Introduction L’historique des principales psychopathologies nous conduit à la situation plutôt inattendue de l’athéorisme. Aujourd’hui, en ce début du XXIe siècle, on en sait moins qu’avant, moins que prévu. On ne sait même que décrire, inventorier, compter, avec statistiques. Le terrain est de nouveau quasiment vierge. Les psychiatres en leurs hôpitaux et les psychothérapeutes en leurs écoles se sont mutuellement neutralisés. Quant aux sciences, elles vont d’effet d’annonce en démenti, sur la question si subtile de la maladie mentale. Alors autant y aller de ses propres propositions et hypothèses, de ses théories personnelles et validations statistiques. La nature a horreur du vide ; elle nous arracherait presque ce qu’on ne veut pas encore transmettre officiellement ! Mais pas n’importe comment, malgré tout. Il y a des règles à la fois méthodologiques, épistémologiques et éthiques. Revoyons comment cela s’est passé pendant les 2500 ans évoqués ci-dessus. On peut en extraire les cinq paramètres qui participent à la naissance et au développement de la psychopatholologie :
Si les psychoses les plus graves restent relativement stables, de phrénitis en dégénérescence, de démence précoce en schizophrénie, les nouveaux états de maladie évoluent rapidement d’hystérie (janétienne et freudienne) en troubles de la personnalité et de neurasthénie en troubles alimentaires, par exemple. Il faut évidemment capter ces nouveaux lieux de souffrance, quitte à intercaler un état-limite entre psychose et névrose comme le fait Bergeret. De nouveaux lieux d’observation se constituent pour suivre ces transformations. Les hôpitaux se spécialisent en centres de crise, appartements thérapeutiques ou ferment même comme en Italie, laissant la place à des communautés autogérées (type synanon). Les nouvelles psychothérapies s’organisent en véritables laboratoires expérimentaux où se révèle du neuf. Ils s’enrichissent et s’affinent, permettant à la pathologie de se manifester sous de nouveaux aspects. Et nous n’évoquons même pas les apports des sciences médicales et neurosciences qui multiplient les découvertes, de l’inflammation des méninges invoquée autrefois jusqu’aux zones cérébrales dysfonctionnelles mises en avant aujourd’hui. Nous inspirant du travail d’Evelyne Pewzner, nous avons acquis ce regard qui associe intimement psychopathologie, société, culture et politique. Cela est toujours vrai avec ces nouveaux lieux expérimentaux évoqués ci-dessus, avec la dé-pathologisation d’un côté, de l’homosexualité et du transsexualisme par exemple mais aussi l’hyper-stigmatisation de l’autre, de la pédophilie récemment… L’ambiance sociale permet l’utilisation de nouveaux outils thérapeutiques en un va-et-vient permissif/restrictif, en particulier pour les outils corporels, relationnels ou spirituels, cautionnant ainsi les nouveaux « laboratoires expérimentaux ». Les nouvelles thérapies hospitalières ont permis de créer l’hôpital moderne avec son traitement « moral », puis « antipsychiatrique », jusqu’à cette « Teaching and Learning Community » qui évitent que la schizophrénie ne soit vouée à la chronicité et soit maintenue au stade de la psychose aiguë réversible, par exemple. Une biographie d’Henri Collomb vient enfin de paraître (Robert Arnault 2006). Il était directeur de l’hôpital psychiatrique de Fann au CHU de Dakar et instigateur de la fameuse « école de Dakar ». J’y étais allé pour faire mon internat de psychiatrie sous sa conduite. Reçu major de l’internat, je n’y serai resté que l’instant d’un stage. Mais cela lui a suffi, à Collomb, pour me transmettre cette réalité de la psychose aiguë qui reste de durée brève grâce à l’insertion sociale et qui passe à la chronicité dès que cette socialisation se perd. Mais c’est en permettant aux écoles psychothérapiques d’intégrer des processus de plus en plus complexes, subtils et/ou intenses, corporels, affectifs, conscientiels par exemple, que la société participe à l’approche des psychopathologies et à leur changement. La sexothérapie a déplacé le problème du pur sexuel à l’affectif et le viagra, de la puissance érectile à son utilisation dans le couple. La psychopathologie est donc tributaire de nombreux éléments et, last but not least, des théories médicales, psychologiques et humanistes. Nous n’avons pas beaucoup évoqué Freud dans ce tome II de la « Psych’ Inté », mais nous nous rappelons que sa métapsychologie a rapidement influencé la psychopathologie psychiatrique avec la phénoménologie de Binswanger et la schizophrénie de Bleuler entre autres. Mais les corpus théoriques qui ont (trop bien) réussi deviennent aussi des carcans qui empêchent d’accueillir les changements spontanés. C’est ainsi que les freudiens se sont opposés au pacs des homosexuels et à l’homoparentalité, promettant de nouvelles pathologies au cas où ! Si donc on veut y aller, de ses propositions et hypothèses propres, ça ne peut pas se faire n’importe comment et surtout pas par une simple rationalisation de ce qui marche ! Parler, ça guérit ; c’est donc la non-verbalisation qui fait maladie. L’absence de sexualité rend hystérique, professaient Hippocrate et Galien. Mais la présence de sexualité ne suffit pas à en être exempt. S’aventurer dans la complexité de la psychopathologie nécessite une méthodologie, une épistémologie et une éthique. Dans cette deuxième partie, nous voulons exposer nos fondements en ces domaines. Nous commencerons par décrire notre « laboratoire expérimental » sous sa forme la plus originale, à savoir la somatanalyse. Nous continuerons par présenter le développement du modèle théorique qui permet de décrypter les manifestations nouvelles de la maladie. Ces deux étapes englobent les cinq aspects esquissés ci-dessus et se basent sur de nombreux cas cliniques, garantissant ainsi les dimensions éthiques et humanistes. Ces cas cliniques nous permettent de mettre en évidence les « paramètres diagnostics » des maladies, à savoir ses éléments de base dont nous en retiendrons quatre :
Il s’agit de déconstruction des ensembles en leurs parties comme lorsque Bleuler parle des « troubles primaires » et de la « lutte du sujet contre l’envahissement psychotique », le sujet étant ici le schizophrène ; ou encore lorsqu’il oppose les symptômes primaires et les symptômes secondaires. Bergeret a lui aussi déconstruit les trois grandes familles de maladies selon la temporalité : psychose avant l’Œdipe, névrose après l’Œdipe, troubles borderline à cheval sur ce « bord » ou « limite ». Nous avions déjà déconstruit les méthodes thérapeutiques en leurs « facteurs organisateurs ». Nous pourrons situer des « paramètres diagnostics » en face et effectuer le couplage méthode-pathologie à ces deux niveaux élémentaires. Exemple : Cela semble bien compliqué ! Mais nous verrons que les cas cliniques présentés ci-après sont pleins de vie et de souffrance, sont abordés globalement et complètement (en psycho-, socio- et somato-), sont décrits avec émotion et respect même si le recul nécessaire à la science se fait parfois par l’humour et si la prise de distance peut sembler quelque peu cynique. Nous commencerons par une thèse de médecine qui regarde notre premier « laboratoire d’observation » de loin, à savoir la somatanalyse en individuel et en groupe surtout. Deux cas cliniques sont longuement interviewés, des cas graves, une hystérie quasi historique et une psychose schizo-affective. Une description d’un atelier de cette socio-somatanalyse complétera cette première approche par le vif tout en se prolongeant par une réflexion sur la catharsis. Intense en somatanalyse, la catharsis peut être douce mais c’est dans sa forme très spectaculaire qu’elle livre son secret, à savoir l’essentiel du processus thérapeutique/analytique. Puis nous retrouverons le modèle structuro-fonctionnel longuement exposé dans le tome I qui nous permettra de systématiser un troisième cas, celui de Marjolaine. L’inscription de cette histoire tragique avec ses souffrances et jouissances en schémas doit montrer tout le travail de réflexion qui préside à notre démarche d’intégration de la clinique et des psychopathologies. Après la démonstration de la force de la catharsis et après l’illustration de la justesse que donne l’approche structuro-fonctionnelle, nous verrons le rôle de la temporalité. L’analyse des étapes ontogénétiques d’Elisabeth nous persuadera que l’empilement des étapes dysfonctionnelles se fait dans un certain ordre, là encore. Lorsque deux étapes sont amalgamées, la suivante ne peut que se cliver. Ce chapitre permet d’asseoir la notion de paramètre diagnostic (P.D.), ici la temporalité, après que Marjolaine ait déjà dévoilé le paramètre structuro-fonctionnel. Ces P.D. sont encore quelque peu mystérieux mais c’est sur eux que doit déboucher notre démarche intégrative, puis sur le couplage F.O. – P.D. Un dernier chapitre un peu plus léger, plein d’humeur sinon de cynisme, nous présentera un autre paramètre diagnostic, celui des fonctions impactées par la souffrance. Il s’agit de rôles conjugaux déclinés selon les six fonctions de base du modèle structuro-fonctionnel : émotion, intuition, sensation, réflexion, action, communication. Mais qu’est ce que ça donne en amour ? Les passions fantasmatiques, émotionnelles et sensuelles ; un rationalisateur du couple et un entrepreneur du cocon conjugal. Mais laissons-nous d’abord gagner par l’émotion de ces histoires riches et tristes, intenses et douloureuses. Puis accueillons les inscriptions méthodologiques et épistémologiques. ça structure ce qui ne serait que pure fonctionnalité.
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