ce qui se passait mais je sentais que c'était un soulagement. Je me suis sentie prête à revenir... c'est un peu le groupe qui a fait que je suis restée en thérapie... ça m'a permis de me dégager de mes douleurs... Je ne parlais pas beaucoup, mais j'exprimais beaucoup, surtout par le cri... J'ai commencé à parler de moi, d'abord à Richard... seulement un an après dans le groupe.

    Au début, je me mettais à l'écart du groupe, j'avais l'impression qu'on ne m'écoutait pas – je me sentais rejetée... Je voulais que les autres voient comme j'ai souffert... II n'y avait que Richard qui comptait. Très vite, je l'ai vu comme mon père - j'ai eu peur - j'ai voulu partir - j'avais envie de le frapper- il m'a expliqué que c'était le transfert... En travaillant le cri, les images revenaient très fort. Parfois j'avais peur que ça devienne trop fort, que je n'arrive plus à contrôler, je m'agitais. J'avais peur de me tuer dans ce cri... Plusieurs fois, j'ai quitté la salle en ressentant une émotion trop forte. Richard est venu me chercher. C'était peut-être un appel par les gestes.

    "Les autres fois, Richard n'est plus venu- je me sentais abandonnée. J'ai revécu une scène avec ma mère : elle m'avait emmenée faire les courses avec elle, puis m'a laissée dans un café pendant quatre heures - j'avais peur qu'elle ne revienne pas - je devrais retourner chez les sœurs... J'étais consciente que c'était à ma mère que s'adressait cette demande de ne pas m'abandonner- je revivais cette situation -je ressentais des douleurs. Cela s'est reproduit plusieurs fois - à la longue, je n'avais plus besoin de cela..."

    Après quelque temps, Monique attend les week-ends avec impatience pour exprimer ses émotions, essayant de contrôler ses "malaises" entre les week-ends. "Je préférais crier un bon coup que de tomber et recommencer tout le tralala, le Samu ... J'aurais eu honte de tomber dans le groupe..." Par la suite, le travail du cri fait revenir les symptômes que Monique connaît déjà si bien. Elle peut analyser de plus près ce qui se passe. "Dès que je vivais quelque chose avec mon père ou ma mère, ça commençait par des bourdonnements d'oreille, puis j'avais l'impression de m'envoler et si je laissais venir, je tombais... après je connaissais le système, quand j'avais des bourdonnements, j'en parlais, je m'exprimais".

    "D'autres fois, je criais, puis, tout à coup, je n'avais plus d'image, c'était un blocage... après j'avais des maux de tête… peut-être que je n'avais pas tout exprimé... En commençant à crier, j'avais une mauvaise respiration, j'avais des crises tétaniques, j'espérais que je ferais un arrêt du cœur... c'était une fuite... puis j'ai vu qu'il ne se passait rien, je me suis dit : arrête ton cinéma... je pouvais respirer tout doucement".

    Bien sûr, le thérapeute prend une importance primordiale à travers le transfert et Monique voudrait l'exclusivité de son attention. "J'aurais voulu qu'il reste des heures avec moi. Quand il partait, je me sentais abandonnée, c'était terrible... Je regardais combien de temps il travaillait avec les autres - et avec moi. Je lui reprochais de rester moins de temps avec moi. Je criais "j'ai besoin de toi", je l'appelais, et je voyais mon père - je m'accrochais à lui comme à mon père... enfant, j'étais toujours "accrochée à ses pantalons"... J'étais consciente de mon attitude... A la fin du week-end j'avais toujours un sentiment de frustration. Ce n'était jamais assez - j'allais entre ses genoux, comme avec mon père - j'avais quand même quelque chose".

    Monique établit aussi des transferts latéraux, avec d'autres membres du groupe. Elle en évoque deux, qui lui ont permis, à travers des femmes, de travailler sa relation avec sa mère. "Avec Eliane, j'étais crispée. Elle buvait comme ma mère - j'avais peur d'elle - je sentais de la colère. J'avais peur qu'elle ne sache plus ce qu'elle faisait, une fois saoule. Je revoyais ma mère, elle changeait de visage, ça m'angoissait. Je m'imaginais qu'elle allait me frapper ou m'étrangler... On est devenues très amies. Mais en fait, ce n'était pas une amitié, elle me faisait pitié. Je n'osais pas la quitter, je n'osais rien lui dire ; je ne supportais pas de la voir boire, mais je restais... J'ai travaillé là-dessus. Il m'a fallu longtemps pour réagir et pour accepter... Je n'ai plus besoin d'elle".

    "Carole me rappelait ma mère physiquement, elle avait les mêmes manières, s'inventait des problèmes comme elle… Quand elle m'assistait pour le cri, je voyais ma mère qui me battait, me privait de tout. Je lui criais : tu me fais mal, arrête de me battre- je ressentais une grande souffrance morale. Je lui demandais : pourquoi ne m'as-tu pas aimée ?... Je ne comprenais pas pourquoi j'avais eu une mère comme ça. Je revoyais les images du passé, ressentais des douleurs morales et physiques, des maux de tête, de ventre, des crampes. Je m'effondrais, je ne pouvais pas réagir... je ne voulais pas voir qu'elle était aussi négative. Après je me mettais en colère contre elle - j'ai crié ma haine... Un jour, j'ai eu l'image de ma mère enceinte... je me voyais dans son ventre, je ne voulais pas sortir - j'étais en position fœtale - j'étais bien, j'aurais voulu rester là..."

    Plus tard, Monique a pu travailler le contact physique en bonding, plus particulièrement avec le thérapeute, puis avec d'autres personnes. Elle a pu aborder là ses difficultés de contact, surtout avec les hommes. Au début, elle disait ne même pas pouvoir toucher un homme. Les premiers bondings font revenir l'image de son père ; elle interrompt l'expérience: ‘’j'étais très crispée, je tremblais, j'étais comme paralysée... je voyais mon père me tripoter..." Puis elle semble subir les choses : "je restais passive, j'attendais... c'était parfois très fort, je le sentais, je voyais..."

    Puis elle accède à d'autres expériences : "j'étais crispée, dans ses bras, je pensais déjà à la séparation... je ne pouvais pas prendre de plaisir... Plus tard, je l'appelais quand il était parti- je revoyais ma mère et mon père en même temps. Quand il ne revenait pas, j'avais un vide, je pleurais pendant des heures, je souffrais... J'étais bien dans ses bras sans le regarder- je ne pouvais pas le regarder... J'ai vécu des moments de bien-être, quand j'étais enfant, dans ses bras- ça me faisait pleurer, je ne comprenais pas pourquoi c'était fini..." Elle exprime ses sentiments vis-à-vis de son père : "je vivais de la haine ou de l'amour, aussi fortement... je le criais, j'avais envie de le frapper...". Elle évoque ses désirs : "j'avais envie d'une présence affective, de caresses".

    Elle se sent mieux dans le groupe. "J'étais là, avec les autres du groupe, je ne pouvais pas parler, mais au moins, j’étais là... Je ne sais pas discuter, mais maintenant, je l'accepte, j’écoute, je ne me sens plus "bête"... j'ai retrouvé le rire... je communique plus facilement".

    Après six années de thérapie qui ne peuvent évidemment pas être rapportées in extenso ici, Monique n'a plus éprouvé le besoin de venir. "On attend toujours quelque chose du thérapeute - ce n'est pas Dieu non plus ; pour le reste, il faut se prendre en charge", ce qu'elle fait effectivement. Si le décès de son père, à ses 25 ans, la laisse sans regrets, celui de sa grand-mère cinq ans plus tard, est vécu comme un choc et elle fera, à cette occasion, une poussée de psoriasis qui, dit-elle, "a disparu tout seul quand j'ai accepté sa mort". Le décès de cette grand-mère était un cap difficile de sa vie, qu'elle a, somme toute, assez bien franchi. Monique vit seule actuellement avec un copain qui vit seul également. Elle a repris une activité professionnelle (garde d'enfants à domicile), et sa vie relationnelle et affective la satisfait. Elle ressent un besoin nouveau d'indépendance et envisage sans crainte de vivre des moments de solitude.

    Elle se sent capable, comme tout un chacun, d'affronter les moments difficiles et ne veut surtout pas retomber dans le "cercle vicieux" de la thérapie et encore moins de la psychiatrie.

    Nous voudrions à présent apporter un autre regard sur Monique, celui du thérapeute qui a bien voulu répondre à nos questions. Nous conserverons le style de l'interview adopté précédemment pour cet exposé, reprenant les trois dimensions de la somatanalyse.

     

    • La dimension relationnelle

    • Concernant le comportement de Monique dans le groupe, on retiendra plusieurs points.

      • "Elle est timide, réservée, complexée par le niveau intellectuel des dialogues.

      • Elle adopte une attitude gamine, de jeu, en dehors des séances ou en aparté.

      • Sa présence dans le groupe est très émotionnelle, volontiers démonstrative, plus rarement verbale.

      • Sa demande affective est très grande. Selon la réponse de l'entourage, soit elle est très ouverte, soit elle se bloque.

      • Elle établit deux ou trois relations privilégiées.

      • Elle travaille souvent à contre-temps par rapport au reste du groupe - elle donne à voir.

      • Elle devient la locomotive du groupe pour le travail émotionnel, le cri... c'était un cadeau pour moi..."

      Quant à l'évolution de ses investissements dans le groupe.

       

      • "Par rapport aux personnes : elle passe d'un travail émotionnel exclusivement avec l'analyste à un travail émotionnel avec d'autres personnes, puis à une prise en charge solitaire.

      • Par rapport aux modalités du travail : elle passe du cri à l'assistance d'un autre participant, puis au bonding (contact physique).

      La relation transférentielle de Monique, "est massive... la difficulté, au début, était d'accueillir la massivité de son transfert... mon attitude au départ a été chaleureuse... Le travail corporel et émotionnel a permis à ce transfert massif de se fixer, puis d'évoluer... Dans le transfert, elle reproduit sa relation à son père, qu'elle aimait et qui introduit le risque sexuel. Peu à peu, elle a pu séparer l'affection de l'agression sexuelle. Elle a pu retrouver, grâce au transfert, sa capacité amoureuse, et déconnecter l'image de son père et sa vie actuelle, ce qui, par la suite, a été élargi à d'autres personnes puis transposé dans sa vie privée, correspondant à la liquidation du transfert. J'étais le "premier maillon de la chaîne", d'autres maillons sont venus compléter, Monique établissant des transferts latéraux, en particulier avec des femmes. Ces différents transferts sur des personnes distinctes apportent, en thérapie de groupe, l'avantage de la simplicité et donc d'une compréhension plus facile. Pour Monique, la gymnastique d'esprit nécessaire en travail individuel, du fait que des transferts différents se portent sur la même personne, n'était peut-être pas évidente...

       

      • La dimension somatothérapeutique

      •  Les settings investis par Monique sont d’abord le cri et le bonding dans un deuxième temps.

        • "Au départ, elle criait très facilement, se sentait valorisée de ce fait. C'est une visuelle, ses souvenirs revenaient sous forme d'images, nombreuses, précises, qui s'enchaînaient naturellement... cela fait référence à l'hypermnésie des hystériques... Grâce au cri, elle pouvait donner toute l'intensité à son émotion, ce qui permettait d'éliminer les blocages... Après un travail primal, elle était transformée, unifiée... Les moments pleins survenaient dans l'intensité émotionnelle. Une évolution s'est dessinée : la phase de travail primal dans l'intensité a fini par s'épuiser... des crispations et des blocages survenaient. Son corps ne voulait plus crier... Même la complaisance de l'hystérique s'arrête.

        • Dans le bonding, le contact physique a permis de dissocier les sensations et les images, la tendresse et les remémorations incestueuses... L'intensité des sensations est telle qu'elles prennent toute la place... Des caresses ou un léger massage du dos, de la nuque, visent à faire prendre conscience de la tension musculaire. La conscience saturée par les sensations corporelles ne laisse plus de place aux images, souvenirs, réflexions. Il se crée un vécu nouveau, associé à une signification positive. Le souvenir pénible, surgissant alors dans un corps agréable, détendu,
          perd sa charge négative.

        • Par contre, Monique n'a pas du tout investi la méditation dynamique ni le rebirth... Ce sont des séances analytiques basées sur la danse et la respiration. C'est un travail trop intériorisé pour elle, qui se fait seul, à un niveau émotionnel bas... Il lui fallait au contraire l'intensité émotionnelle et la charge affective.

        • Les différents settings, ou séquences de la séance-type selon qu'ils sont investis ou non, donnent une image dynamique de la personne. Il y a les participants qui parlent et ceux qui ne parlent pas, les patients qui crient et ceux qui ne crient pas, ceux qui préfèrent travailler en grand groupe, petit groupe, ou encore seuls... La mise en évidence du choix de ce "lieu" privilégié, son analyse et sa compréhension occupent une grande place en début de cure. Ensuite, s'il y a vraiment analyse au sens étymologique, c'est-à-dire déconstruction de ces situations figées et exclusives, il se fait un assouplissement, élargissant la possibilité d'entrer en état primaire dans d'autres settings, d'autres situations".

        Ce qu'apporte le corps dans la thérapie :

         

        • Pour Monique, le corps a d'abord été un moyen d'entrer en thérapie : c'est ce qui a permis le transfert. Sans le corps, il n'y aurait pas eu accès à toute cette profondeur dans le travail.

        • La prise de conscience des mécanismes de défense se fait à travers le corps ; au début, le travail émotionnel est très rapide, brut... peu à peu, il devient beaucoup plus fin... Les résistances étaient dans le corps... A la fin, quand elle travaillait seule, elle éliminait peu à peu ses mécanismes de défense : elle travaillait sa voix, se détendait, respirait calmement... Elle apprenait son corps.

        • Le corps est le lieu du changement : Par exemple, dans sa vie sexuelle, elle est passée de la frigidité initiale à la jouissance. Il y a eu disparition des symptômes fonctionnels.

        • Le corps est un langage, une forme d'expression, de communication privilégiée pour Monique. Elle était reconnue dans le groupe à travers ses cris".

           

        • La dimension analytique

        •  En somatanalyse, l'interprétation se fait à plusieurs niveaux.

          • "Elle peut être verbale, quasi psychanalytique.

          • D'autres situations donnant lieu à une interprétation ont déjà été évoquées précédemment : ''Le transfert, en particulier, a pu être analysé. Monique a bien compris ce qu'était le transfert, et ce qui se joue à travers lui. Ce transfert, au début, a donné lieu à des passages à l'acte, qui, peu à peu, ont disparu. La frustration a pu être assumée".

          • Le choix des settings préférentiels ouvre également à un travail d'analyse : travail verbal ou vocal, intensif ou doux, en groupe, en couple ou seul....

          • L'interprétation peut se faire au niveau du corps : Dans le bonding, par exemple, j'attire l'attention sur les tensions musculaires tout simplement en les touchant et massant pour amener à une prise de conscience. Cela se fait également dans d'autres situations.

          • La perlaboration par la parole est devenue possible : Monique verbalisait de façon très simple ce qu'elle avait vécu, en faisant le lien entre ses expériences passées et actuelles".

             

          • Commentaires

          •  Nous ne repasserons pas en revue tous les aspects de la thérapie qui apparaissent déjà clairement dans les propos du thérapeute. Richard Meyer a déjà souligné quelques-uns des avantages introduits par le corps et le groupe, et la démarche qui permet de passer du corps à la dimension analytique. Notre réflexion essayera de mettre en évidence les éléments qui nous sont apparus essentiels dans ce travail.

            Monique apparaît atteinte d'une névrose hystérique grave à laquelle des années de psychiatrie n'apportent pas de solution. On ne note aucune amélioration de son attitude : elle offre aux médecins des symptômes, avec une tendance à l'escalade et un "discours de séduction", ajoutant parfois un détail piquant supplémentaire à son histoire. Mais elle reste incapable d'aborder ses préoccupations réelles.

            Les quelques tentatives de psychothérapie verbale ne viennent que confirmer l'incapacité de Monique à investir cet abord purement verbal, à laquelle nous pouvons entrevoir plusieurs raisons :

             

            • tout d'abord, son faible niveau d'instruction fait qu'elle ne comprend pas le sens d'une psychothérapie,

            • d'autre part, du fait de son attitude qui reste fermée, ne trouvant peut-être pas un accueil suffisant du côté du thérapeute, aucun transfert ne peut s'établir.

            • Il ne se passe rien, Monique est confinée dans son comportement habituel, hystérique. Elle ne continue à s'exprimer que par symptôme interpose qui, nous avons pu le noter, s'aggrave particulièrement en présence de son père.

            Par contre la somatanalyse lui permet d'établir très rapidement et très fortement une relation transférentielle par le biais du travail corporel et émotionnel. Elle lui ouvre également un champ plus large d'expression, au sein duquel elle peut trouver sa place, à travers des "settings" bien particuliers qui correspondent à sa dynamique personnelle. Conformément au principe de répétition, elle s'exprime, au début, dans l'exhibition, l'intensité émotionnelle du cri, cherchant régulièrement à se démarquer du groupe.

            En dehors de ces moments d'ouverture dans l'émotionalité, Monique reste réservée ou dans une attitude de jeu avec quelques personnes privilégiées, faisant preuve de sa difficulté à établir une communication véritable avec autrui. Son cri, comme auparavant son discours, est une réponse à l'attente du thérapeute mais, très vite, elle ne peut plus le contrôler, contrairement à son discours. Les images et l'émotion qui surgissent sont trop fortes.

            Elle a alors accès à autre chose, au moment primaire. Elle vit tout d'abord l'effet cathartique de surprise ouvrant à un vécu unifié auquel elle ne pouvait accéder jusqu'alors que par le symptôme qui était, pour cette raison, désiré. Elle découvre ainsi qu'il existe d'autres voies de détente que le symptôme, découverte qui apparaît comme un soulagement. Mais cet effet cathartique de surprise ne dure qu'un temps, le temps pour les défenses de se remettre en place. Les siennes sont de deux ordres.

             

            • Tout d'abord, le passage à l'acte vient interrompre le vécu émotionnel et réinstaurer le jeu hystérique. Mais il constitue un progrès par rapport au symptôme, car il a une signification plus claire ; il est analysable.

            • Puis les défenses du corps deviennent efficientes, sources de blocages, crispations... qui ne permettent plus d'accéder à la décharge émotionnelle aussi facilement.

             Nous avons vu, à travers les propos de Monique et ceux du thérapeute, tout le travail qui peut se faire alors, comment il se fait à force de négociation, et la prise de conscience qui en résulte. Le corps est le support de cette prise de conscience, I’illustration indispensable pour Monique du phénomène de résistance, qu'elle n'aurait sûrement pas pu appréhender autrement. Ainsi abandonne-t-elle progressivement le symptôme puis le passage à l'acte, en ayant compris leurs significations Elle trouve une expression plus adéquate à ses émotions en acceptant de les reconnaître et de les vivre. Le corps lui permet d'accéder à !a compréhension d'elle-même par le biais du symptôme, puis du passage à l'acte, enfin, des résistances. Elle parvient alors à ce que Richard Meyer dénomme catharsis de négoce, lui permettant d'explorer plus clairement ses sentiments, de les exprimer ou d'accéder à des situations de bien-être, tel le niveau intra-utérin dont elle nous fait part, moment plein par excellence, qu'il n'est nullement besoin d'interpréter.

            Pour Monique, le corps apparaît comme un moyen d'expression et de communication privilégié grâce auquel elle peut passer du symptôme, langage erroné car coupé de sa signification réelle, au cri, langage souvent poignant de vérité.

            On peut encore constater que Monique, quand elle était poussée à s'exprimer verbalement en thérapie, à l'hôpital, avait tendance à la fabulation, ce qui explique sans doute que ses souvenirs parlés apparaissent plus ou moins fluctuants, voire contradictoires. Dans le revécu émotionnel, au contraire, les images s'imposent à elle, s'enchaînent naturellement, se répétant identiques à elles-mêmes tant que leur contenu n'a pas été perlaboré ; on peut penser, de ce fait, qu'elle correspondent plus exactement à la réalité. Et Monique est donc confrontée à cette réalité, à ces conflits que la fabulation et les ‘’faux souvenirs" lui permettaient de fuir.

            Petit à petit, l'intensité émotionnelle et le travail exclusif avec le thérapeute par lesquels elle continuait à répéter son comportement antérieur ''hystérique" ne lui sont plus nécessaires. Elle accède à d'autres modes de communication en travaillant avec d'autres personnes, puis dans d'autres settings, plus spécifiquement dans le bonding où elle sera confrontée directement à ses difficultés de contact et surtout à leur source : la relation incestueuse à son père.

            Cette évocation insistante, sous forme d'images, l'empêche d'être dans le bonding, dans le moment. Son corps reste tendu, fermé à la sensualité, à la tendresse. La prise de conscience des tensions musculaires et de l'origine de ces tensions lui permet peu à peu de les abandonner, de se laisser aller au plaisir tendre. Elle peut vivre alors des moments pleins dans le calme, l'affection, découvrir une autre façon d'être qui lui était restée interdite jusque là, du fait du traumatisme sexuel qu'elle avait subi.

            Grâce à ces expériences positives, Monique peut dépasser ses souvenirs pénibles et retrouver sa capacité amoureuse dans le transfert puis dans le groupe, enfin, dans sa vie privée - capacité amoureuse que sa maladie lui avait fait perdre. Enfin, son travail d'individuation se poursuit, Monique éprouvant le besoin de rester seule avec ses émotions et parvenant, par la suite, à verbaliser son vécu et à faire le lien entre ses expériences passées et actuelles.

            Cette évolution en trois temps, soulignée par Richard Meyer : recherche de sécurisation, ici par le thérapeute, recherche d'affection dans la relation de couple, enfin isolement pour l'individuation, "est dans l'ordre des choses en somatanalyse".

            En dernier lieu, on remarque les settings ou cadres thérapeutiques qui ne sont pas investis par Monique : la méditation, le rebirth, qui nécessitent un travail trop intériorisé, à niveau émotionnel bas, et ne correspondent pas du tout, de ce fait, à sa personnalité.

            Tout ce travail qui consiste en définitive à restituer le flux vital, reste d'esprit reichien. Il s'agit pour Monique d'exprimer l'émotion qui était bloquée, ne pouvant se traduire, du fait des clivages, que sous forme de symptômes puis de passages à l'acte. Le moment primaire lui permet de vivre entièrement cette émotion d'abord dans le cri, l'intensité, puis dans la tendresse, le calme. Les clivages deviennent perméables, permettant d'autres modes d'être. Le corps vécu est le centre du travail. D'hystérique, Monique est devenue une femme à la sensibilité fine et aux émotions fortes, tout simplement. Mais si le travail au corps a nécessairement retrouvé les grands principes reichiens, l'organisation de ce travail est, ici, non-directive et analytique, ayant laissé toute sa place à l'originalité extrême de Monique.

             

          • Fabienne

          •  Fabienne a 47 ans. Divorcée depuis 1980, mère de deux filles âgées respectivement de 19 ans et demi et 16 ans, une troisième fille étant décédée à cinq semaines, par inhalation de biberon, elle est employée dans une administration. Issue d'un milieu modeste, Fabienne est l'aînée de trois enfants : elle a une sœur, dont elle ne nous parlera guère, et un frère, avec qui elle dit bien s'entendre.

            Elle nous livre rapidement ses impressions vis-à-vis de ses parents : "avec ma mère, la communication ne passait pas ; elle était toujours angoissée, parlait beaucoup sans écouter ce qu'on lui disait. Elle me culpabilisait..." Concernant son père, elle est beaucoup plus ambivalente : "il y avait une certaine connivence... il était indifférent... exigeant... pour lui faire plaisir, il fallait que je mange…' Sa grand-mère maternelle qui a vécu longtemps dans la famille, semble avoir rempli le rôle de substitut maternel. Elle avait une très bonne relation avec elle.

            De son enfance, elle nous dira simplement qu'elle s'est toujours sentie incomprise. A son adolescence, elle note un "décalage entre son désir de faire quelque chose et la réalité". Elle appartenait à de nombreux groupes, mouvements de jeunes, mais se sentait incapable de parler en groupe, du fait de sa timidité. Plus tard, un décalage persiste entre son désir et la réalité.

            Elle se marie à 26 ans, désirant avoir des enfants. Avec son mari, elle vit une vie pleine d'insatisfactions, lui reprochant d'être toujours absent et de la laisser assumer seule les enfants. Elle dit de celui-ci : "il était un peu comme ma mère, on ne pouvait pas dialoguer avec lui". Bien sûr, elle n'est sans doute pas étrangère à cet état de fait. Elle semble avoir eu un caractère plutôt rigide avec tendance à la dépression, souffrant d'inhibition, de frigidité. Elle vit alors dans "une grisaille continue". Le couple va de moins en moins bien, chacun ayant des affinités différentes, ce que Fabienne semble mal accepter. Elle dit de son mari "qu'il n'avait pas envie de me perdre. Il ne pouvait accepter d'être bien et que ça dure..." On peut se demander s'il ne s'agirait pas là de ses propres sentiments.

            En 1981, à 43 ans, Fabienne participe à un groupe d'analyse transactionnelle où elle dit s'être beaucoup impliquée, et décide brusquement, suite à ce groupe, de se séparer de son mari, décision qui lui aurait été plus ou moins suggérée. Elle garde un très mauvais souvenir de ce groupe où elle nous dit s'être fortement investie, puis avoir ressenti une grande déception du fait du manque de continuité. Après ces événements qui bouleversent sa vie, elle présente une première décompensation psychotique.

            Il n'y a pas d'antécédent psychiatrique dans la famille. La première hospitalisation remonte à août 1981, suite à une tentative de suicide médicamenteuse qui survient dans un contexte délirant ayant démarré assez brusquement, un mois auparavant. Ce délire à tonalité dépressive, associant des hallucinations sur tous les modes, des idées de persécution, des interprétations multiples, un vécu d'étrangeté, d'incommunicabilité, est source d'impulsions réactives aboutissant finalement au geste suicidaire.

            Suite à cette hospitalisation, une psychothérapie verbale est entreprise fin 1981. Le vécu délirant disparaît totalement. Fabienne parle beaucoup et attend énormément de cette thérapie. Après quelques mois, elle fait, d'elle même, une courte interruption "probatoire" de la thérapie pour s'assurer qu'une continuité est possible. Rassurée sur ce point, elle accorde toute sa confiance au médecin. La thérapie se poursuit jusqu'à la rentrée 1982 où le psychothérapeute lui apprend qu'il quitte la région. Pour Fabienne "le monde basculait".

            Elle voit alors un autre médecin recommandé par le premier. "Il restait un lien", mais elle ne peut investir cette nouvelle relation. Quelques mois plus tard, elle fera un voyage à l'autre bout de la France pour revoir son premier thérapeute, voyage dont elle se dit fort déçue.

            Fabienne présente une deuxième décompensation, début 1983. Elle sera hospitalisée assez longuement après un voyage pathologique "vers le sud, vers la mer", où elle provoque un accident, sans doute dans un but suicidaire. Elle apparaît alors dépressive et délirante ; extériorisant peu son vécu délirant surtout persécutif, elle présente des troubles du comportement, refuse de manger, s'isole, se sent "coupée de tout le monde..."

            Après cet épisode, on lui conseille de reprendre une thérapie, et bien qu'elle n'y croie plus, elle entreprendra, à partir de septembre 1983, un travail de psychothérapie et de somatanalyse. Elle fait une nouvelle rechute en août 1984, sous la forme d'un "état dépressif majeur avec inhibition psychomotrice, aspect figé du visage, idées de mort, d'incurabilité, manifestations liées à l'anxiété, accompagnées d'idées de persécution mal systématisées. D'après sa fille, cet épisode serait moins grave que les précédents. Elle reste hospitalisée deux mois.

            Pour elle, deux faits sont significatifs durant cette hospitalisation :

             

            • Un rêve, où elle voit deux rayons lumineux qui se croisent. Elle les interprète comme représentant Richard Meyer et elle-même et conclut : "je n'avais pas su le rencontrer, on s'était croisés".

            • Et une visite que le thérapeute lui fait à l'hôpital, qui a pour elle une grande importance : "il est venu me voir, même dans ma folie". EIle retrouve espoir, et son état psychique s'améliore.

            Voyons maintenant ce qu'elle nous rapporte à propos de son travail en somatanalyse. Fabienne commence les groupes de somatanalyse en janvier 1984, après quelques mois d'entretiens individuels. Elle a très peur de venir à ces groupes, à cause de ses expériences préalables, dit-elle. Pendant les premiers ate­liers, elle se sent mal, ne parvient pas à communiquer avec les autres. "J'avais l'impression d'être une plante, je n'avais goût à rien. Il fallait qu'il me ressuscite... impression d'être dans un cercueil... plus d'énergie pour vivre... J'avais beaucoup de mal à être présente... Je n'arrivais pas à être bien... Les autres m'im­pressionnaient. J'avais peur... on m'a agressée... Je pensais que je devais dire quelque chose, je ne savais pas quoi... ça ne sonnait pas juste".

            Peu à peu, Fabienne se détend, est plus présente dans le groupe. "Dans le groupe, il faut trouver sa place, comme dans la vie - ce n'est jamais acquis... je me sens souvent paumée parce qu'il y a des tas de gens qui parlent très facilement et ce n'est pas mon cas... C'est parce qu'on n'utilise pas seulement la parole dans ce groupe que je m'y sens à l'aise... quand l'émotion vient, la parole vient toute seule... On peut se laisser aller à crier, à penser à quelque chose qui fait peur, parce qu'il y a les autres… La thérapie... trouver une unité... ce sont de petites choses qui se passent, qui se mettent en place. J'ai peur des grandes choses, des grandes décisions, j'avance tout doucement..."

            Fabienne a trouvé son propre rythme, ce qui lui convient dans le groupe. Elle apprécie particulièrement la méditation dynamique, dont elle nous raconte quelques séquences : "Au début, j'avais tellement peur de me désagréger que je n'ai pas dansé- je faisais de tous petits mouvements- puis c'est venu... "J’étais une fleur qui ouvrait ses pétales... il y avait une ambiance de brume, la montagne. Je me suis levée, je marchais en levant la tête, faisant de grands mouvements avec mes bras- j'allais à la découverte du monde... j'occupais beaucoup d'espace..." J'étais entièrement dans mes sensations, c'était très agréable- en en parlant après j'en ai compris la signification.

            "Je me suis sentie en harmonie avec Richard... je me suis allongée criant fort sur des sons différents... crier pour ressusciter pour un an... Je faisais des gestes désordonnés comme une poupée en chiffon. Puis je me suis retournée sur le ventre et me suis mise à bouger les bras... mes ailes... d'une façon maladroite. Je me trouvais être un grand oiseau... Sur la partie criée, j'ai réussi à accélérer le rythme et à sentir plein de vibrations dans mon corps si bien qu'après, dans le silence, je l'ai senti se détendre... Sur la dernière partie, dansée, je faisais de tout petits mouvements avec tout mon corps, comme si je voulais m'éveiller à quelque chose..."

            Autre séquence, autre vécu : "je me balançais comme un balancier de pendule... à plusieurs reprises, je réalisais que je respirais en même temps que Richard, au même rythme, mais j'avais parfois du mal à suivre... l'énergie circulait en moi... puis la musique douce, invitant à s'éveiller au voyage".

            Le "cercle rapproché vocal" où tous les participants se tiennent par les mains, émettent des sons est bien vécu également. "J'ai fait le carillon de Westminster. J'ai sonné les trois heures de ma naissance (je suis née à trois heures). J'avais un autre regard sur moi... Pour moi, c'est renaître dans un cadre différent, avec plus de possibilités pour moi..."

            Dans le bonding, le vécu est parfois lié au partenaire. Ainsi, après un bonding avec le somalanalyste : "Je ne trouve pas de mots pour exprimer cette détente, ce bien-être au bout desquels je me trouvais sereine- et j'ai trouvé extraordinaire de ressentir cela aussi fort, aussi longtemps... même en me retrouvant dans les bras de Pierre par après, puis ensuite dans mon lit. Je me sentais merveilleusement bien et entière- le lendemain matin encore, je ressentais cette impression d'unité", et avec une femme : "J'étais dans les bras d'une femme- j'étais bien, oui mais c'était une femme..."

            Pour la troisième séquence de la séance, il faut se confronter au groupe, aux autres : "J'aurais aimé que Bruno me fasse crier- il a refusé - je l'ai trouvé salaud... Pas le droit de pleurer, de faire du bruit... être .sage... Me cacher sous la couverture, seule, au chaud, comme lorsque j'étais enfant... Accepter que quelqu'un me dise non, sans en être aussi affectée... Il y a cette connivence avec les anciens qui se crée, week-end après week-end et, aussi, une plus grande réceptivité vis-à-vis des nouveaux... je ressens plus rapidement leur distance ou leur chaleur.,"

            Actuellement, Fabienne est dans un processus transférentiel intense. Le thérapeute retient toute son attention : "J'ai un "programme" en ce qui concerne Richard... il faudra me déprogrammer". Après un week-end où il n'a pas travaillé avec elle, elle est en colère, se sent délaissée, le trouve injuste : "Les trois derniers week-end, il n'est pas venu vers moi pour me faire travailler... Mais jamais il n'oublie Monique et encore moins Cécile. Elle a droit à tous les égards... J'ai envie de faire le vide, de me caparaçonner. Je ne veux pas souffrir à cause de Richard...

            ... Solitude face à la mer... à la mère... à Richard?

            Je lui ai parlé des nuances que je remarquais en lui quand il s'occupe de l'un ou l'autre et de Cécile en particulier... Cécile... ma sœur ? face à ma mère? ... J'ai besoin que Richard s'occupe aussi de moi... quand je le lui dis, il ne vient pas plus".

            "Une autre fois : je m'isolais, je me mettais à l'écart du groupe, j'avais envie que Richard vienne... je me sentais de plus en plus seule... je pensais qu'il ne voulait plus me voir... puis le week-end suivant, Je me sens bien... Il est venu vers moi... pour la première fois j'ai eu l'impression de lui donner de la tendresse, qu'il la prenait, qu'il l'acceptait".

            Enfin, pour conclure, Fabienne nous dit : "A la fin du week-end, il y a une ambiance chaleureuse, comme si on était dans le ventre de sa mère... Ma vie se peuple de choses positives, ça permet de ne pas se laisser submerger par le négatif… je mourais petit à petit, j'ai appris à renaître". Son travail en somatanalyse, débuté depuis plus de deux ans, n'en est pas pour autant achevé et se poursuit toujours, double d'entretiens individuels.

            Voici, à présent, l'avis du somatanalyste.

             

            • La dimension relationnelle

            •  Dans le groupe, "Fabienne est très complexée au niveau intellectuel, parle peu, ne crie pas. Dans le groupe verbal, elle vit les choses intensément mais souffre car elle ne parvient pas à placer un mot. Elle a deux ou trois relations privilégiées, un peu symbiotiques - elle a besoin d'une petite fusion... Si l'on n'est pas attentif à elle, elle s'assombrit brusquement, passant d'une humeur enjouée à une humeur quasi mélancolique - elle déconnecte. Un fait minime suffit parfois pour qu'elle se ferme - elle reste dans cet état jusqu'à ce qu'un signe vienne lui prouver qu'elle se trompe, que son attitude est erronée - sinon ça peut durer très longtemps. Il persiste des difficultés de communication".

              • La relation transférentielle

              •  "Sa demande est fusionnelle - elle cherche à rétablir une relation de type symbiotique avec le thérapeute. Elle avait établi des transferts massifs avec les thérapeutes antérieurs… Elle a été traumatisée par les ruptures, a été refroidie… Elle a mis longtemps avant de venir me voir, trois quatre mois avant de me faire confiance… Elle a eu alors une phase d'euphorie, un grand espoir de réalisation - elle venait à tous les ateliers, puis les problèmes d'argent l'ont mise face à la réalité - elle a décompensé, attribuant cette rechute à mon attitude… Elle n'avait pas la continuité qu'elle souhaitait…

                Du fait qu'elle ne fait pas de travail émotionnel intensif, '' nous manque l'occasion d'être ensemble pendant et après ce travail, j'allais moins souvent vers elle… elle se sentait frustrée... Il fallait un minimum de bonding, ce contact physique pour remplacer le travail expressif. Quand j'oubliais cela, elle en souffrait beaucoup... elle est très sensible aux différences par rapport aux autres femmes".

                 

                • La dimension somatothérapique

                • Les settings investis de manière préférentielle sont :

                  • "la méditation musicale, dans laquelle elle est très bien,

                  • le rebirth, le cercle rapproché vocal, où elle est assez bien,

                  • et le bonding dont elle a besoin,

                  • elle est rassurée par le groupe.

                  Elle ne crie pas, fait du travail émotionnel mais toujours en pleurs : elle pleure, est malheureuse, frustrée, voit tous les échecs de sa vie, ressent un vécu douloureux de vide intérieur… Dans le bonding, elle vit des moments de bien-être. En méditation musicale, elle s'ouvre à des vécus très riches, qui se sont répercutés dans sa vie privée.

                  Dans le groupe, elle vit des états de bien-être, banaux en soi, mais qu'elle ne connaissait pas auparavant. Elle a aussi des joies très intenses dans des moments doux et tendres. Le moment primaire se passe dans la douceur... surtout dans le transfert, mais plus exclusivement avec le thérapeute - elle parvient aussi à s'investir ailleurs... Par contre, elle ne peut pas accéder à l'intensité émotionnelle. Dans sa vie relationnelle, on retrouve la même chose : elle est bien avec des amis mais pas avec des amants - sa frigidité est liée à cette impossibilité de vivre l'intensité émotionnelle...

                  Mais cet enrichissement d'un bien-être doux et calme ne lui suffit pas encore. Elle espère toujours quelque chose d'autre, de l'ordre du fantasmatique - ça reste un de ses grands conflits. Par exemple, dans le bonding, il lui arrive de s'emballer alors que tout semblait aller, mais elle n'a pas la conviction que c'est ça... Dans le groupe verbal c'est pareil, verbalisant peu, elle n'est pas satisfaite de sa place... De même dans sa vie sociale, intellectuelle, elle est déçue par rapport à ses ambitions, qui sont beaucoup plus élevées, et qu'elle reporte sur ses filles qui la déçoivent également… Pour l’instant elle n’accepte pas de se mettre à sa place qui se dessine pourtant de façon assez claire dans le groupe, à travers ses investissements préférentiels".

                   

                  • Ce qu'apporte le corps

                  •  

                    • "Tout d'abord, "c'est le corps qui lui permet de trouver sa place. C'est à travers ce qu'elle vit dans son corps qu'elle pourra se rendre compte qu'elle est bien dans un mode de vie calme, doux, tendre, qu'elle comprendra ce qu'elle doit investir et ce à quoi elle doit renoncer...

                    • Pour l'instant le corps est le seul lieu où elle vit quelque chose de vraiment positif : au niveau relationnel, c'est difficile ; au niveau amoureux, c'est plutôt négatif ; au niveau intellectuel et social, c'est décevant pour elle par rapport à ses ambitions.

                    • Enfin le corps introduit la discontinuité: les moments pleins sont limités dans le temps - elle sait comment ils viennent et peut accepter qu'ils s'arrêtent, sachant qu'ils peuvent revenir, qu'ils sont reproductibles.

                    • On peut parler de "castration temporelle". Elle accepte cela, sauf quant elle est malade...

                    • Le corps peut être moyen de communication, dans le bonding en particulier.

                    • A propos du corps. Fabienne reste encore un peu complexée dans son corps, elle ne l'aime guère".

                       

                    • La dimension analytique

                    •  

                      • Pour Fabienne, le travail thérapeutique vise surtout à l'acceptation de la séparation et des frustrations. C'est la séparation qui lui permettra d'accéder à l'individuation.

                      • C'est la prise de conscience de la répétition, à travers des situations clefs pour elle, qui peut amener une meilleure compréhension.

                         

                      • Quelques remarques par rapport à l'évolution de la cure

                      •  Fabienne est une psychotique qui a fait des rechutes de mélancolie délirante. La somatanalyse a réussi à espacer ces rechutes sans les éviter totalement, malgré un traitement de fond (lithium + neuroleptique à dose filée). Aucune psychothérapie ne peut éviter ce déroulement. Par contre, la somatanalyse a grandement amélioré les intervalles libres où la qualité de vie s'enrichit sensiblement.

                        Fabienne nous évoque une personnalité borderline, relativement compensée sur un mode rigide tant que sa vie reste structurée par le biais du couple. La séparation qui entraîne à la fois une perte d'objet et d'un cadre de référence, fait resurgir le versant psychotique et dépressif de la personnalité. Par la suite, chaque nouveau vécu de séparation est à l'origine d'une décompensation psychique. Il s'agit, semble-t-il, d'épisodes de mélancolie délirante. Avant ces accès dépressifs, elle aurait présenté des phases d'hypomanie, plus difficiles à détecter.

                        En ce qui concerne la thérapie verbale entreprise par Fabienne avec le Dr A., on constate que la relation qu'elle établit est massive, tendant à être fusionnelle. La rupture, de ce fait, est vécue comme catastrophique. Ceci retrace vraisemblablement la relation de Fabienne avec son mari, puis avec l'animateur du groupe d'analyse transactionnelle auquel elle participe ; cette relation est de type symbolique. C'est le prototype de la relation qu'elle tend à établir avec autrui.

                        En somatanalyse, la relation transférentielle répète encore une fois le même processus auquel on peut distinguer plusieurs phases : une phase de mise en confiance qui est de plus en plus longue du fait d'expériences négatives antérieures, une phase d'espoir de réalisation de cette relation continue, fusionnelle, qui est souhaitée, puis la confrontation à la réalité comme source de déception entraîne la première fois une décompensation psychique, enfin, à un degré moindre, une grande souffrance et une tendance à la déconnexion, à l'isolation.

                        Mais dans cette répétition, la somatanalyse introduit, par le biais du corps, de nouveaux rythmes. Contrairement au transfert fantasmatique qui se prolonge entre les séances et tend à être continu, le transfert "qui passe par le corps" respecte le rythme du corps. Par son rythme cyclique, plaisir - saturation de plaisir, le corps introduit la discontinuité. Le bien-être vécu dans le corps, le moment plein, apparaît limité dans le temps. L'introduction de ces ruptures temporelles, que Richard Meyer dénomme castration temporelle, permet l'acceptation progressive de la séparation.

                        Ce travail sur la séparation est central pour Fabienne. On assiste à ses réactions face à cette mise à distance favorisée par le groupe qui impose le "partage" du thérapeute : des phases d'acceptation partielle supportées par l'espoir d'un retour à la symbiose possible alternent avec des phases de refus où elle exprime toute la souffrance qu'elle vit dans cette séparation, et sa façon de s'en protéger par le repli, l'isolation.

                        Par ailleurs, grâce au corps, Fabienne peut faire l'expérience de l'unité, de la plénitude. Ces expériences sont rassurantes et positivent sa vie, lui permettant de vivre mieux la psychose, entre les accès aigus, et, espère-t-elle, de "ne pas se laisser submerger par le négatif". Les différents types de mise en jeu du corps la reconnectent avec son corps, lui donnant un sentiment d'unité corporelle et sont en même temps source d'expression de soi plus globale, autant par le biais du corps que par la libre association.

                        Dans le travail dansé et l'analyse respiratoire, c'est la détente corporelle qui permet d'accéder à ce vécu unifié, permettant une libre circulation énergétique, tandis que, dans le bonding, c'est la diffusion du plaisir dans tout le corps qui prépare la détente musculaire et l'impression de plénitude qui en découle. Ici encore, on remarque que les settings investis par Fabienne correspondent bien à sa dynamique personnelle. En effet, sa crainte de l'intensité émotionnelle est liée à sa crainte de l'éclatement, du morcellement; de même, elle a besoin de travailler tout doucement, ayant pris conscience de sa fragilité en partie à cause de ses expériences passées. Elle est sécurisée en groupe et accède au moment primaire dans la douceur. Son travail est plutôt intériorisé, la communication restant son point faible. Elle y parvient parfois, communiquant toute sa tendresse dans le bonding, par exemple.

                        Les moments pleins expérimentés au sein du groupe pourront ensuite être vécus à l'extérieur. C'est déjà ce qui se passe pour Fabienne quand elle fait du tanking, quand elle chante dans une chorale et dans certains moments de sa vie quotidienne où elle se sent bien. Elle peut ainsi abandonner de temps à autres ses mécanismes de défense contre la psychose : l'isolation, la projection..., et acquérir un fonctionnement plus souple.

                        Le sentiment qu'elle éprouve en thérapie, de se remplir de choses positives, lui permet de lutter contre son impression de vide intérieur, ses tendances dépressives, et lui redonne goût à la vie. Le bien-être nouveau ressenti par Fabienne est parfois parasité par son insatisfaction fondamentale, liée au fait qu'elle espère toujours "autre chose", qu'elle ne s'accepte pas comme cette femme "ordinaire" qu'elle est. Sa perception de son corps qui la complexe peut être mise en parallèle avec son vécu psychique.

                        Comme elle le souligne elle-même, sa difficulté consiste à "trouver sa place" dans le groupe comme dans la vie et est à l'origine d'un sentiment d'échec. Et, de l'avis du thérapeute, cette place apparaît déjà assez clairement à travers ses investissements préférentiels. C'est grâce aux situations vécues dans son corps qu'elle pourra la trouver. C'est un autre volet du travail qui lui reste à faire : s'accepter comme elle est, trouver sa place, son identité.

                        Sur un plan évolutif, Fabienne se situe actuellement dans les deux premières phases de recherche de sécurisation par le groupe et de recherche d'affection en relation de couple, mais elle n'a pas encore accès à l'individuation qui déclenche l'angoisse. On peut espérer avec elle que la somatanalyse l'aidera à traverser ces étapes encore conflictuelles de son développement.

                         

                        • Commentaires

                        •  La clinique vient soutenir notre thèse de l'intérêt de l'utilisation du corps au sein d'une thérapie à visée analytique. Elle est l'occasion pour nous de revenir sur quelques points.

                          Tout d'abord, nous constatons à travers les exemples cliniques, que les conceptions reichiennes, d'un lien entre fluidité corporelle et psychique, tension musculaire et refoulement, phénomène émotionnel et énergétique, se confirment. En effet, l’accès au moment primaire ne peut se faire que dans la détente corporelle, et tout ce qui vient entraver cette détente, spasme ou contracture musculaire, pensée inopportune, peur... arrête le processus en cours. La cuirasse se referme, "carapace" qui protège et éloigne le sujet de lui-même, en maintenant les clivages et la déconnexion d'une partie du vécu. Soulignons encore l'importance du vécu corporel. La clinique nous montre qu'il est structurant et mène à une prise de conscience réelle, dont elle illustre les méandres.

                          C'est le corps vécu qui ramène le sujet à sa globalité, lui permettant de reconnecter sensation corporelle, émotion, compréhension, et lui donnant cette impression de plénitude, d'unité décrite par nos patientes. Cette unité est parfois directement ressentie comme résultant de la restitution du flux vital ainsi que nous le communique Fabienne.

                          Proposant un champ d'expression et d'expérience plus vaste que la psychothérapie purement verbale, la thérapie corporelle permet d'élargir les indications de psychothérapie analytique au delà des possibilités d'intellectualisation du patient. D'autre part, elle semble d'un abord moins difficile au début, débordant plus facilement les défenses et ouvrant à de nouvelles expériences, moteur de la poursuite de la thérapie.

                          Le transfert se manifeste différemment et de multiples manières en somatothérapie, permettant au thérapeute d'accueillir plus facilement un transfert massif qui trouve ainsi à s'exprimer là où il ne se passait "rien" en thérapie verbale. Nous avons vu que ce transfert "qui passe par le corps", introduit une discontinuité qui va de pair avec le rythme cyclique du corps, en opposition au transfert fantasmatique qui tend à être continu, discontinuité structurante, ouvrant à la notion de "castration temporelle" développée par R. Meyer.

                          Enfin, la pratique du travail corporel au sein d'un groupe présente divers avantages. Nous avons pointé l'ouverture du patient au monde relationnel et l'intérêt des "transferts latéraux" dans la compréhension des phénomènes transférentiels. Une réflexion sur le travail en groupe nécessiterait de plus amples développements mais déborderait largement le cadre des thérapies corporelles.

                           

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