Chapitre 2 ; Les courants psychothérapeutique et psychiatrique de la psychopathologie La psychopathologie behavioriste Le comportementalisme s’est développé en même temps que la psychanalyse, il y a une centaine d’années. Il n’est pas né en réaction à cette dernière, mais parallèlement. Ce n’est que vers le milieu du XXe siècle que les deux courants ont commencé à s’affronter, suscitant très logiquement un troisième courant opposé à cet affrontement, le courant dit humaniste. La Gestalt-thérapie présentée dans le tome I illustre bien cet humanisme qui se prolongea très vite en « transpersonnel ». Aujourd’hui encore les deux premières écoles s’affrontent violemment, en France notamment, à grand renfort de Livre noir et d’Anti-livre noir. Dans les faits, la psychanalyse résiste par sa théorie tandis que le comportementalisme s’impose par ses pratiques. La première se replie sur ses shibboleths, la seconde s’épanouit et intègre : comportementalisme + cognitivisme + émotionnel + méditation pleine conscience, en une juxtaposition de méthodes qui ne se fonde pas encore sur une base théorique unifiée. Notre démarche pléni-intégrative propose une trêve en situant le comportementalisme dans la durée courte et la psychanalyse dans la durée longue de la cure séquentielle. Quant à la durée moyenne, les deux courants avancent leurs pions, les uns en allongeant leurs thérapies courtes, les autres en raccourcissant les longues années sur le divan ! Il nous faut jeter les bases du behaviorisme tout en les illustrant de conceptions psychopathologiques. Nous nous référons à Serban Ionescu ici. Le manifeste du behaviorisme de Watson, La psychologie telle que la voit un behavioriste est paru en 1913. « Les principales idées contenues dans ce texte sont : (1) la psychologie est la science du comportement et non l’étude de la conscience par l’introspection. (2) Elle est une branche objective et purement expérimentale des sciences de la nature. (3) La psychologie doit négliger tous les aspects mentalistes et s’appuyer exclusivement sur des entités comportementales visibles telles que le stimulus et la réponse. (4) Le but de la psychologie est la prédiction et le contrôle du comportement » (Ionescu p. 36). Trois orientations principales ont été retenues par Ionescu. « La première orientation dans le développement du behaviorisme est basée sur le conditionnement classique ou répondant, lié aux travaux d’Ivan Petrovitch Pavlov. Dans ce type de conditionnement, un stimulus neutre (le son d’une cloche, par exemple) présenté un nombre suffisant de fois en contiguïté avec un stimulus inconditionné (la nourriture), arrive à déclencher une réponse semblable à celle que déclenche le stimulus inconditionné » (o.c. p. 27). Le paradigme du conditionnement classique a été utilisé en Afrique du Sud par Joseph Wolpe et en Angleterre par Eysenck. Le traitement instrumentalise « l’inhibition réciproque ». « La deuxième orientation dans le développement du behaviorisme est celle du conditionnement opérant ou instrumental, élaboré par Thorndike et Skinner (Skinner, 1953, 1971) et présenté au public francophone, par Richelle (1972), dans un ouvrage devenu classique. Pour les représentants de ce courant, la réponse est émise spontanément par l’organisme et entraîne un changement dans l’environnement. Les réponses sont émises avec une certaine fréquence et leur probabilité d’apparition augmente si elles sont renforcées. Pour Skinner, tout comportement est contrôlé par ses conséquences dans l’environnement. Le milieu a donc un rôle fondamental dans le behaviorisme skinnerien : il sélectionne certaines réponses de l’organisme » (p. 27-28). Ici, il s’agit de sélectionner et renforcer les réponses utiles et de décourager celles qui sont nuisibles. « La dernière orientation dans le développement du behaviorisme est représentée par le behaviorisme de troisième génération, appelé social ou paradigmatique. Elaboré par Staats, ce behaviorisme est présenté comme une théorie hiérarchique à plusieurs niveaux, théorie qui constitue une tentative d’unification des différents courants de la psychologie. Le cinquième niveau de la théorie de Staats est consacré au comportement anormal » (p. 28). Ce dernier comportement, anormal, nous sert d’illustration des nouvelles conceptions psychopathologiques. Il y a deux catégories de base : les lacunes comportementales et les comportements incorrects ou inadéquats. En voici les développements. « Les lacunes comportementales et les comportements incorrects peuvent survenir dans l’une ou l’autre des trois sphères de la personnalité décrites par Staats : (a) le système A-R-D (émotionnel – motivationnel) ; (b) le système linguistique et (c) les répertoires instrumentaux. Cette mise en relation des catégories de comportements anormaux et des sphères de la personnalité découle de la conception de Staats que la personnalité est constituée de répertoires comportementaux de base. Dans ces conditions, une des tâches importantes de la psychopathologie est d’étudier les cas de maladie mentale en termes de personnalité, donc de répertoires comportementaux de base. (…) - Le manque d’intérêt, d’ambition, de buts, ainsi que l’indifférence affective rencontrée chez les patients présentant une schizophrénie sont interprétés comme des lacunes du système émotionnel-motivationnel. (…) - Les mécanismes de défense, mis en évidence et développés dans le cadre de l’approche psychanalytique, constituent des comportements verbaux. Lorsqu’une personne fait appel presque exclusivement à de telles séquences verbales, elle se trouve privée des moyens qui lui permettent de penser, de raisonner, de planifier et de prendre des décisions adaptées à la réalité. Dans de telles conditions, les mécanismes de défense apparaissent comme des comportements incorrects se manifestant au niveau du système linguistique (ou linguistique-cognitif) de personnalité. - De nombreux patients psychotiques hospitalisés manifestent des lacunes au niveau des répertoires de comportements instrumentaux. Des lacunes sévères concernant les habiletés sociales peuvent d’ailleurs conduire à l’hospitalisation permanente de ces patients » (p. 31-32). Nous côtoyons là un développement beaucoup plus complexe du behaviorisme avec prise en considération de la personnalité, des troubles de la personnalité ou caractéroses. « Le behaviorisme paradigmatique s’accorde avec d’autres approches, plus traditionnelles, qui reconnaissent l’importance de la dimension personnalité en psychopathologie. Cette manière d’aborder les comportements dits anormaux a d’importantes implications pour la classification. En effet, les comportements anormaux chevauchent les catégories diagnostics. Des lacunes dans les répertoires langagiers de base sont retrouvées dans des catégories aussi diverses que la déficience mentale, l’autisme, la schizophrénie, les troubles affectifs. Des lacunes dans le système émotionnel-motivationnel se trouvent en schizophrénie, dans les cas de personnalité psychopathe, en neurasthénie » (p. 34). Il nous reste à nous plonger dans ce système complexe dit A-R-D qui illustre le devenir récent du behaviorisme qui n’en est plus à sa seule « Orange mécanique ». « Le système A-R-D fait référence aux différents stimuli (par exemple, biologiques, occupationnels, récréationnels, etc.) qui déclenchent chez le sujet des réponses émotionnelles (positives ou négatives), ont un caractère affectif ou conditionnel renforçant et directif. Dans le cadre du behaviorisme social, les stimuli de l’environnement déclenchent des réponses émotionnelles qui, à leur tour, déterminent le comportement du sujet en raison de la fonction renforçante et directive des stimuli qui les ont déclenchées. Les réponses émotionnelles sont apprises par conditionnement classique. Les différences dans les histoires d’apprentissage font que les sujets ont des systèmes A-R-D différents. Le deuxième système de personnalité est le système verbo-cognitif composé de trois répertoires comportementaux : les langages réceptif, expressif et réceptif-expressif. Les répertoires langagiers ont un rôle important dans toutes les étapes de la résolution de problèmes. Parmi les aspects importants du système de personnalité se trouvent le concept de soi (l’étiquetage que le sujet fait de ses caractéristiques physiques et de ses comportements) et l’intelligence (composée de répertoires spécifiques de comportements). Le système instrumental constitue le troisième système de personnalité. Il comprend des répertoires comportementaux très variés qui vont des premières habiletés sensori-motrices (prendre un objet, marcher) et de l’attention, aux habiletés sociales » (p. 37). Cette présentation nous rappelle la différence entre les conditionnements « répondant » (à la cloche) que nous utilisons en désensibilisation (telle l’EMDR) et « opérant » qui permet de sélectionner les réponses spontanées. Voilà le comportementalisme originaire, primaire, sinon primitif, qui ne s’occupe que d’un sympôme à la fois. Avec le comportementalisme social nous abordons une démarche complexe, approchant la personnalité globale en psycho- (le système linguistique), en somato- (le système émotionnel-motivationnel) et en socio- (les répertoires instrumentaux). De thérapie courte, nous passons en durée moyenne et devons réviser notre opinion sur le comportementalisme ! Avec cette plongée dans les comportements anormaux nous retrouvons aussi le thème privilégié d’Alfred Adler et nous observons la complémentarité de ces deux approches – et non leur opposition – l’une investissant le consensus communautaire et l’autre les comportements. Et c’est la psychopathologie qui fait liaison. En passant au courant cognitiviste, nous illustrons encore plus l’évolution du comportementalisme vers la complexité puisque actuellement on allie les deux courants sous le terme de cognitivo-comportementalisme. Cette alliance scelle une complémentarité évidente puisque les pathologies-cibles se différencient : troubles du comportement et dépression.
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