Chapitre 1 : Naissance et développements de la psychopathologie LÂ’antipsychiatrie Goffman, Binswanger et Minkowski d’un côté, l’athéorisme de l’autre ont bien entamé les certitudes des psychiatres tout fiers de construire enfin de magnifiques édifices psychopathologiques. Les antipsychiatres vont y porter un véritable coup de pied, dans cette fourmilière. Et même si leur violence en a marqué les limites, ils ont néanmoins profondément marqué la psychiatrie. C’était dans la décennie 1960-1970. Un psychiatre américain, Thomas Szasz écrit Le mythe de la maladie mentale avec, en introduction : « La maladie mentale est, en tant que concept, un mythe et que, en tant qu’événement particulier et concret, le phénomène qualifié de maladie mentale est une maladie métaphorique. En d’autres termes, la maladie mentale est un langage et non pas une lésion ; la pratique psychiatrique fait quelque chose avec ce langage ou à ce langage, elle fait quelque chose avec les gens qui utilisent ce langage (en abusent) ou à ces gens – elle n’opère ni diagnostic ni traitement d’une maladie. ’ » (Szasz in Pewzner p. 279). En France, Michel Foucault avec l’Histoire de la folie à l’âge classique « participe à sa manière, philosophique et historique, à cette grande entreprise de critique et contestation de l’institution et du discours psychiatriques » (o.c. p. 275). En 1961, l’année où Goffman publie Asile. Mais ce sont les Anglais, Cooper, Esterson et Laing, qui incarnent véritablement l’antipsychiatrie. « Soulignant l’intérêt de la régression, David Cooper appelait à la respecter et à l’accompagner jusqu’en ses manifestations les plus troublantes. Car pour Cooper (…), il fallait oublier tout ce que l’on avait appris en psychiatrie, quitter hôpitaux et institutions, ne plus croire aux progrès de la thérapeutique, vivre avec les fous, partager leur existence quotidienne, désapprendre la psychiatrie et tout apprendre des fous eux-mêmes qui savent beaucoup de choses non seulement sur eux mais sur nous. A l’hôpital psychiatrique doit succéder l’ « anti-hôpital » : Cooper a tenté une expérience dont le récit est devenu légendaire. Il a créé une unité de schizophrènes, au sein d’un grand hôpital psychiatrique de la banlieue de Londres. L’expérience s’est déroulée au pavillon 21, de 1962 à 1966. Ont été bannies ou totalement inversées les méthodes et les pratiques classiques de la psychiatrie asilaire » (p. 280). Cette nouvelle pratique s’accompagne évidemment de considérations psychopathologiques. « Les antipsychiatres anglais ont, d’autre part, à partir de leurs études de familles de schizophrènes, mis l’accent sur la causalité familiale et sociale du trouble mental. La famille est ‘une texture relationnelle, un champ d’interactions concrètes où les affrontements et les interactions réciproques se trouvent majorés en fonction de la proximité des êtres dans un face-à-face permanent’. Dans leur recherche faite sur onze familles au sein desquelles se trouvait un schizophrène, Esterson et Laing montrent que le comportement considéré cliniquement comme symptomatique de la schizophrénie n’est que le résultat d’interactions familiales : la maladie ne serait qu’une création du milieu sociofamilial » (p. 280). Ce point de vue correspond avec les recherches de l’équipe de Palo Alto en Californie, plus précisément à celles vues de Gregory Bateson présentées dans Vers une théorie de la schizophrénie. « Dans cet ouvrage, qui représente une contribution fondamentale à l’approche dynamique des conflits familiaux, Bateson souligne que dans l’étiologie et les symptômes cliniques de la schizophrénie, une distorsion de la communication – double bind ou double lien – joue un rôle majeur, et que cette distorsion s’est constituée au sein de la relation familiale, bien avant les premières manifestations de la maladie » (p. 281). L’antipsychiatrie italienne a réussi à obtenir la fermeture des hôpitaux psychiatriques sous les coups de boutoir de Franco Basaglia. La France, elle, s’est contentée de la création des… secteurs psychiatriques. Avec les antipsychiatres – et néanmoins psychiatres – nous clôturons cette première série de développements de la psychopathologie. Il s’agit de la pathologie lourde, à enfermer en attendant de la ré-insérer dans la société, à théoriser en attendant d’avoir des outils pour elle, en fait de médicaments surtout. Mesmer est l’heureuse exception, il y a deux cents quarante deux ans déjà. Le diagnostic joue le rôle principal ici, alors que, pour le courant psychothérapique que nous abordons maintenant, c’est le contre-transfert au sens large et l’attitude du thérapeute qui tiendront ce rôle.
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