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Chapitre 4 : La psychothérapie et la psychopathologie en 2008

Les convergences des grands courants psychothérapiques

Les signes évidents de la rencontre des courants sont récents et il faut s’intéresser de près à la grande famille que nous avons décrite pour les apercevoir. Il s’agit de faits que nous pouvons ranger sous trois rubriques notamment : durée de la cure, canal de communication et nature de la reliance.

 

  • Les convergences sur la durée de la cure

  •  Nous connaissons bien les deux durées classiques, courte et longue, de la cure. Les thérapies comportementales et systémiques ainsi que de nombreuses somatothérapies se veulent courtes (3 à 6 mois, 6 à 12 séances) alors que psychanalyse et somatanalyse s’annoncent longues, jusqu’aux vingt cinq années de Woody Allen. Il y a même une exacerbation de ces critères, la psychanalyse revendiquant de plus en plus d’années et l’EMDR, par exemple, s’enorgueillissant de guérir d’un trauma en deux à trois séances. N’oublions pas, pour la petite histoire, que Freud a guéri Gustav Mahler en une seule après-midi et que J.A. Miller, le gendre de Lacan, théorise les « effets rapides de la psychanalyse » en deux à trois séances aussi. La convergence ne se situe pas ici ; ce ne serait même que revendication accrue de la différence (qui, pour nous, n’est que complémentarité).

    La convergence se fait entre ces deux extrêmes, à savoir dans la cure de durée moyenne s’étendant entre 6 et 24 mois, 15 et 60 séances. (Ce ne sont évidemment que des moyennes approximatives). Les cures analytiques se raccourcissent à cinquante séances sous l’appellation de psychanalyse brève, psychothérapie d’inspiration analytique, short term anxiety provoking psychotherapy… Adler et Rank s’y étaient déjà rangés. Il en va de même pour l’analyse reichienne qui s’accélère en psychothérapie brève caractéro-analytique (Serrano). Ma propre somatanalyse connaît également des protocoles pour un à deux ans, en groupe (socio-somatanalyse) et en duel (psycho-somatanalyse). Dans cette durée intermédiaire, les indications s’appellent foyer, focus, trouble psychodynamique, trait de caractère, trouble de la personnalité.

    Aussi spectaculaire est l’allongement des thérapies courtes à la même durée d’un à deux ans. La relaxation devient analytique avec Sapir. La musicothérapie se développe en analyse néo-reichienne voco-posturale avec M-C. Piatkowski. Mais c’est le courant comportemental qui présente l’évolution la plus intéressante après avoir tant vanté la rapidité du traitement. En effet, il s’est quand même mis à s’intéresser à la fameuse boîte noire qui s’intercale entre stimulus et réponse, y découvrant le cognitif avec ses pensées automatiques, schémas conditionnels et postulats inconditionnels. Et cela prend de plus en plus de temps, d’autant plus que ces fixations cognitives constituent des traits de caractère et s’ouvrent sur les troubles de la personnalité. Le cognitivo-comportementalisme s’enrichit depuis peu d’une troisième étape, émotionnelle, et même de cette quatrième dimension, méditative, déjà évoquée, ce qui rajoute une dizaine de séances pour son apprentissage. L’EMDR lui-même accuse ses trente à quarante séances dès que les traumas sont ancrés et graves (névrose de guerre) ou que les indications débordent les seuls clivages post traumatiques.

    La toute nouvelle importance accordée à la psychothérapie de durée moyenne et surtout la systématisation des protocoles qui permet de tenir la durée entre les deux butoirs sont d’un grand intérêt. Analyses longues et thérapies courtes viennent côtoyer là le courant déjà installé dans la durée moyenne parfois appelé « humaniste », avec la Gestalt thérapie en exemple. Car c’est le travail d’un à deux ans, au-delà du seul symptôme et en deçà de la névrose de transfert, qui s’affirme comme le modèle de thérapie le plus intéressant, avec un rapport qualité/prix des plus rentable. Eh oui, la société nous regarde et demande des comptes !

     

    • Les convergences sur les canaux de communication

    •  La psychothérapie s’inscrit obligatoirement dans une relation et nécessite donc un canal de communication. Ce canal se voulait longtemps exclusivement verbal. Françoise Dolto martelait : « il faut verbaliser ». Mais sa fille Catherine s’est ralliée à l’haptothérapie, à savoir au toucher thérapeutique en prolongement ! Inversement, de nombreux somatothérapeutes ont basculé dans le sens inverse, purement verbal et analytique.

      Car l’autre grand canal de communication s’inscrit dans le corps : la voix, le mouvement, la mimique, le toucher, qui sont des canaux qui se suffisent à eux-mêmes. Quant au troisième canal, dit médiatisé, il englobe la musique, les arts plastiques, la dramaturgie et même les animaux pour ne pas évoquer l’ergothérapie, ou la bibliothérapie. Tous ces modes permettent d’établir la communication garante de thérapie.

      Et c’est là que se fait cette autre convergence dans l’élargissement des canaux. Aux côtés de Catherine Dolto, Bernard This, lacanien tout aussi convaincu, a lui aussi annexé le toucher haptonomique comme bien d’autres psychanalystes. Malgré sa mise au placard, Ferenczi a légué son toucher néo-cathartique à Balint, Winnicott et à toute une lignée de psychanalystes, sans parler de ceux qui « aménagent le cadre » pour prendre en analyse les personnalités archaïques et même les psychotiques. Pour ces derniers, les médiateurs sont bienvenus et bien utiles, comme pour les enfants. Mais c’est ma propre somatanalyse qui élargit la communication du verbal au corporel, accordant autant d’importance à l’un qu’à l’autre, que ce soit en groupe ou en individuel.

      Inversement, les méthodes principalement corporelles ont accordé de plus en plus de place au verbal, et peuvent ainsi s’inscrire dans un cadre analytique qu’elles affichent gaillardement : analyse reichienne, analyses bioénergétique, biodynamique, biosystémique par exemple. Le rêve éveillé devient lui-même analytique en insistant sur la verbalisation.

      Quant aux méthodes reléguées à leurs seuls médias (musique, arts plastiques, cheval) elles ont largement accueilli le somato-, le corporel, et le discours verbal évidemment. C’est ainsi que la musicothérapie voco-posturale marie harmonieusement voix, corps et narration. Après les convergences sur les durées et les convergences sur les canaux de communication, voici les convergences sur le mode relationnel, ou reliance, là où ça se bagarrait entre simple alliance thérapeutique et transfert.

       

      • Les convergences sur la nature de la reliance

      •  Trois durées, trois grands canaux de communication… Y aurait-il aussi trois modes de relation ? Et tout cela déboucherait sur des centaines de combinaisons différentes ?

        Effectivement, il y a là aussi des différences véhémentement affirmées : alliance thérapeutique pour les uns, transfert pour les autres, attachement pour d’autres encore ou refus de l’attachement ; amour inconditionnel, neutralité, implication personnelle, abstinence… nous connaissons ces attitudes bien tranchées. Et pourtant les positions convergent.

        Reprenons avec les tenants des thérapies courtes qui prônent l’alliance thérapeutique, la position d’égal à égal (et même la position basse en thérapie stratégique), et qui échangent sur le mode de l’intersubjectivité : on est sur la même longueur d’onde, ça coule, je sens que tu sens que je sens, je sais que tu sais que je sais… Et voici que les cognitivo-comportementalistes qui intègrent l’émotionnel s’intéressent à l’attachement. Voici comment F. Mehran résume cette convergence : « Les premiers auteurs qui ont proposé un rapprochement entre la théorie des schémas de Beck et la théorie de l'attachement de John Bowlby sont deux psychothérapeutes cognitivistes italiens Guidano et Liotti (1983), Du fait de leur proximité conceptuelle, ces travaux ont été progressivement transposés en termes de schémas cognitifs Des travaux récents (Williams et Riskind, 2004) ont montré que les perturbations anciennes de l’attachement étaient à relier aux difficultés actuelles dans la relation amoureuse, étaient, également, en lien avec des troubles anxieux et dépressifs, et s'exprimaient dans des mesures des schémas cognitifs. La théorie de l'attachement a été intégrée dans la thérapie des schémas de Jeffrey Young, qui est actuellement validée empiriquement (Giesen-Bloo et coll., 2006). En pratique, ce modèle du développement affectif aide le patient et le thérapeute à conceptualiser la genèse de ses perturbations émotionnelles et à réparer les carences parentales précoces. » (Mehran in Cottraux 2007 p. 29).

        Mehran évoque la référence à la théorie de l’attachement, et, avec les psychothérapies de durée moyenne comme celle qu’il annonce là, la nature de la reliance se transforme effectivement en attachement jusqu’à la dépendance qui se vit et se rejoue entre patient et thérapeute. C’est ce que les psychanalystes avaient du mal à intégrer, eux pour qui cette reliance n’est que transfert.

        Bowlby, l’observateur et théoricien de l’attachement, était pourtant psychanalyste. Mais sa famille a longtemps rejeté la théorie et le vécu de l’attachement. René Spitz qui a renforcé l’observation avec la « peur de l’étranger » à huit mois d’âge était aussi psychanalyste. Mais la notion de transfert était trop prégnante, à la fois découverte de Freud et propriété du courant psychanalytique. Et pourtant l’attachement s’annonçait, permettant à Reich d’observer des traits de caractère défensifs et résistants qu’il appela néanmoins « transfert négatif ». Anna Freud elle-même, systématisant les mécanismes de défense, pointait les mêmes traits de caractère issus de l’attachement et de la peur de la dépendance. Mais il ne fallait pas toucher au transfert. Pourtant, peu à peu, les psychanalystes qui prennent en charge les personnalités archaïques, qui raccourcissent les cures ou aménagent le cadre, s’adaptent à cette nouvelle reliance qui tourne autour de l’attachement et de l’intersubjectivité beaucoup plus que de la névrose de transfert.

        En cela, ils rejoignent Fritz Perls, freudien jusqu’à ses cinquante ans, puis gestaltiste. Lors de ce tournant de vie, il rejette le transfert, propose l’égalité patient-thérapeute et s’implique dans la relation, se dévoilant dans ses ressentis et émotions personnels. Il répond ainsi aux troubles de l’attachement et cherche à réparer ce qui a manqué ou dysfonctionné dans le passé du patient.

        Voilà une troisième dimension qui dévoile la convergence des grands courants psychothérapiques, dans ce no man’s land entre les durées courte et longue qui s’avère le lieu le plus intéressant : il est assez long pour devenir profond ; il ne déborde pas jusqu’à la névrose de transfert qui change tout. En fait, ces convergences évoquent le fameux « facteur non spécifique » qui serait commun à toutes les méthodes et pratiques.

        Mais que nous apporte cette observation sur les convergences ? Que change-t-elle à l’autre réalité du foisonnement des méthodes et théories ? Elle nous montre énormément de choses. D’abord qu’il y a des paramètres communs aux méthodes : une durée, un canal de communication, une reliance par exemple. Ces paramètres sont peu nombreux et constituent le cœur même des psychothérapies. Plus ça foisonne, plus ça converge. Plus ça se particularise, plus les traits communs s’affirment. Plus on se veut différent, plus on se retrouve.

        Certes on peut résister là aussi, clamer l’originalité et l’unicité de sa méthode, scotomiser le voisinage de l’autre, nier la proximité de l’attitude de ce voisin. En fait, la réalité de ces convergences nous oblige à aller plus loin encore, à oser l’intégration.

         

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