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Chapitre 14 : Le principe complexification / plénarité et le modèle ontothérapeutique

Daniel CASRIEL

J'ai choisi Daniel CASRIEL bien qu'il soit encore mal connu en France – à moins que la traduction de son ouvrage ait paru entre-temps. Psychiatre et psychanalyste, CASRIEL a découvert l'effet thérapeutique du cri dans une communauté de drogués à l'époque où JANOV développait le cri primal, indépendamment. Il a d'abord développé une technique de groupe centrée sur le cri. Une dizaine d'années plus tard, vers 1975, il s'intéressait beaucoup plus exclusivement au contact physique appelé "bonding". Il y a là, à mon avis, une évolution superposable à celle de FERENCZI et de FREUD, de la technique dure à la technique douce, du moment à l'état thérapeutique. Le cri et le contact physique sont par ailleurs les deux innovations majeures de ces dernières années.
Pour l'analyse de ces deux techniques, je ne me référerai pas à CASRIEL lui-même, car je le connais mieux par la pratique que par ses théories, mais à JANOV d'abord qui a excellemment décrit le cri; puis suivra une analyse du bonding que j'ai faite moi-même. C'est l'absence de texte assez explicite de CASRIEL qui m'y pousse: mais c'est sa démarche à lui qui donne son vrai sens au choix de ces deux techniques.
 
 
a)     Le cri primal
 
Voici un des nombreux textes où JANOV décrit le cri primal :
"Le véritable cri primal ne peut être méconnu. C'est un cri profond et involontaire qui ressemble à un râle. Lorsque le thérapeute détruit brusquement une partie de ses défenses et que le patient se trouve tout à coup nu devant sa souffrance, il crie parce qu'il est entièrement exposé à sa vérité... "
                       
 schéma 42
Schéma 42 : le moment primal
 
 
"Ce qui s'exprime quand le sujet crie c'est un sentiment unique qui est peut-être la base de milliers d'expériences antérieures: "Papa, ne me fais plus mal!"  ou "Maman, j'ai peur" (Janov p. 99).
"Ce que vient de vivre le patient est un primal. Une expérience totale du sentiment et de la pensée, venue du passé... Le malade est presque inconscient de l'endroit où il se trouve à ce moment... Lorsque (le primal) survient il semble briser la barrière pensée-sentiment" (Janov p. 93-94).
En extrayant de ce texte les éléments qui nous intéressent nous pouvons aussi schématiser le primal. Nous retrouvons les niveaux de fonctionnement qui nous deviennent familiers :
-   l'expression: par le cri;
-   l'impression: la souffrance, la peur;
-   la compréhension: comme accès à la vérité de ces émotions.
Mais nous voyons surtout exprimée avec force l'unité de fonctionnement de ces trois niveaux: "lorsque le primal survient il semble briser la barrière pensée-sentiment". Ce moment primal est activement provoqué par le thérapeute, comme l'aurait fait FERENCZI dans sa thérapie active. Quant à ce qui se passe au niveau du psychisme cela relève de la même difficulté de définition: JANOV parle de vérité, pensée et d'état involontaire pour les opposer à conscience.
 
b)     Le bonding
 
Le bonding - ou corps-accord - est la systématisation du contact physique dont nous avons eu l'amorce chez FERENCZI: il s'agit d'un enlacement, pendant une durée prolongée. Pour comprendre ce qui s'y passe, il faut en proposer une approche au niveau somatologique:
-   le contact déclenche une sensation agréable ou désagréable ; restons ici à la première éventualité: la sensation agréable correspond à une tension légère de la musculature lisse qui diffuse dans tout le corps; d'essence sensuelle, elle est ressentie comme tendresse de par sa diffusion même;
-   cette diffusion des sensations à tout le corps est le fait du psychisme: il
se met dans un état de "sensation libre" qui propose au corps ce que
l'association libre permet aux productions psychiques ; c'est donc le
psychisme qui donne le label de qualité aux impressions et expressions,
c'est lui qui y reconnaît de la tendresse.
Il faut bien le souligner, la qualité de tendresse qui définit le corps-accord provient de la prise de conscience, même si ce fait psychique n'est que l'accompagnement des sensations, le "cum sciencia", la conscience. Ces trois fonctions de contact, de tension et de tendresse s'inscrivent dans notre cercle et circonscrivent un vécu d'autant plus pur qu’elles s'harmonisent entre elles et s'entretiennent réciproquement et simultanément.
 
 
schéma 43
Schéma 43 : l'état de corps-accord
 
 
La présentation de ces six méthodes psychothérapiques s'achève là. Il s'agit maintenant d'en faire ressortir les invariants pour y déceler l'objet de notre recherche, à savoir le principe thérapeutique. En fait, cette présentation simplifiée de méthodes, complexes par ailleurs, a le mérite de faire ressortir ces invariants d'eux-mêmes grâce aux schémas.
L'invariant est ici ce que j'appelle le "moment primaire", à savoir la simultanéité d'une impression, de son expression et de leur compréhension.
 
 
 
 schéma 44
Schéma 44 : la dimension subjective du moment primaire
 
Avec ses trois niveaux de fonctionnement - impression, expression, compréhension – (somato-, socio-, psycho-) se définit la part subjective du moment primaire, à savoir ce qui se passe pour le sujet pris isolément. Mais le sujet n'est pas replié sur lui-même ; au contraire, il est en continuité avec l'extérieur, avec les objets:
-   avec l'environnement - ici limité à l'analyste ou au partenaire du bonding – qui provoque l'impression, l'émotion ;
-   avec le corps qui dicte la façon dont il peut s'exprimer ;
-   avec le "psychique" qui stocke les souvenirs, les idées, les fantasmes et autres moyens de reconnaissance et de sens.

 

schéma 45
Schéma 45 :le moment primaire

Ainsi peut se compléter ce moment primaire qui comprend obligatoirement les référents objectifs.
 
 
 
Avec ce "moment primaire", se définit le principe thérapeutique que nous recherchons. Il se propose comme tel bien qu'il soit difficile d'apporter des preuves à proprement parler. Même la référence aux thérapeutes invoqués ci-dessus ne constitue pas une démonstration infaillible. La façon de le présenter ici n'est sûrement pas la seule non plus. On pourra donc le discuter au niveau du savoir. Mais on en discutera beaucoup plus encore au niveau des implications personnelles car ce moment primaire engage, il engage une pratique, il engage même la façon d'être. Il ne se laisse pas réduire à un savoir, car le savoir introduit une dissociation dans le vécu subjectif. Il ne se laisse pas réduire non plus à un pouvoir, car ce dernier provoque une coupure d'avec l'extérieur, ce qui va parfaitement à rencontre de l'aspect "primaire" ici souligné.
 
 

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