Conclusion : de la recherche psychothérapique à la poésie Faut-il que la recherche psychothérapique comme réflexion raisonnante vienne contrebalancer, justifier et excuser cette jouissance parfaitement asociale qu'est le tanking ? Faut-il que cette allégeance à la science vienne atténuer la provocation qu'est ce plaisir tout à fait solitaire et amoral ? Ou alors n'y a-t-il que la nécessité de structurer dans les dimensions intellectuelles et sociales ce qui reste néanmoins encore trop processuel ? Toujours est-il que le tanking ouvre une faille appréciable dans l'opacité des mécanismes thérapeutiques et il n'y a aucune raison de ne pas ajouter la satisfaction de cette théorisation au plaisir de l'expérience elle-même. Pour une fois qu'il est agréable de se jeter à l'eau !
La recherche thérapeutique s'enrichit ici des trois apports principaux qui ont été abordés ci-dessus et qu'il reste à systématiser :
- l'autonomie du travail (éventuellement) thérapeutique,
- l'approche de la méthode par son setting,
- l'éclaircissement quant au principe thérapeutique.
L’autonomie du travail thérapeutique
S'il y a thérapie et/ou analyse, cela se fait seul et cette autonomie est l'une des plus parfaites que je connaisse. Toutes les thérapies classiques ou nouvelles s'inscrivent en une relation duelle ou groupale, on ne le souligne pas assez. En fait, la personne humaine vit un triple positionnement, en groupe, à deux ou seule. Ses problèmes se lient à ces trois situations, ses blocages aussi et les conditions de changement/guérison. En somatanalyse, cela apparaît clairement puisque le setting propose ces trois positionnements : le grand groupe, le couple et l'isolement. L'expérience somatanalytique montre toute l'importance du passage par ces trois positionnements autant pour la perception des problèmes spécifiques à chacun d'eux que pour leur perlaboration. Or, avec le tanking, s'offre enfin un lieu de thérapie autonome et autogéré. Pour certaines personnes, il représente le seul lieu d'accueil thérapeutique, dans un premier temps du moins, en attendant que ce qui s'y perlabore ouvre le chemin au couple et/ou au groupe. Dans un sens inverse, les intoxiqués de la relation, conjugale et/ou groupale, peuvent travailler le positionnement solitaire dans le caisson. Une étude intéressante reste à faire sur le choix de la situation thérapeutique, en groupe, à deux ou seul, selon qu'il se fait par le patient ou se conseille par le thérapeute.
La recherche sur l’organisation des thérapies
Le second apport du tanking concerne la méthodologie de la recherche psychothérapique avec ce principe qui consiste à partir du setting pour comprendre une pratique donnée. Avec le tanking, ce principe s'impose indéniablement puisqu'il n'y a que l'appareil qui puisse nous amener, par niveaux d'observations successifs, à fonder ce qui s'y passe. Ce principe gagne ici quelque crédibilité de plus et doit s'étendre peu à peu à toute recherche sur les thérapies, surtout si elle se veut comparative comme je le propose en cette époque où les méthodes et pratiques se comptent par centaines.
Le processus thérapeutique commun
Enfin le tanking nous introduit plus avant dans l'éclaircissement du principe thérapeutique et là nous pénétrons au cœur même de la recherche, au niveau qui peut promouvoir l'unité des innombrables méthodes et lever les exclusives aussi dogmatiques que paranoïaques. Nous avons proposé ici une présentation circonstanciée de ce principe avec « l'écoulement libre » et des associations et des sensations. Certes, le setting particulier du tanking limite la situation au vécu psycho-somatique à l'exclusion de toute insertion sociale. Ce qui s'y passe reste donc subjectif, interne et ne rend pas compte de la troisième dimension, sociologique. Nous pouvons néanmoins retrouver ici l'essence même du principe thérapeutique, à savoir l'unification du sujet, son unification interne, psycho-somatique et son harmonisation avec la situation externe, relationnelle en particulier. Dans le caisson, nous constations la levée progressive des obstacles qui empêchent le libre fonctionnement psychique et somatique puis, concomitamment, l'harmonisation des fonctions mentales et physiques comme nous l'avons décrit ci-dessus. Il advient alors ce moment cathartique que Freud situe aux origines de la thérapie moderne et de la psychanalyse, mais en douceur, dans le calme, sans violence. Car la catharsis ne se définit pas par l'intensité comme on le croit naïvement mais par cette unification psycho- socio- et somato-logique qui réalise ce que j'appelle ailleurs le « moment primaire ». En éliminant l'obstacle le plus fréquent à cette harmonisation, l'obstacle relationnel, le tanking peut plus facilement promouvoir cette catharsis, ce moment primaire, et en proposer un lieu de recherche privilégié.
Ces considérations théoriques ne doivent pas servir d'objet aux éventuelles ruminations obsessionnelles du tankeur. Au contraire, elles ne veulent que le sécuriser et l'encourager à aller plus avant dans cette relaxation et cette autoanalyse qui font l'attrait de l'expérience. Car relaxation il y a et même bien plus, nous l'avons déjà décrit. Que recherche-t-on, en fait, en consacrant ainsi près de deux heures à cette enceinte, chaude, humide, maternante mais solitaire, en s'astreignant à la douche, avant et après, à l'immersion des cheveux et à la coupure totale avec le monde extérieur ? La détente musculaire, la diminution du stress, l'arrêt de la compulsion mentale ? Certes. La fuite de l'extérieur, l'oubli des soucis quotidiens, la levée d'une identité trop étroite ? Egalement. On en ressort avec un corps massif, pesant, présent. On y découvre des gestes doux, légers, gracieux. On se laisse inonder par la subtilité des sensations internes, leur sensualité, leur fantasmagorie et leur poésie qui se jouent des réalités anatomo- bio- physiologiques. Du Moi, on passe au Soi. On abandonne le personnage bien adapté, bien contrôlé, bien inséré et apprécié par les autres pour flirter avec celui qui souffre de cette adaptation, avec celui qui se joue des limites corporelles, des identités, du temps et de l'espace. On passe du côté du ça, là où ça tangue, où ça fuse, où ça coule comme le sang dans les veines, où ça s'écoule jusqu'aux confins de l'univers, par mer, air et terre. Là où ça se projette en images, mots, formes et couleurs.
Là on se sent bien, c'est chaleureux, c'est partout et chez soi ; ça, c'est soi et c'est agréable, doux, tendre, sensuel...
Evidemment, ça passe aussi par des moments pénibles. Les espaces nouveaux sont gardés par les monstres d'angoisse et les labyrinthes d'obsession. Le terrain du bien-être est miné d'ennui et de dissociation. Sa surface est tourmentée de spasmes, crampes et fourmillements.
Il y a analyse au sens classique, psych- et somat-analyse, retour de refoulé, libération d'infonctionnant, compréhension de l'un et de l'autre. L'eau du tank se transforme en divan et en matelas, le caisson s'élargit en cabinet et en salle, le ça devient moi, l'imaginaire se symbolise et les sensations se qualifient. Ça se structure et s'empaquète pour usage conforme et de droit.
Mais il y a aussi et surtout analyse dans un sens tout à fait nouveau avec élimination progressive des structures habituelles, du discours, du schéma corporel, de la morale et des bonnes manières, puis accès aux processus les plus purs, les plus fous, les plus beaux. Et là s'ancre une jouissance certaine, dans cet écoulement libre de vie, d'énergie, de sens et de sensualité, une jouissance sans identité et sans schéma mais pleine de qualité. Elle est totalement asociale, cette jouissance. Il ne faut pas l'appeler « régressive », ça la mutilerait. Non, elle est tout simplement asociale et amorale. Il ne faut pas non plus la traiter de narcissique même si elle retrouvait par là l'air du temps. Non, elle est individuelle et individuante. En soi, il n'y a pas de mal à rechercher ce plaisir, cette satisfaction, ce bonheur. Ça rend plutôt paisible et tolérant, ça fait tomber les fusils des mains.
Evidemment, au sortir de ce pays enchanteur, on retrouve la lumière, le bruit, les objets et les voisins. Il faut payer la séance et travailler à cet effet. La structuration sociale s'impose d'elle-même ; il ne reste qu'à s'y glisser aussi gracieusement que dans l'eau, aussi cathartiquement, aussi primairement.
Voilà cette présentation du tanking faite il y a un quart de siècle. Elle est de toute actualité puisqu’elle aborde les trois « purs processus inconscients » : l’essence de l’énergie, la nature de l’esprit, l’intime du lien. Les vécus et transcriptions leur correspondent fidèlement ; la conceptualisation n’était pas encore au point. Ça en fait le charme et l’intérêt.
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