Chapitre 14 : Le principe complexification / plénarité et le modèle ontothérapeutique LE MODELE COMPLEXIFICATION / PLENARITE Le paradigme holanthropique considère l’ontogenèse comme un développement personnel qui apporte continuellement de nouveaux éléments : corporels, psychiques et relationnels. On pourrait se contenter de les additionner, accumuler, multiplier avec avidité (socialement et matériellement surtout) jusqu’à la complication et l’indigestion. Or l’être humain est ainsi fait qu’il ne peut gérer simultanément qu’un petit nombre d’items, confer la loi de Miller qui dit que la mémoire de travail ne retient que 7 ± 2 items à la fois, et la théorie d’Edelman (que nous verrons plus loin) qui postule qu’on ne peut conscientiser qu’un nombre plus petit encore d’items à la fois.
C’est la réalité de la complexification.
Mais chaque nouvel élément qui s’intègre provoque un réajustement de l’ensemble pour y trouver sa place. Aussi cet ensemble est encore plus complexe, constitué de dizaines et de centaines d’items, de telle sorte que ce processus ne peut se faire que globalement, quasi spontanément, dans le lâcher prise que réalise… l’expérience plénière, concept que nous verrons plus loin.
C’est le principe complexication / plénarité.
Deux validations viennent confirmer ce principe fondamental, l’une de Virginia Satir, créatrice d’un modèle évolutif en thérapie familiale, l’autre de René Thom, mathématicien.
“ Nous n’avons pas à nous débarrasser de quoi que ce soit. L’idée est d’ajouter une nouvelle conscience, des connaissances, des manifestations et de l’expérience pour faire que quelque chose de nouveau arrive. Chaque attitude contient déjà la graine de l’intégrité et de la congruence” (Satir cité par Joan E. Winter in Elkaïm p. 414).
Satir explique ici l’effet de réajustement et d’intégration de l’acte thérapeutique qui atrophie l’élément inadéquat et donne de la place au nouvel élément. Il n’est donc pas nécessaire de “ donner la castration “ comme l’énonçait Françoise Dolto. “L’intégrité et la congruence” redisposent l’ensemble spontanément, sans éliminer.
Par ailleurs un modèle mathématique nous offre une analogie intéressante, la « théorie des catastrophes » de René Thom, qui cherche à modéliser les phénomènes complexes (comme les climats), et qui a déjà été appelé à la rescousse de la psychanalyse par Michèle Porte. Cette théorie repose elle-même sur une image très simple, sur les poulies et la came des anciens moulins. Voici comment j’avais moi-même utilisé ces références pour décrire le passage de la matrice fusionnelle (avec la mère) à la socialisation (grâce au père) ou, en d’autres mots, la complexification du stade oedipien.
“Et puis il y a les autres partenaires : le père, les frères et sœurs, la grande famille, les invités, les rencontres lors des promenades. Au début, ils n’étaient que des empêcheurs de fusionner en rond. Peu à peu, ils offrent une présence qui, si elle ne vaut pas la fusion maternelle, palie néanmoins à l’absence de cette mère. D’abord ils constituent cette catastrophe qui expulse de la position de stabilité fusionnelle mais, à la longue, ils offrent quelque chose de nouveau qui semble tout aussi intéressant : la sécurité par la protection.
“A l’occasion de ce nouveau cycle, référons-nous à René Thom et à son modèle mathématique. Pour ce scientifique, la position de stabilité structurelle se représente comme un jeu de poulie dont le cadre de vie est la roue motrice et le sujet, une seconde roue entrainée par la première.
Schéma 48 :la position de stabilité structurelle “Ici, le sujet a bien une vie propre, une dynamique qui le fait tourner sur lui-même, mais il n’y a pas de mouvement par rapport à sa position. Il reste sur place, il est stable, structuré par le cadre de vie qui est lui-même stable. C’est ainsi que se présente le cœur de chaque étape de développement : l’homéoésthésie dans l’écosystème, la fusion avec la mère, la protection dans la dynamique familiale.
“Mais, lors des catastrophes transitionnelles, les cadres changent, les cadres conjointement avec le sujet. La vie évolue, se complexifie, et expulse de la stabilité antérieure. C’est la catastrophe. René Thom propose ici le modèle de la came.
Schéma 49 : la came ou cycle marqué
“Empruntons à Michel Porte la présentation de la came et son application aux concepts psychanalytiques.
“Sur la partie non marquée du cycle a lieu une variation continue de la distance au centre de rotation - écart spatial - et de l’énergie - (on peut imaginer un tel arbre à cames, entraîné par une roue de moulin dans un courant, et entraînant lui-même des marteaux à foulon, ainsi que l’usage le plus anciennement connu de ce dispositif en offre l’exemple). Sur la partie marquée du cycle, au passage du saut de relaxation, la distance au centre et la teneur en énergie baissent brutalement (la tête du marteau dégringole sur le drap). Le saut de relaxation est une transformation irréversible. Intuitivement nombre de cycles vitaux paraissent relever d’un schéma de ce genre : cycles alimentaire, du sommeil, respiratoire...“ (Porte p. 60)
Pour nous, le passage œdipien est une complexification (on entre dans la socialisation grâce au père) et non une castration (on n’élimine pas la mère). Et cela se fait dans une expérience plénière, dans un saut plénier pour paraphraser le saut de relaxation de la came. Le grain devient farine mais l’essentiel du grain est là, autrement, ajusté à son devenir. On n’enlève rien (surtout quand on est Bio-), on enrichit.
Expliquons plus précisément le schéma suivant qui éclaire encore mieux le principe complexication/plénarité :
- il n’y a plus deux poulies mais une seule qui représente le sujet en son développement interne et internalisé ;
- la partie marquée de la came (uniformément ronde) représente l’état de stabilité structurale qui ménage une certaine permanence après l’intégration d’un nouvel élément ;
- puis de nouveaux développements se font qui, dans un premier temps, s’additionnent, s’accumulent séparément et encombrent la partie non marquée de la came (rayon qui s’allonge) ; l’énergie de l’être doit s’appliquer à solidariser ces éléments extérieurs avec l’ensemble, comme un tendeur sur un porte-bagage, et de plus en plus d’énergie est accaparée ;
- aussi longtemps que la volonté d’accumuler quantitativement s’exerce, on y épuise l’énergie ; le développement se bloque par saturation et risque même le morcellement ; quand on lâche enfin prise dans le saut de relaxation, par l’expérience plénière, tout s’intègre, s’enrichit, se stabilise, sans perdre ni castrer, en réaménageant l’ensemble. L’énergie de cohésion se libère de nouveau pour investir les nouveaux processus de complexification.
Schéma 50 : modélisation du principe complexification/plénarité
Moment primaire,
Saut de relaxation,
Saut de plénarisation.
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