Chapitre 14 : Le principe complexification / plénarité et le modèle ontothérapeutique LÂ’haptothérapie de Frans Veldman J’ai eu le grand honneur et autant de bonheur d’être formé – partiellement – par Veldman père, dans mon propre centre de Lipsheim, où j’avais organisé un atelier pour lui. Voici comment je présentais la méthode haptothérapique dans sa forme de thérapie courte – d’une dizaine de séances – telle que promue à l’époque.
« Frans Veldman, Hollandais installé en France, développe depuis des dizaines d'années une recherche et une formation sur le toucher et le contact, dans des registres aussi divers que le dialogue avec le fœtus par le contact du ventre maternel, le portage du nouveau-né et les manipulations des malades hospitalisés. L'haptothérapie, elle, constitue une thérapie pour l'adulte, avec une dizaine de séances, se construisant autour du "prolongement" du corps du patient dans les mains, bras et corps du thérapeute. Cette extension à l'autre produit une transformation fondamentale du sentir et du réagir et permet le développement de tout un programme thérapeutique. Frans Veldman théorise ces phénomènes difficiles à conceptualiser. Il comble ainsi une lacune particulièrement sensible dans ces pratiques fondées sur la réceptivité et la sensualité, l'affectivité et le transpersonnel, il apporte une scientificité là où on n'a pas l'habitude de la rencontrer, tout en sachant qu'il restera toujours une grande part d'indicible dans cette dimension du corps.
Pour la démonstration de l'haptothérapie, Veldman couche son patient sur une table médicale, en slip, et lui explique qu'il teste d'abord ses mécanismes de défense. Il appuie brutalement sur le dos et provoque obligatoirement un raidissement de la musculature dorsale qui s'oppose à cet enfoncement. Provoquant son patient, il le met au défi d'éviter cette réaction de défense et il gagne à tous les coups car on ne peut effectivement pas s'empêcher de réagir. Pour affiner ce test, il empoigne alors son patient des deux mains aux "poignées d'amour", à cette jonction molle entre les dernières côtes et l'os iliaque, enfonçant les muscles obliques avec ses doigts et provoquant un chatouillement puis une douleur. Le patient réagit immanquablement, résiste ou se défend selon l'une des trois possibilités que la langue anglaise présente joliment comme fight, fright or flight, combat, retrait ou fuite. En effet, devant cette agression, on peut attaquer en agrippant les mains de l'intrus, on peut se raidir pour sentir le moins de douleur possible ou alors fuir, quitter la table par l'autre côté... L'intérêt de ce test est souligné par Veldman qui explique qu'un individu replié sur lui-même est dans l'attente et sur la défensive, ce qui entraîne une certaine tension musculaire qui rend tout contact douloureux et provoque des réactions de défense quasi réflexes.
Après ce test, Veldman s'approche "haptonomiquement", amicalement et déjà prolongé lui-même en l'autre. Il pose une main sur le bas du dos, dans le creux des lombes et propose au patient de sentir cette main, d'entrer dedans, non pas en image mais à partir du dos, de continuer dans l'épaisseur de cette main, de prolonger jusqu'au poignet, au coude puis a l'épaule. Ce prolongement est relativement facile à effectuer pour peu qu'on ressente son corps et puisse se concentrer sur lui. Il ne nécessite pas de changement de l'état de conscience, pas de fermeture des yeux, pas d'abandon autohypnotique. On peut l'effectuer en toute lucidité. Lorsque ce prolongement se fait suffisamment, jusqu'aux épaules par exemple, à travers les deux mains et les deux bras, il se passe une transformation étonnante et fondamentale dans le corps du patient. La tension musculaire disparaît et un œil averti voit l'effacement progressif des contractures dorsales et fessières. La courbure lombaire s'efface. La peau se détend et rosit. Quant à la respiration, elle s'harmonise entre le haut et le bas, se régularise dans son rythme et ralentit. A ce moment, Veldman reprend les stimulations du test initial, il appuie puissamment sur le dos, il agrippe les flancs mais, et c'est la surprise, le patient ne se défend plus. Son dos répond souplement au poids supplémentaire du poignet, les obliques se laissent enfoncer sans se raidir. En fait, il n'y a ni douleur ni agression. Quelque chose s'est transformé dans l'économie globale du sujet, il n'est plus en attente ni sur la défensive, il se sent bien dans son corps, sûr de soi et confiant en l'autre. On peut accentuer la pression dans les flancs, enfoncer les doigts encore plus, rien n'y fait tant que le prolongement reste effectif. A ce moment, Veldman retire tout contact et enjoint au patient de re-rentrer en lui-même, d'annihiler le prolongement, de ne compter que sur lui-même. On peut voir alors les effets exactement inverses: les muscles se tendent à nouveau et saillent, les fesses se serrent, les jambes se raidissent, le creux lombaire s'accentue, la peau pâlit, la respiration se déplace vers le haut et le patient peut jeter à nouveau des œillades inquiètes vers le thérapeute pour savoir quand il agressera... Quand ce dernier s'y met effectivement comme au début, les mécanismes de défense, fight, fright or flight, sont au rendez-vous.
L'haptothérapie se fonde essentiellement sur ce "prolongement" du corps dans les bras et le corps de l'autre et sur les changements corporels et relationnels qui l'accompagnent. On peut poser ses mains sur n'importe quelle partie du corps pour amener au prolongement. Quand la thérapie se limite à une dizaine de séances, elle recherche ces différents états de détente, d'harmonisation somatologique, de sécurisation et d'affirmation de soi, de confiance en l'autre. De nombreux symptômes fonctionnels disparaissent, l'angoisse diminue et le bien-être augmente- Veldman conceptualise très précisément ce quise passe dans cette rencontre fondée sur le contact et le prolongement:
- l'attitude du patient en attente, dans l'expectative et sur la défensive, s'appelle: "insensus",
- l'état de prolongement: "assensus".
A ce premier niveau, s'ajoutent deux états supérieurs, plus subtils:
- le "persensus": lorsque le patient se prolonge non seulement dans le corps mais dans la personnalité du thérapeute, affectivement;
- le "transsensus": lorsque s'intègrent les valeurs spirituelles, transcendantes.
Quand on est seul, le prolongement peut se faire dans l'espace environnant, dans une chambre par exemple, aux murs, plafond et plancher, il s'agit alors du "circumsensus". L'intérêt de ces définitions réside dans la conceptualisation claire et logique d'états d'être complexes et difficiles à décrire. Elle se fait à partir du vécu, au niveau du corps qualitatif. Dans cette dimension, la délimitation est possible: l'haptothérapeute distingue l'insensus de l'assensus, le persensus du transsensus et peut le transmettre au patient.
Le "prolongement" s'oppose au "recentrement" en tant que mouvements somatologiques et met dans un état d'être différent. Par contre, il existe un dénominateur commun à ces deux mouvements autour de l'unité, de l'unification, de l'harmonisation du sujet: le corps est ouvert, sans blocage ni rigidité; les sensations et l'énergie circulent librement. On retrouve les effets de la méthode Alexander: "laissez votre cou se détendre, votre tête se dégager légèrement vers l'avant puis vers le haut afin d'élargir et d'allonger votre dos". L'accès au prolongement tout comme l'accès au recentrement constituent un moment fondamental analogue au "moment primaire", cathartique et thérapeutique. Veldman l'exprime en ajoutant qu'il y a désexualisation, disparition de toute possessivité. Comme dans le recentrement, l'unification élimine toute pensée compulsive, toute compulsion génitale. » (Meyer 1986 pp. 56-59).
Voilà cette technique du toucher haptonomique. Il faut savoir que Veldman ne décrit pas sa « botte secrète » dans ses textes, contrairement à Shapiro qui nous a livré un « manuel » extraordinairement opérationnel. Veldman oublie quasiment son « toucher » - que j’avais malencontreusement affublé de « somatologique » - pour ne théoriser qu’une « science de l’affectivité ». Mais, quant à nous, restons dans ce protocole de thérapie courte centrée sur le toucher du corps. Aussi pouvons-nous reprendre le schéma de la néo-catharsis en remplaçant les mots par ceux de Veldman.
Schéma 46 : l’haptothérapie
Pour Veldman, les trois fonctions somato- psycho- et socio- répondent de la façon suivante à son toucher :
- somato : le ressenti devient prolongement avec détente et bien-être,
- psycho : l’intuition est de confiance, même après l’agression initiale,
- socio : le sentiment relationnel est la « philia », terme que Veldman privilégie à présent pour définir la qualité du sentiment relationnel, non sexuel.
Puis s’installe un état d’être global qui n’est autre que « l’affectivité ». Nous devons nous demander quel est le statut de cet affectif éveillé par l’hapto-. Est-il de l’ordre des « qualités de vie » ou des « purs processus inconscients » tels qu’ils sont définis dans notre modèle ontologique ? Eh bien, puisqu’on est en thérapie courte, directive, centrée sur le symptôme, dans l’intersubjectivité, il ne s’agit que des qualités de vie, du bon, du vrai, de l’aimer, mais pas de l’ordre des essence de l’énergie, nature de l’esprit et intime du lien. Est-ce-que l’haptoanalyse –séquence d’une cinquantaine de séances – y accéderait ? C’est une question intéressante et délicate : accède-t-on aux purs processus inconscients quand on reste relativement directif ? En effet, en haptoanalyse on installe toujours encore le protocole de base, avec le toucher en prolongement auquel on « invite » l’analysant.
Ce qui nous intéresse plus directement ici est ce protocole qui va solliciter les trois dimensions de l’être et les connecter en… expérience plénière. Nous verrons plus loin que Veldman appelle ce moment de plénarité « still point ».
|