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Chapitre 14 : Le principe complexification / plénarité et le modèle ontothérapeutique

La théorie générale du cerveau et la conscience

Nous avons beaucoup de mal à dépasser le dualisme esprit/ corps que Descartes nous a légué, ainsi que de ses nombreux produits dérivés tels la phrénologie (Gall) ou la plus récente approche computationnelle du cerveau qui serait presque comme un ordinateur, nos désirs et amours se transformant en algorithmes. Certes un neuroscientifique éminent, Antonio R. Damasio, a dénoncé “l’erreur de Descartes”, nous permettant d’introduire notre propre livre, “Freud encorps”, avec la nécessité de connecter l’émotionnel au fonctionnement global, y compris à celui de la pensée rationnelle. Oubliés Jean Pierre Changeux et sa tentative trop matérialiste de présenter « l’homme neuronal ».
            Plus récemment, c’est Gérald M. Edelman, prix Nobel de médecine, qui nous propose une théorie générale du cerveau, se concentrant sur sa partie la plus difficile et subtile, à savoir la conscience.
            On se retrouverait presque au départ de la psychothérapie moderne, puisque Freud a assis la psychanalyse sur une conception de la conscience avec sa première topique de 1900 (inconscient, préconscient, conscient). Nous ne ferons pas une longue présentation de cette théorie du cerveau et nous nous restreindrons à un tableau d’Edelman dans lequel il résume les caractéristiques de la conscience. (Edelman p. 145)
 
 
 
 
I / Catégorie Générale, Fondamentale
 
  1. Les états conscients sont unitaires, intégrés et construits par le cerveau.
  2. Ils peuvent être extrêmement divers et différenciés.
  3. Ils sont ordonnés dans le temps, séquentiels et modifiables.
  4. Ils reflètent une liaison de diverses modalités.
  5. Ce sont des propriétés construites, incluant gestalt, fermeture et des phénomènes de remplissement.
 
II / Catégorie Information et accessibilité
  1. Ils sont intentionnels, avec toute une gamme de contenus.
  2. Leur accessibilité et leur associativité sont très étendues.
  3. Ils ont un centre, une périphérie, un entourage et une frange.
  4. Ils sont sujets à des modulations dans l’attention, concentrée ou diffuse.
 
III / Catégorie Subjective
  1. Ils reflètent des sentiments subjectifs, des qualia, des phénomènes, des humeurs, du plaisir et du déplaisir.
  2. Ils sont concernés par la situation et l’emplacement dans le monde.
  3. Ils donnent naissance à des sentiments de familiarité ou de non-familiarité.
 
Tableau 37 : les caractéristiques des états conscients d’après Gérald M. Edelman.
 
            Je me contenterai de rebondir très librement sur certaines de ces caractéristiques, indiquées par le numérotage du tableau :
 
I -1) - chaque état de conscience est unifié, on s’y sent un, plein, intègre, intégré et intégral ;
I -4) - il est une “liaison de diverses modalités”, à savoir la connexion des fonctions pertinentes dans le contexte du moment ;
I -5) - construction de « gestalt, fermeture et remplissement » renvoient à la notion de plénarité : y a pas tout, mais y a plein, une gestalt achevée (voir texte ci-après) ;
II -3) - le centre, c’est la concentration ; la périphérie c’est l’attention diffuse ; l’entourage, le cadre du moment ; une frange, les contemplats menant à la plénitude ; c’est la définition de la pleine présence ;
III -1) - plénarité et plénitude sont décrites ici par leur contenu : sentiments, qualia          (= vécu), humeurs, plaisir et déplaisir ;
            III -3) - le sentiment de “familiarité” renvoie à la qualité du “plénier”.
 
            Ajoutons qu’Edelman utilise le concept de “présence remémorée” pour évoquer la mémoire et que la synchronicité est une des clés fondamentales du passage du neural au conscient. Edelman n’aborde qu’incidemment la psychopathologie mais c’est pour évoquer deux processus de base qui sont.... le clivage et l’amalgame :
-     “le noyau peut se diviser en un petit nombre de noyaux distincts... Il est probable que ce soit un des principaux fondements de syndromes de dissociation comme l’hystérie” (o.c. p. 170)
-     quant à l’amalgame, il est évoqué à travers les processus de “fermeture et remplissage” et avec cette allusion “le noyau peut... être remodelé, redistribué” (o.c. p. 170 et 171).
 
            Avec cette description de l’état conscient, Edelman nous donne les éléments scientifiques du moment présent (Stern), du moment optimal (Csikszentmihalyi), de l’expérience plénière (Meyer), du still-point (Veldman), à la différence que ces derniers avatars sont des états plus particuliers, plus intenses, thérapeutiques et exceptionnels. Toujours est-il que les mêmes caractéristiques fondamentales s’y retrouvent et inscrivent donc ces vécus particuliers dans la science la plus dure, à travers la conscience.
            Mais quelle est donc cette théorie générale du cerveau ? C’est la TSGN, “théorie de la sélection des groupes de neurones” dont le pilier est constitué par la “réentrée”. L’ensemble thalamo-cortical, le principal de ces groupes de neurones, reçoit à la fois les messages extérieurs et constitue tout autant des circuits internes en boucle - les réentrées - qui réalisent la mémoire et élaborent la continuité de la conscience, de façon processuelle, en un “noyau dynamique”. Ces “groupes de neurones” se connectent pour créer des fonctions plus larges et plus riches comme la “conscience primaire” puis “la conscience d’ordre supérieur”. Ce processus bio-électro-physiologique est la cause de la “transformation phénoménale” que nous appelons, en psychothérapie, “connexion fonctionnelle” jusqu’à plénarité, “pleine présence” jusqu’à plénitude.
            En collant encore plus aux conceptions d’Edelman, on peut proposer les analogies suivantes :
               - les « groupes de neurones » caractérisés par la « réentrée » sont le substratum de ce qui peut se cliver lors d’un événement traumatogène violent, tel que nous l’avons évoqué à propos de l’EMDR ; aujourd’hui les neuroscientifiques observent même que ce lieu dissocié se loge dans le lobe préfrontal gauche
- ces « groupes de neurones » font penser aux fonctions différenciées,
               - ils « se connectent pour créer des fonctions plus larges » ; ce seraient les fonctions plénarisantes.
            Nous reprendrons cette réflexion neuroscientifique en discutant la théorisation de l’EMDR par Francine Shapiro, ci-après.
 
 

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