Chapitre 3 :Psychopathologies, Psychiatrie et Nouvelles Thérapies Les trois ouvrages auxquels nous nous sommes référés jusqu’à présent, ceux de Pewzner, Ellenberger et Ionescu, fixent une limite chronologique à leur plongée dans l’histoire. Sans définir de date précise, évaluons cette échéance à l’avènement des dites nouvelles thérapies, psycho-corporelles, humanistes, transpersonnelles… Or j’ai fait une présentation de ces Nouvelles Thérapies en 1985, en introduction à mon deuxième livre Portrait de groupe avec psychiatre, la psychiatrie et la psychanalyse à l’épreuve des nouvelles thérapies, qui est lui-même le compte-rendu d’un congrès tenu l’année précédente par l’Association des Jeunes Psychiatres (dont j’ai été l’instigateur et le premier président). Ce congrès a réuni de nombreux psychiatres européens engagés dans les thérapies humanistes et, ensemble, ils représentent l’essentiel de ce courant. Ils ont évoqué :
La psychiatrie ronronne doucement. La psychiatrie est contente d'elle-même. Elle a balayé l'antipsychiatrie et digéré la psychanalyse. Elle se retrouve en territoire connu, en terrain sûr avec l'exclusivité de la maladie mentale et l'espoir d'en trouver l'origine biologique et la réponse pharmacologique. En attendant, elle se contente de proposer l'enfermement. La psychiatrie est même dynamique et audacieuse, elle condamne courageusement les détournements de son art à des fins politiques, ceux du moins qui se pratiquent ailleurs. En 1983, deux grands rassemblements ont couronné ce retour au calme, l'un mondial, l'autre national. Au Congrès international de Vienne, on a assisté au triomphe de la biologie et de la pharmacologie et, dans l'antichambre même de Freud, on a proclamé la mise au pas sinon l'inutilité de la psychanalyse. La nouvelle nosographie du DSM III a réussi à éliminer les encombrantes névroses freudiennes. On s'est aussi réconcilié, sur le dos des... de ceux qui abusent de la psychiatrie. Heureusement que ce sont les autres, ceux de l'autre camp. En Avignon, les principaux syndicats psychiatriques français ont organisé les premières journées communautaires autour du thème : « Quelle psychiatrie pour demain ? ». On s'est chamaillé sur quelques points secondaires, sur la pléthore des psychiatres, sur la capacité du praticien isolé d'être chercheur, sur l'accaparement de la psychiatrie par les seuls psychiatres... Et puis, là encore, on s'est retrouvé aux dépens des ...Russes.
A Vienne comme en Avignon, la psychiatrie de demain, c'est celle d'aujourd'hui avec quelques médicaments de plus, une nosographie un peu plus affinée, une petite trace sanguine ou urinaire de la schizophrénie et son diagnostic enfin objectivé par résonance magnétique nucléaire. Il ne s'agit là qu'à peine d'une caricature. Car, en analysant plus finement la situation actuelle, on trouve un conservatisme foncier. En interrogeant les grands thèmes qui agitent le monde psychiatrique en 1984, on trouve les thèmes traditionnels, la nosographie, la pharmacologie et l'enfermement, toutes préoccupations bien anciennes et qui tournent autour du savoir et du pouvoir. Car le psychiatre est celui qui sait et qui peut quant à la maladie mentale, celui qui diagnostique et qui enferme. Et ce pouvoir, il faut le conserver, de même que le savoir qui garantit ce pouvoir. Il faut maintenir la psychiatrie dans la mouvance médicale. On s'agite autour de la nosographie, de cette belle machine à diagnostiquer et à différencier celui qui est fou – même s'il est seulement « troublé » selon le DSM III – de celui qui ne l'est pas. Les Américains nous défient avec cette troisième mouture du Diagnostic and statistical manual of mental disorders et les Français la traduisent en un temps record, ergotant tout autour, mais s'en servant déjà pour faire cours aux psychiatres en formation. L'ancien continent réplique, crée une Association Européenne de Psychiatrie pour défendre la tradition nosographique franco-germanique. Ça en soulève des passions de savoir quelle étiquette on va coller dessus. Mais on s'accorde sur la nécessité d'avoir ces étiquettes. Comment différencierait-on le psychiatre de son client autrement ? Dire que les psychanalystes n'arrivent pas à faire de statistiques sur les effets de leurs cures parce qu'ils ne peuvent même pas mettre de diagnostic commun sur les gens qu'ils prennent en traitement. La pharmacologie produit la même effervescence dans les rangs. On vient de découvrir un marché fantastique pour le médicament, à savoir la dépression. Pensez donc : cinq à dix pour cent de la population seraient plus ou moins dépressifs, de trois à six millions de Français, quelle aubaine ! II suffirait de lancer l'idée que la dépression, ça se soigne aux médicaments. Evidemment, on disait jusqu'à présent que la dépression, c'est réactionnel et existentiel à 95 %, que seule la mélancolie justifie les antidépresseurs. Mais voici que ce merveilleux DSM III vient éliminer la distinction entre dépression névrotique et mélancolie ; alors, dans le doute, autant médiquer tout le monde ! Et nos grands patrons de CHU emboîtent docilement le pas en cautionnant les innombrables petites revues sur la dépression qui se multiplient et dont nous inondent les laboratoires pharmaceutiques. Mais le médicament, c'est le moyen de notre pouvoir et ça nous est exclusivement réservé, à nous autres médecins. Et s'il n'agit pas, le médicament, il y a toujours l'enfermement. Evidemment, là, on n'est plus tellement fier, ce n'est pas aussi scientifique ni moderne. C'est même parfois carrément vétuste. Alors on ferme. En Italie, on a fermé tout. Et puis on rouvre à nouveau. En 1984, on fait marche arrière. La psychiatrie ne peut pas vivre sans enfermement. En France, on le sait, on est prudent, on se contente d'une sectorisation progressive et l'on s'arrange du fait que l'administration aurait plutôt tendance à freiner le mouvement car la sectorisation c'est aussi le pouvoir de pénétrer la famille, le quartier, l'environnement, c'est le risque de psychiatriser l'îlot. Evidemment, ça bouge aussi en psychiatrie, mais c'est pour rattraper les progrès inévitables et les réinscrire dans le statu quo, dans la position de savoir et de pouvoir du psychiatre. En ce sens, il y a conservatisme malgré quelques avancées, malgré les slogans du genre : « quelle psychiatrie pour demain ?
Pourtant la situation n'est pas si rose, malgré tout. Même dans son territoire, même sur ce terrain sûr dont la corporation a l'exclusivité, il y a matière à inquiétude. Pendant qu'elle ronronne, la psychiatrie se lézarde. La nosographie en prend plutôt un coup dans le DSM III. Les belles certitudes s'effritent, les grandes entités tombent en miettes. On n'ose plus trop parler de maladie ou de folie, on se rabat sur les concepts plus flous de trouble, de symptôme et d'accumulation de symptômes. On ne sait plus si les perversions sont pathologiques ou si le transsexualisme est délirant. Comme il faut quand même étiqueter, on propose une description multiaxiale et on exige un nombre de symptômes minimum : « Au delà de quatre items, monsieur, vous êtes bon ! ». Le psychiatre devient comptable et s'apprête à s'effacer derrière l'ordinateur après avoir cédé aux chimistes. Pourtant avec ces derniers il a du recul. Il constate de plus en plus que le médicament ne répond pas aux enthousiasmes d'il y a peu. Le neuroleptique ne guérit pas. Il atténue les phases les plus aiguës et évite les troubles sociaux les plus criants. Il avachit plutôt et aggrave l'aspect déficitaire du schizophrène. Le psychiatre le sait, il commence même à le dire et s'apprête à prescrire moins. En pratique de ville, le psychiatre change même radicalement de rôle. Il ne prescrit plus mais se charge du sevrage des traitements entrepris ailleurs et prolongés abusivement. On ne vient plus lui demander des tranquillisants ou des somnifères, on le supplie d'arrêter l'assuétude à ces drogues. Les laboratoires pharmaceutiques le savent, qui ne lancent plus leurs psychotropes auprès des psychiatres mais parmi les généralistes. Ceux-là ne sont pas encore au parfum. La sectorisation déçoit elle aussi. Il manque de l'argent, il manque tout autant de volonté et d'enthousiasme chez les médecins concernés. Ici, il ne suffit pas de troquer un médicament contre un autre, ou une étiquette contre une autre, il faut payer de sa personne et sortir de sa douce quiétude. Car tout changement profond en psychiatrie est affaire de personne plus que de matériel ou de concept. Mais, à la limite, ce conservatisme là n'est pas encore trop grave pour la profession puisque le domaine de l'aliénation mentale lui reste réservé corporativement et légalement. Même si des outsiders viennent rivaliser, comme Bettelheim pour les schizophrènes ou Tinbergen pour les autistes, ces intrusions ne restent que limitées. La psychiatrie classique est bien dévolue aux psychiatres. En fait, on en reste là à une psychiatrie parfaitement objective qui s'accroche au modèle médical parce qu'il sert de modèle précisément, de modèle scientifique, du meilleur modèle qui soit actuellement, de celui qui attire le plus de crédits et de dons. La science, c'est le mythe moderne ; c'est elle qui explique le monde et vaincra la mort. La science, ça se fait avec des machines et des théories, dans des laboratoires. Le scientifique, c'est le Prométhée moderne. De plus, son objet d'étude est objet précisément et non sujet ; c'est plus simple à manier et à manipuler, ça n'implique pas, ça n'émotionne pas. Le fou ne peut même plus s'épancher sur sa petite névrose, il devient « n°309.81 trouble état de stress post-traumatique, forme chronique ou différée » ou encore « n° 300.02 trouble anxiété généralisée », selon le DSM III. Le conservatisme de la psychiatrie se manifeste là, fondamentalement, dans sa volonté de rester une science médicale comme les autres avec diagnostic, étiologie, pronostic et traitement. Le conservatisme du psychiatre s'exerce là, pernicieusement, dans sa volonté de préserver la position de savoir et de pouvoir qui est dévolue au médecin dit scientifique.
Mais la psychiatrie, ce n'est pas seulement ça. Elle occupe une place à part dans le monde médical : la maladie mentale n'est pas une maladie comme les autres et le fou n'est pas non plus un patient comme les autres. Cela, on le sait, c'est entendu. Il se crée régulièrement des mouvements pour le revendiquer. La psychanalyse en a été un, l'antipsychiatrie un autre, les nouvelles thérapies le font actuellement. Or la situation est de nouveau urgente, de nos jours, parce qu'il se développe de plus en plus de domaines-limites qui devraient échoir à la psychiatrie et qui lui échappent en fait. Il est courant de reconnaître la perte du vaste champ de l'alcoolisme et du champ tout neuf de la toxicomanie. On se demandera si ces troubles spécifiques ressortent de la psychiatrie ou non. Mais, à mon sens, la question elle-même ne peut se poser que parce que la psychiatrie s'est d'abord montrée incapable de s'adapter à ces nouveaux problèmes, parce qu'elle s'est recroquevillée sur le noyau dur de la maladie mentale prise dans son sens médical strict. Il est clair qu'une classique hospitalisation en asile ne sied ni à l'alcoolique ni au drogué et que d'autres structures d'accueil s'en occupent mieux. Mais ce n'est que parce que ces structures alternatives ont su offrir un accueil différent. Et quand les psychiatres s'en mêlent néanmoins, c'est avec des pratiques absolument différentes comme ces séances psychothérapiques marathon qu'Olivenstein fait durer pendant des heures avec certains drogués. Du reste, l'alcoolique et le drogué ont beaucoup apporté aux thérapeutes qui les accueillent, dans la direction des nouvelles thérapies notamment. Rappelons que c'est la communauté d'anciens drogués de Synanon qui a inspiré la thérapie émotionnelle de Daniel Casriel que Walter Lechler et moi-même reconnaissons comme l'un de nos maîtres. Il existe d'autres domaines-limites plus récents, moins évidents que l'alcool et la drogue mais non moins importants comme les problèmes sexuels, les troubles du sommeil et la douleur. Tous ces champs sont entrepris d'abord par des non psychiatres même si, par après, on intègre le psychiatre dans l'équipe constituée. Assez rapidement et très souvent, on en arrive à la constatation fondamentale que le trouble privilégié n'est qu'un symptôme d'appel, que le sommet émergé de l'iceberg. Mais on développe néanmoins dans ces nouvelles équipes une ouverture, une créativité et une pluridisciplinarité qui enrichissent la question et apportent des réponses mieux adaptées même si elles doivent être psychiatriques. Le progrès se fait là parce que le conservatisme corporatif n'y exerce pas sa pesanteur. Il faut ajouter le vaste champ des troubles relationnels qui ne sont plus ramenés à leur dimension intrapersonnelle mais sont abordés dans leur réalité interpersonnelle. Le problème sexuel par exemple n'est plus constamment attribué à l'un seul des partenaires mais se conçoit comme problème de communication entre les deux partenaires. Or, actuellement, la thérapie de couple échoit au conseiller conjugal, tout comme la dynamique de groupe, au psychosociologue. C'est un anthropologue, Gregory Bateson, qui jette les bases de la thérapie familiale et un psychologue, Kurt Lewin, qui esquisse la thérapie de groupe.
S'il ne s'agissait que de reconnaître que d'autres se débrouillent mieux avec ces nouveaux problèmes, il n'y aurait qu'à se résigner, qu'à passer la main et se replier sur notre chasse gardée. Mais ces observations nous mènent bien plus loin, en fait ; elles nous obligent à élargir le débat et à constater une transformation de la psychopathologie elle-même. En effet, il ne s'agit plus seulement de domaines-limites et limités mais du cœur même de la psychiatrie. Car la maladie mentale n'est pas conservatrice, elle ; elle évolue avec la société, avec les mœurs et les façons de vivre. La grande hystérie de Charcot n'existe plus. La belle névrose de Freud se fait rare et les catatonies sont passées de mode. Il y aura bientôt du chômage parmi les psychiatres purs et durs. Il est banal de relever que notre société change. Les médias se chargent de nous en informer, soulignant la nouveauté et l'amplifiant. Ce qui reste plus discret, c'est le changement concomitant de la psychopathologie et sa corrélation avec les faits de société. Cette étude reste à faire, en grand et de façon pluridisciplinaire. Voilà du travail pour les psychiatres chômeurs ! Ici, il ne s'agit que de souligner cette réalité et d'en esquisser les grandes lignes. La société change, les mœurs se transforment, c'est banal disions-nous. On peut néanmoins regrouper la multitude des faits sous quatre rubriques plus spécialement responsables des faits psychopathologiques nouveaux :
Ces facteurs provoquent très logiquement des modifications des structures caractérielles et des modes de décompensation tout en multipliant les occasions de ces dernières. Cette nouvelle pathologie peut, elle aussi, se résumer sous quatre grandes rubriques : Cette dernière perspective, celle du plaisir, pourrait résumer et symboliser ce nouvel état et ce n'est pas par hasard si Roger Gentis y a insisté dans les « Leçons du corps ». Le plaisir devient symptôme autant sinon plus que la souffrance, le plaisir avec sa problématique d'intégration, ses limites et son absence. On ne se plaint plus des symptômes mais d'ennui, on ne souffre plus de maladie mais de manque de satisfaction. Le plaisir devient un droit, une revendication et une quête analogue à celle du Graal. Son absence déprime, rend violent, pousse à l'alcool, aux drogues, à la promiscuité sexuelle, au mariage précipité et à la maternité compensatrice. Le psychiatre lui-même se laisse prendre à cette évolution, comme on pourra l'entendre dans le témoignage d'André Moreau qui cherche la forme de thérapie dont la pratique lui apportera le plus de satisfaction. Cette exigence se généralise puisque le travail perd peu à peu son aspect de malédiction pour devenir moyen d'épanouissement. Evidemment, le plaisir n'est pas à prendre dans le sens simpliste qu'affectionnent les polémistes pour mieux le discréditer. Le plaisir ne doit pas être opposé à la réalité comme le fait Freud mais conçu comme cette qualité que peut prendre toute réalité, fût-ce au prix de l'ascèse et de la discipline comme le prônait Epicure. On arrive alors à rejoindre la définition moderne de la santé qui n'est pas seulement absence de maladie mais état de bien-être. Et c'est l'absence de ce bien-être qui devient maladie et qui concerne le psychiatre.
On rencontre ainsi de nouveaux patients qui ne sont pas à enfermer, qui n'exigent pas de médication, mais relèvent d'une psychothérapie. Ces patients fréquentent les cabinets de ville en consultation ambulatoire et s'il y a un psychiatre à leur disposition, ils choisissent le psychiatre. S'il n'y en a pas, ils vont ailleurs, chez le thérapeute « nouveau », humaniste, si ce n'est chez l'astrologue. Car, ici, s'amorcent ces thérapies dites nouvelles qui nous intéressent aujourd'hui. Elles aussi dérivent de ce nouveau cours de la société occidentale comme en dérivent les pathologies évoquées. Elles s'adressent à cette maladie nouvelle comme à sa meilleure indication. A cause des clivages et des dissociations, à cause des assuétudes toutes corporelles et de la propension à la mise en acte, on pense thérapie intensive, corporelle, groupale. Le psychanalyste classique avoue ici ses limites et un homme aussi prudent que Didier Anzieu, tout en essayant de fonder théoriquement l'interdit du toucher, reconnaît que pour certaines catégories de sujets le toucher serait bénéfique. Ici s'annoncent effectivement et pleinement les nouvelles thérapies. Elles sont l'effet du changement de société tout comme la nouvelle pathologie. La libéralisation des mœurs permet aux thérapeutes aussi de libérer le geste, l'interprétation, le setting et les modes d'expression. Le corps peut s'exprimer dans toute l'amplitude du mouvement, dans toute l'intensité de la voix et toute l'étendue du contact. Il peut se laisser aller au maximum d'émotion et arriver à une intensité qui égale la rigidité des clivages et la solidité des dissociations. Il peut s'abandonner aux sensations et sensualités qui ont à voir avec cette qualité de vie qui se cherche. Il entre dans une nouvelle dimension de rencontre et de relation qui met en scène le besoin de communication actuel. Les nouvelles thérapies sont d'actualité et correspondent à la nouvelle pathologie tout simplement parce qu'elles sortent du même moule culturel. Mais que sont-elles ces thérapies dites nouvelles ? Le terme est vague et la réalité non moins. Il ne suffit pas de dire « nouveau » pour que la chose soit caractérisée. Dans un article intitulé Sociologie des nouvelles thérapies (Meyer ?), j’essaye de préciser cette réalité. On y verra que le contenu reste trop vaste mais qu'il se dégage néanmoins un noyau plus précis qui définit quelque chose de neuf, de cohérent, de représentatif et qui tourne autour des quatre caractéristiques suivantes : Cette définition correspond aux thérapies que représentent les principaux orateurs de ces rencontres : Gentis avec la bioénergie et l'haptothérapie, Lechler avec la thérapie émotionnelle de Casriel transformée par lui en Teaching-and-Learning-Community, Moreau avec la Gestalt thérapie ; moi-même avec la somatanalyse. Les Nouvelles Thérapies, c'est Reich, Lowen, Perls, Janov, Casriel, Berne, Orr... du moins pour ce noyau caractéristique que nous proposons et représentons ici. Mais elles sont tout autant Ferenczi, Balint et Winnicott. Evidemment, nous avons tendance à privilégier ici les psychiatres et les psychanalystes que la profession reconnaît comme siens. Mais les Nouvelles Thérapies, c'est aussi un courant tout à fait autonome qui ne se confond pas avec la psychiatrie et qui aurait même tendance à s'en méfier.
Effectivement, si l'on envisage l'évolution actuelle du courant « humaniste », on doit reconnaître que la thérapie l'intéresse de moins en moins, alors qu'elle s'y était spécialisée au départ. Il y a dix ans, tout le monde en était au travail intensif avec positions de stress bioénergétiques, cri primal, interpellations percutantes et volonté pesante de promouvoir du changement. Actuellement, on en est plutôt aux méthodes douces, aux massages, aux méditations. C'est comme si les thérapeutes avaient achevé leur période pure et dure personnelle et que ça ne les intéressait plus de travailler dans l'intensité. Et puis la mode tourne, le marché s'oriente différemment et les animateurs suivent. Le courant humaniste se reconvertit : dans la pédagogie et la formation avec l'analyse transactionnelle par exemple qui se propose aux institutions et aux entreprises plus qu'aux patients ; dans la dimension « transpersonnelle » qui retrouve les spiritualités et sagesses traditionnelles ; dans l'élaboration de modes de vie plus qualitatifs, écologiques, pacifistes tels qu'on les prône dans les revues féminines ou les médecines douces. On sent là un cheminement très rapide et très polymorphe qui pose problème : le thérapeute qui évolue aussi rapidement lui-même peut-il entraîner ses patients au gré de son propre cheminement, de méthode en méthode, de mode de vie en sagesse, jusqu'à leur proposer d'être disciples de sa communauté méditative ainsi que le fait une thérapeute bien connue transformée en Swami ? Dans le compte rendu que j'avais fait pour la revue Psychiatrie Française sur le sixième Congrès Européen de Psychologie Humaniste, je soulignais les risques de cette fuite en avant qui semble devoir masquer et faire oublier la pauvreté théorique et la légèreté de certaines pratiques. Car là se manifeste une autre caractéristique du mouvement humaniste, dans la pauvreté de l'élaboration théorique. Le matériel d'observation est d'une richesse extrême, le vécu émotionnel retourne les cœurs mais trop de textes se contentent de ce matériel brut qui a pour but d'émouvoir le lecteur. Lorsqu'une première élaboration se dessine, elle en reste trop facilement à la justification de la pratique, à la rationnalisation de cette pratique et, comme la thérapie fonctionne surtout au paradoxe, elle ne fait pas la différence entre ce qui fait marcher la thérapie et ce qui peut devenir un nouveau savoir. Roger Gentis a beau jeu de reprocher ces insuffisances criantes, réelles, que ne masquent plus les fuites en avant dans l'oriental ou le transpersonnel. Aussi, même si les Nouvelles Thérapies collent à l'actualité et suivent la nouvelle pathologie à la trace, pour la psychiatrie, ce n'est qu'une raison supplémentaire de s'en méfier. L'évolutivité du courant humaniste contraste absolument avec le conservatisme des psychiatres et, comme dans une fratrie, l'excès de l'un ne fait qu'alimenter l'excès de l'autre, la différenciation dans un sens pousse dans l'autre sens, pourvu qu'on soit bien différent et qu'il n'y ait aucun risque de confusion.
Pourtant, on pourrait croire que certaines thérapies s'introduisent calmement dans la pratique courante. Dans la clinique psychosomatique de Walter Lechler, on s'inscrit sur une liste d'attente pour pouvoir aller crier. Dans le service de Roger Gentis, pratiquement tous les patients bénéficient d'une prise en charge corporelle, bioénergétique ou haptothérapique. Et chez Moreau ou moi-même, rien n'empêche de proposer à un patient le Gestalt-kibboutz ou la somatanalyse. On pourrait en conclure à une pénétration progressive des nouvelles thérapies, à une évolution graduée. Malheureusement, ce n'est vrai que ponctuellement. Les situations heureuses décrites ci-dessus restent trop exceptionnelles et, surtout, le client qui s'y engage se sent encore marginalisé et rejeté. S'il fait une thérapie classique parallèlement, il doit affronter la désapprobation de ce thérapeute. S'il s'adresse aux autorités en place, on lui répond : « Vous savez, c'est assez farfelu » comme l'a fait mon ancien patron à l'un de ses patients qui lui demandait une adresse. En effet, jusqu'à présent, la psychiatrie officielle se montre particulièrement fermée aux nouvelles thérapies parce qu'elles sortent du domaine purement médical et s'élargissent à toutes les préoccupations existentielles. Mais plus encore que les autres psychothérapies, elles arrachent le thérapeute à son socle de savoir et de pouvoir et l'obligent à une implication bien inconfortable. On pourrait même dire qu'au moment où ces nouvelles pratiques se font néanmoins connaître et se développent imperceptiblement, l'opposition se braque jusqu'au rejet et à la rupture. Cette exacerbation s'illustre à merveille par l'épisode fondateur de l'AJP, de cette Association des Jeunes Psychiatres qui organise ces Quatrièmes Rencontres autour de la pomme de discorde même qui a provoqué sa création. En effet, c'est au moment où l'un de nous proposait à son syndicat professionnel, l'un des plus importants en France, un programme de formation à ces pratiques nouvelles que lui fut répondu : « Dans dix ans, quand ce sera au point ». Le choc fut rude mais il produisit l'étincelle nécessaire pour réagir, à savoir réunir ceux qui seraient encore assez jeunes et assez dynamiques pour ne pas attendre dix ans... Mais que signifie ce : « Dans dix ans, quand ce sera au point » ? Exactement ceci, qu'il faut d'abord faire de ces pratiques des techniques bien codifiées qu'on peut inclure dans l'arsenal du pouvoir et dont on peut revendiquer l'exclusivité médicale. Exactement ceci encore, qu'il faut passer des intuitions premières à un savoir théorique figé dans des traités et transmissible dans des cours magistraux. A ce moment, on aura reconstitué le statu quo ante, à savoir la position dominante du spécialiste, la situation de pouvoir et de savoir qui ne saurait évidemment pas se compromettre dans une implication quelconque. Mais les Nouvelles Thérapies se fondent précisément sur l'implication, et le conservatisme psychiatrique fuit cette implication comme la peste. S'il y a rejet d'un côté, il ne peut y avoir que rupture de l'autre. Si les corps constitués ne veulent pas évoluer, il se crée une Association de Jeunes Psychiatres pour les contourner. Car les nouvelles thérapies doivent s'inscrire au cœur même de la psychiatrie, elles doivent en devenir une partie constituante et même renouveler la pratique de la thérapie et la réflexion sur elle. Certes, l'Association des Jeunes Psychiatres n'est pas organiquement liée à cette forme de pratique. Il se présente seulement qu'elle y trouve présentement un thème qui correspond à ses objectifs et à ses capacités. En effet, l'implication s'inscrit au cœur de son programme. La pluridisciplinarité constitue sa spécificité et le plateau des orateurs et intervenants l'illustre suffisamment. Enfin, l'innovation l'interpelle fondamentalement, en réaction à l'immobilisme professionnel ambiant. Aussi le thème des rencontres ne vient-il évidemment pas au hasard. Mais comment changer la psychiatrie ? Comment faire bouger cette institution pesante, ces professionnels sûrs et contents d'eux-mêmes, cette théorisation pour laquelle on ne tolère que d'aimables variations de DSM en DSM ? Sûrement pas en polémiquant, ça les braquerait encore plus. Sûrement pas en rejetant, ça élargirait encore le fossé. De toute façon, la thérapie ne supporte pas la bagarre, sinon elle n'est plus une thérapie, elle s'armerait d'une cuirasse et refoulerait ses meilleurs sentiments : ce serait un comble ! Non. Il suffit de proposer, d'exposer, de parler, d'écrire et de montrer : on fait quelque chose d'autre quelque chose de neuf ; c'est positif et constructif ; ça marche et ça s'explique. La revue de l'AJP s'intitule Psyché-Soma-Socius avec, en sous-titre, Le champ (gement) psychiatrique. Comme l'éditorial du premier numéro le souligne, il suffit de s'élargir à « tout le champ psychiatrique », à savoir aux dimensions psychiques, sociales et somatiques pour que le « changement » s'y opère de par la seule ouverture de ce champ. Nous en avons la démonstration, ici, avec les Nouvelles Thérapies. Il a suffi de proposer le thème pour que les orateurs et intervenants arrivent, représentant et couvrant tout le champ psychiatrique. Il y a des psychiatres hospitaliers et libéraux, et, parmi les premiers, des publics (Gentis, Bour, Bourg) et un privé (Lechler). Leurs implications dans les Nouvelles Thérapies sont diverses, d'intérêt seulement comme chez Dufay et Bourg, totale comme chez Meyer, Moreau, Lechler et Gentis, intermédiaire avec Bour et Durand de Bousingen. Enfin les spécialisations varient tout autant, les investissements privilégiés faudrait-il dire plus justement ! Les uns privilégient la psychanalyse comme Durand de Bousingen et Gentis, les autres en sont entièrement aux Nouvelles Thérapies comme Moreau et Lechler ; j'essaye quant à moi d'équilibrer les deux ; Bourg investit l'analyse existentielle, Bour le psychodrame.
Roger Gentis connaît l'institution psychiatrique sur le bout des doigts. Il a vécu ses principales transformations comme acteur privilégié : l'introduction des neuroleptiques, le développement de la psychothérapie institutionnelle et de la sectorisation, la lente pénétration de la psychanalyse et le soubresaut de l'antipsychiatrie. Il n'a surtout pas raté l'arrivée des Nouvelles Thérapies et, même s'il ne les pratique plus énormément lui-même, il les organise dans son service hospitalier et y réfléchit. Avec ses Leçons du corps, il lance un gros pavé dans la marre et secoue tout le monde, et les nouveaux thérapeutes qui négligent la réflexion théorique et les psychiatres qui ratent le coche. Enfin Gentis n'oublie jamais les dimensions idéologiques et politiques auxquelles se situent nécessairement les faits de la psychiatrie et de la psychothérapie. Il ajoute : « Il faut se méfier de ceux qui ramènent ces changements à un facteur simple... de ceux qui diraient aujourd'hui que ce sont les nouvelles thérapies qui vont tout changer... » (Gentis 1985). L'état des lieux, c'est la nouvelle donne qu'introduisent le chômage, la loi sur les handicapés, l'explosion de la démographie médicale, l'analyse didactique des psychiatres, la sectorisation. L'état des lieux, c'est l'omniprésence de la psychanalyse en France grâce à Lacan, c'est aussi Ferenczi, ce méconnu qui a préfiguré les nouvelles thérapies il y a cinquante ans déjà. Mais Gentis témoigne surtout de son cursus personnel, de son cheminement quasi exemplaire à travers les thérapies : psychiatrie, psychanalyse bien sûr, puis groupe analytique et expression corporelle ; là surgissent des problèmes que le travail émotionnel résout merveilleusement ; enfin intégration sans difficulté de la pensée psychanalytique et des nouvelles pratiques. Cet éventail de techniques et concepts permet enfin à ce médecin-chef hospitalier de proposer une thérapie à tous ses patients, groupale ou individuelle, intensive ou douce, à expression émotionnelle ou toucher haptonomique et enveloppement humide. Pour ceux qui connaissent l'hôpital psychiatrique, cette réalisation est remarquable et constitue effectivement une révolution. « Ne s'en trouvent exclus par principe aucun psychotique, aucun déprimé rebelle à la chimiothérapie, aucun névrosé, aucun alcoolique ou toxicomane quelle que soit la gravité de ses problèmes. Ceci ne veut pas dire évidemment que nous guérissons tout le monde... Nous ne considérons personne a priori comme relevant d'une contre-indication d'une psychothérapie » (Gentis 1985). Et ceci, grâce à l'apport des Nouvelles Thérapies venant compléter toutes les autres, plus traditionnelles. Gentis pose la vraie et seule question importante : « Comment ça marche, comment ça guérit ? ». Au départ, il souligne et dénonce l'idéologie que véhiculent les pratiques thérapeutiques (les « nouvelles » surtout, mais aussi les « anciennes, psychanalyse y compris, ce qui nous permet de ne pas trop nous formaliser des critiques parfois féroces et cavalières pour ne retenir que leur utilité dans la démonstration). Thérapeutes et clients sont des « croyants » qui « partagent une philosophie de la vie et de l'existence », parfois même une visée politique. L'illustration de ce point de vue est aisée avec les exemples choisis : l'église de Scientologie, l'AAO et le cri primal. Affinant son analyse, Gentis distingue deux idéologies plus précises : l'une néo-reichienne qui prône une « conception naturante de l'être humain », l'autre gestaltiste introduisant les « valeurs pragmatiques de la classe dominante de notre société ». C'est là que se situe le paradoxe de l'idéologie que Gentis débusque avec pertinence et clarté : on veut magnifier l'homme naturel non traumatisé par la société, on veut promouvoir l'individu qui choisit lui-même entre la voie de la névrose et la santé. On rejette la dimension sociale et symbolique et pourtant, avec ces idéologies, on tombe dans le mythe, dans l'explication de la vie et du monde, dans ce champ même de l'inscription symbolique qu'on veut fuir. L'arroseur est arrosé. Gentis y décèle la courte vue des thérapeutes ; on peut quand même supposer que certains d'entre eux sont conscients du paradoxe et s'en servent parfaitement. Tout en s'y opposant, apparemment du moins, les néo-reichiens et les gestaltistes en arrivent à « s'inscrire dans l'ordre de l'univers et dans le mouvement historique de la société ». Bien plus ils se chargent de « l'assignation au sujet d'une origine », ils endossent cette autre fonction mythique que la société moderne néglige. Et là surgit un nouveau reproche, un regret même. En effet, en colmatant ce vide, les thérapeutes en restent dans l'au-delà de l'apparition de la subjectivité, dans le stade du langage, dans la différenciation d'avec l'objet. Ils répondent aux exigences de l'idéologie individualiste du monde occidental. Mais, en même temps, ils passent à côté de la plus belle chance qu'offrent les nouvelles thérapies, de passer en deçà de cette limite, de se retrouver dans « l'avant le sujet », dans le « défaut fondamental », dans « l'existence infinitive », du côté de la psychose ! « Les thérapies dites émotionnelles – qui sont à cet égard les héritières de ce que Ferenczi appelait « l'analyse en état de transe » – offrent une possibilité d'accès à l'existence psychotique ». Gentis nous parle de sa propre expérience de tels moments psychotiques et il propose carrément une « psychose didactique » qui se ferait grâce à ces thérapies émotionnelles et qui permettrait aux thérapeutes de patients psychotiques d'en ressentir un peu plus le processus. Et voici que le long réquisitoire de Gentis se termine et devient plaidoyer : « Pour en arriver là, il faut faire sauter un verrou théorique : se débarrasser de toute l'idéologie du sujet ». Or cette idéologie du sujet n'est pas seulement psychothérapique mais plus profondément psychiatrique. Ainsi nous trouvons-nous en plein dans l'institution psychiatrique, dans son histoire et ses certitudes. Gentis nous y situe très précisément ; il nous indique aussi comment les Nouvelles Thérapies nous offrent la chance de la dépasser, de la faire changer... du côté de la psychose. Mais à ce prix là, on peut hésiter, décliner l'offre et même rejeter à bon droit ! En attendant, nous découvrons enfin le vrai message de Roger Gentis qui manifeste une attente énorme de ces thérapies au-delà d'une critique apparente et féroce. Ceux qui, comme Maud Mannoni, voyaient « Roger Gentis contre les Nouvelles Thérapies » se sont carrément trompés.
Avec Christian Bourg, nous restons avec ces hospitaliers si proches de l'institution, tellement imprégnés par elle. Bourg est également médecin-chef de secteur, frais émoulu. Il est philosophe, ce qui est rare chez les psychiatres et pratique l'analyse existentielle de Binswanger. Il s'intéresse aux Nouvelles Thérapies sans les pratiquer et nous offre ici une réflexion théorique sur Le contexte anthropologique et social des nouvelles thérapies. Il nous ramène aux sources institutionnelles lointaines, jusqu'à Pinel et Esquirol, mais nous propose aussi un cadre de compréhension et d'accueil très riche avec l'attitude existentialiste. Bourg nous propose d'interroger les différentes « lectures de la folie » puisqu'elles sont autant des thérapies que des indices. En effet, « les lectures de la folie » sont des thérapies parce que la thérapie est avant tout l'acte de lire comme partage et épiphanie d'autrui ». D'autre part, cette même lecture fonctionne comme « révélateur anthropologique central », nous amenant finalement à tirer de la lecture qu'en font les Nouvelles Thérapies « de quel type de rapports entre les hommes, elles sont le symptôme » (Bourg 1985). A cet effet, Bourg nous ramène à la naissance de la conception moderne de la folie, au début du XIXe siècle, avec Pinel et Esquirol. Nous y assistons à l'avènement du sujet, du fou comme sujet, tout aussitôt voué au traitement individuel, à l'immixtion dans son intériorité subjective. Le traitement « moral » de Pinel ne fait que préfigurer la cure psychanalytique. La reconnaissance et l'appropriation de soi, tant pour le « fou » que pour l'homme réputé « sain », ne sont que le tremplin de la dépossession de soi dans l'Autre. Plus proche et pragmatique apparaît l'analyse existentielle que Bourg privilégie et qui préfigure bien des nouvelles thérapies ; elle leur propose une formulation claire et cohérente de l'attitude thérapeutique que ne renieront ni Moreau, ni Bour, ni Lechler, à en croire leurs propres textes. Soulignons cette attitude existentielle si peu connue : « La lecture binswangerienne n'apparaît plus comme un déchiffrage allant... vers de "l'expliquer" mais bien plutôt comme production de textes... selon l'art particulier du "laisser venir au mot"... La relation psychothérapique est avant tout rencontre, regard, parole, espace où s'articulent cependant les deux mondes irréductibles de Buber, le Je-cela comme monde des choses et le Je-Tu comme monde de la relation... "L'être psychiatre" dépasse "l'être docteur" puisqu'il ne s'agit ici essentiellement non pas seulement d'une prise de position du "docteur" vis-à-vis de son sujet scientifique, mais de sa relation avec autrui, "fondée" de la même manière sur le "souci" et "l'amour" ». On ne peut en conséquence absolument pas séparer l'existence et la profession. La cure psychothérapique s'adresse au patient "sur le plan de la présence humaine, comme partenaire" selon "un contact communicatif et une influence réciproque ininterrompus" pour être "avec lui dans une certaine ouverture". Le transfert est compris comme "Tragung", néologisme traduit par portage pour développer la métaphore de l'alpiniste. Le symptôme est donc un fait de communication qui doit être reçu dans l'espace d'une rencontre "sur l'abîme de l'être-présent" selon l'expression de Buber » (Bourg 1985, passion). Avec une telle attitude, il n'est pas difficile à Bourg de reconnaître que les Nouvelles Thérapies peuvent « privilégier cette notion d'implication qui va jusqu'à engager le corps ». Certes, l'existentialisme est reconnu comme l'un des précurseurs des Nouvelles Thérapies, Binswanger plus particulièrement encore. Mais de là à remonter à Pinel et Esquirol ! C'est pourtant ce que nous propose notre appartenance à cette institution psychiatrique qui nous donne des racines, du recul, de la suite dans les idées et un esprit de corps tout à fait salutaires. C'est pourquoi le dépit est grand d'y être tenu en suspicion. A nous d'y entrer en force, au cœur même, sans perdre notre nouveauté ni notre identité.
Le mot qui désigne l'attitude du thérapeute dans les Nouvelles Thérapies est « implication ». Il apparaît en filigrane chez Bourg, il tombera clair et fort chez Moreau, Bour et Lechler. Or l'implication est l'un des leitmotiv de l'Association des Jeunes Psychiatres, le plus important. Il s'insurge contre le retrait, la rigidité et l'abstention du psychiatre qui se fige dans son rôle de « médecin » et se réfugie dans une mauvaise compréhension de la « neutralité » psychanalytique. L'implication était au centre des Premières Rencontres de l'AJP et a donné lieu à la définition suivante : « Présence au processus thérapeutique en tant que système relationnel original et unique, structurée de façon stable et souple par les référents sociaux, personnels et théoriques, mais non figée par ces mêmes référents devenus trop rigides . A partir de cette constatation, se dégagent les principes suivants : 1) L'implication doit se concevoir comme l'attitude de base du psychiatre puisqu'elle seule permet de faire de la relation thérapeutique un système singulier et original évoluant de façon singulière et créative. 2) Le psychiatre doit être libre de toute contrainte externe, sociale et/ou théorique, qui empêcherait le processus relationnel et thérapeutique d'évoluer de façon autonome. A ce titre, il faut exiger que l'attitude des formateurs vis-à-vis des élèves et des anciens face aux jeunes soit inversée : qu'elle ne consiste plus à imposer des structures rigides qui empêcheraient d'hypothétiques erreurs mais qu'elle donne toute latitude pour que l'implication se fasse spécifiquement ainsi que l'exige chaque processus thérapeutique. 3) Si le psychiatre a l'obligation de se libérer des structures rigides, tout autant des contraintes administratives ou hiérarchiques que des enfermements techniques ou théoriques, il doit créer les référents sûrs qui soutiennent son implication » (Psyché, Soma, Socius n°1, p.9). Le thème exact des Premières Rencontres était : « S'abstenir quand ? S'impliquer jusqu'où ? ». Il s'y faisait ouvertement allusion à l'attitude d'abstention du psychanalyste mais il s'est rapidement avéré que l'abstention peut être extrêmement violente, impliquante donc, de par ce refus d'intervenir et que le problème ne se situe pas dans le principe de cette attitude mais dans sa trop grande systématisation et dans le prétexte que ce principe psychanalytique donne indûment au psychiatre qui rechigne à s'impliquer. Cette attitude de retrait est massivement critiquée par les nouveaux thérapeutes, au point qu'ils en arrivent à jeter le bébé avec l'eau du bain, à condamner toute position d'abstinence et, par extension, la psychanalyse elle-même. A l'AJP, on nuance plus avec cette interrogation laissée ouverte et renvoyée à tout praticien : « S'abstenir quand ? S'impliquer jusqu'où ?
Laissons la parole à Moreau et à Bour, sans oublier Bourg et Lechler, qui parlent de leur implication de façon détaillée et explicite. André Moreau représente ici le thérapeute Gestalt qui pousse l'implication jusqu'à son extrême puisqu'il formule comme règle de réagir lui-même émotionnellement, d'être « une personne qui réagit à part entière, de façon vivante, acceptant aussi bien que le client, de se remettre en question... » (Moreau 1985). Pour nous, s'impliquer c'est agir ou réagir émotionnellement avec ses sentiments, explicitement, au client qui dit ou manifeste quelque chose : par exemple, le thérapeute peut dire : « Je suis triste quand tu me parles comme ça » ou « Ce que tu fais m'irrite, me met en colère ». Cette attitude doit avoir une fonction diagnostique et thérapeutique. Elle introduit surtout une dimension égalitaire avec le client car, au niveau de l'émotion, nous sommes précisément très proches. Cette attitude est extrêmement courageuse et difficile dans la mesure où le thérapeute a généralement choisi sa profession pour profiter du pouvoir certain qu'elle lui donne sur son client : très longtemps, jusqu'à trouver cette réelle et profonde égalité, il se sentira même en infériorité car le patient qui souffre exprime son émotion bien plus pleinement que le thérapeute qui reste néanmoins gêné par son double rôle de « pair » et de « père ». André Moreau nous retrace magnifiquement sa longue évolution de l'abstention à l'implication ; ça lui a pris près de vingt ans. Il conceptualise judicieusement trois étapes qu'il formule avec bonheur : - « avoir » une thérapie ainsi que le propose le modèle médical et la «médecine à une personne » ; - « être thérapeute » comme le lui apportent ses formations en psychanalyse et groupe Balint, dans une « médecine à 2 personnes » ; - enfin, « être en thérapie avec » comme il peut l'être en Gestalt thérapie, en s'impliquant émotionnellement. Une implication aussi radicale pousse à rechercher la congruence la plus forte possible de tous les domaines existentiels : du thérapeute et de son client, du thérapeute et de l'homme privé, de l'adulte actuel et de son passé, de cet adulte et de son entourage, du thérapeute et de sa thérapie. Tout cela est merveilleusement décrit par Moreau. Nous y voyons comment sa thérapie préférée – le kibboutz-groupe - recrée son passé d'animateur scout. Nous y voyons qu'il retrouve la même relation profonde avec ses clients qu'avec ses « garçons » d'autrefois. Cette notion de « congruence » est centrale pour Rogers, l'un des pères des Nouvelles Thérapies.
Pierre Bour est hospitalier, homme de l'institution et sa marge de manœuvre est bien moindre. Il est plus âgé aussi – comme quoi la jeunesse est vraiment une affaire de cœur – et représente la génération qui a immédiatement précédé et préparé les Nouvelles Thérapies, comme Durand de Bousingen. Il pratique le psychodrame depuis son introduction en France, a côtoyé Moreno et créé l'une des formes de cette méthode particulièrement pratique, utilisable à l'hôpital, en grand groupe, avec un minimum de thérapeutes, un seul en fait. Car on a souvent reproché au psychodrame de mobiliser trop de personnel et d'être trop lourd à mettre en œuvre. Pierre Bour s'implique depuis toujours et il l'illustre plaisamment à partir de faits précis. Il entre dans le psychodrame en tant que participant, acceptant les rôles dont on l'affuble et par lesquels on se venge le plus souvent de sa fonction d'autorité ; mais il reste aussi l'organisateur et l'homme de la synthèse. L'expérience du psychodrame permet à Pierre Bour d'expliciter ce qu'il entend par « implication ». Le symptôme entre dans la relation, il devient « ce qui est ressenti dans un dialogue partagé ». Quant à cette relation, elle « implique un dialogue d'inconscient à inconscient, à savoir l'inconscient dynamique du patient avec lequel l'expérience de notre propre inconscient dynamique mobilisé permet d'entrer en résonance » (Bour 1985). Pour Bour, ceci suppose « une forte capacité de réceptivité et, à l'extrême, une possibilité en soi de faire le vide ». Cela donne une « psychothérapie dialoguée », où « le patient est sécurisé par le fait qu'il trouve un répondant chez le thérapeute ». Cela reste analytique, permettant au client de passer par les trois phases du transfert : - la première, où le sujet prête toutes les qualités au médecin de façon magique; - la seconde, où il s'aperçoit que le médecin ne fera rien à sa place... où il est déçu ; - la troisième, où il accepte le médecin pour ce qu'il est. On sent ici un heureux équilibre entre la psychanalyse, la prise en charge de malades hospitaliers lourds et l'humanisme qui rappelle Binswanger et annonce les Nouvelles Thérapies.
L'institution psychiatrique ne peut pas empêcher la pénétration progressive des Nouvelles Thérapies en ses murs. Respectueuse des personnes, elle tolère même qu'ailleurs on s'implique plus, mais avec des limites pourtant comme le montrent les poursuites engagées contre Jean Morenon qui fait de la recherche du côté de la sexualité. Mais alors, elle nous attend sur le terrain de la théorie ! C'est ainsi qu'il faut entendre le : « Dans dix ans, quand ce sera au point », qui équivaut à ceci : « Quand vous aurez concocté un texte bien rationnel et cohérent, qu'on pourra juger sans nous départir de notre savoir mandarinal et comprendre sans sortir de notre modèle médical ». Dans sa toute récente Initiation à la psychiatrie qui se veut pourtant « scandaleuse, hérétique et subversive », Israël (1984) traite encore les Nouvelles Thérapies de façon soupçonneuse. « Les techniques qui induisent et qui souhaitent parfois la régression ne s'appuient pas toujours sur des fondements théoriques très élaborés. On présente souvent comme innovation des méthodes fondées sur des conceptions extrêmement anciennes que seul l'analphabétisme des consommateurs ne permet pas de ramener à leurs origines ». Pourtant, on aurait pu penser qu'Israël serait des nôtres avec un texte aussi proche. « La France fut particulièrement longue à l'accepter. L'histoire des débuts en France est édifiante. Elle témoigne de l'esprit conservateur, et même rétrograde, des milieux qui auraient logiquement dû l’accueillir avec reconnaissance. Mais la limpidité, la transparence de l'esprit français, de la pensée française, ne pouvait pas accepter l'origine innommable de la psychanalyse ». Et oui, il s'agit de la...psychanalyse. Israël en est encore à l'autre bataille. L'histoire se répète et se ressemble ! Certes, il faut l'avouer, la théorie reste le point faible de notre domaine. Gentis l'a souligné avec vigueur et verdeur dans les Leçons du corps. « Les théoriciens de ces thérapies n'effectuent à aucun moment une analyse sérieuse de leur champ d'observation et d'expérience ». Bourg enchaîne avec l'oeil du philosophe : « On peut y reconnaître tour à tour la recherche d'illusions perdues, des résurgences naïves d'un romantisme désuet, une quête écologique du vrai, un rejet des tensions de l'humain, des réminiscences du bon sauvage, mais aussi une haine de la pensée, une intolérance aux mots, une allergie au sens » (Bourg 1985).
Alors suffit-il de réunir des psychiatres pour qu'il se fasse de la bonne théorie ? Le passage par l'institution laisse des traces, donc des exigences, et fournit les capacités. C'est pour cela que les Nouvelles Thérapies doivent pénétrer la profession et se glisser en leur cœur même, pour s'enrichir de cette discipline et enrichir la profession en retour. Pourtant, il ne faudrait pas conclure ici à une incapacité congénitale des non psychiatres à théoriser. Non, la situation est plus complexe ; il se pose un double problème qui explique l'état actuel de la théorie en la matière ; il se revendique intentionnellement un double refus et de théoriser et d'être théoricien... pour faire de la meilleure thérapie et être meilleur thérapeute. Le refus de la théorie est une attitude assez répandue dans le courant humaniste, de la théorie en général, des théories psychiatriques et psychanalytiques en particulier. « Shit » disent les anglo-saxons dans leur langage fleuri, c'est de la… ! Ce refus s'étend à la théorisation et à la manie de réfléchir, rationaliser, généraliser, intellectualiser... « Laissez la tête, descendez dans votre ventre » est l'un des leitmotiv; « la rose est une rose, est une rose » continue Perls qui reste l'anti-intellectuel le plus farouche. Or il y a là un paradoxe évident, une injonction paradoxale à finalité thérapeutique façon Bateson, Watzlawick et thérapie familiale ; façon thérapie tout simplement car la thérapie repose fondamentalement sur le paradoxe qui déloge. Ce qui est bon pour le client a été bon pour les Nouvelles Thérapies pendant toute une époque. Le fait de s'opposer à l'ancien a été salutaire et thérapeutique. Le seul fait de prendre à contre pied, déséquilibrait et ébranlait les structures trop rigides. La revendication de différence et de nouveauté choque – pour dix ans paraît-il ! On assiste d'ailleurs actuellement à des essais de théorisation de la Gestalttherapie (Ambrosi, 1984) et il faut se demander si ce n'est pas suicidaire, si la Gestalt peut survivre à l'intellectualisation, elle qui repose essentiellement sur le refus de l'intellect ! Voyons le second problème, à savoir le refus d'être théoricien. En effet, « être théoricien » représente une façon d'être bien précise qui est à l'opposé de la façon d'être du thérapeute praticien, plus encore pour le « nouveau » mais presque autant pour le traditionnel. Les psychanalystes ont connu le même problème qui voulaient créer deux classes, de théoriciens et de praticiens. Le nouveau thérapeute se veut ouvert aux émotions, aux sensations, aux sentiments, à la vie ; il se veut en relation profonde avec son client ; il ne peut donc pas se laisser parasiter par les idées, les mots et les concepts ni par les inévitables querelles d'écoles. Il veut évoluer et changer au gré de ses propres découvertes, mais la théorie stabilise et cloue sur place. La pratique est conviviale, surtout dans les groupes ; la théorie se distille dans la solitude. Freud, le théoricien, ne voulait pas s'encombrer du regard de l'autre, Perls, le praticien, ne réclamait que cela. Freud, l'épistémophile, n'a pas supporté l'étreinte d'une patiente sortant de son hypnose ; Casriel, le réveilleur de l'émotion, a découvert le « bonding », ou besoin de contact, dans l'étreinte jubilatoire imposée par une patiente. Ainsi les thérapeutes humanistes préfèrent-ils se référer aux modes de pensée déjà existants, aux sagesses de tous ordres, à la psychanalyse, à la phénoménologie et aux existentialismes, aux spiritualités depuis peu, quitte à passer très vite des uns aux autres. Ils sont facilement disciples et vulgarisateurs, sages et orateurs, mais fuient la plume comme le diable. Alors il faut des psychiatres qui se sont coltinés dix ans de formation universitaire – dix ans, tiens donc – qui se sont disciplinés à la rigueur, à la pensée, à la logique et à la clarté. Il faut des psychiatres qui ne sélectionnent pas les patients et ne sérient pas les tâches, qui s'immergent dans la totalité des problèmes, y compris somatiques, institutionnels et sociaux, pour s'atteler à la conceptualisation et à la théorie. Le résultat en est impressionnant comme nous le montrent les quatre auteurs suivants. Elle n'est évidemment pas exhaustive mais exemplaire. Chaque innovation est un modèle dans une direction donnée : - enfin Richard Meyer plonge dans le caisson d'isolation sensorielle comme dans une nouvelle thérapie et le définit par niveaux d'abstraction successifs à partir de son « setting » jusqu'à son mécanisme d'action global.
Avec sa Teaching-and-Learning-Community, Walter Lechler nous fait part d'une démarche majeure puisqu'il explore une position thérapeutique nouvelle et nous propose une attitude logique et systématique, basée sur une réflexion théorique essentielle : il transforme la thérapie en apprentissage, la clinique en école et la maladie en déficit d'apprentissage. Cette systématisation va agacer aussi sûrement que la pratique qui a déjà suscité un malheureux compte-rendu commandé par la revue Autrement aux deux psychanalystes de service, Louka et Louka. Ils ont effectué un lamentable « vol au-dessus d'un nid de gourous ». Ils ont plutôt fondu comme des choucas et des stukas sur la paisible et intense clinique de Bad Herrenalb dans le pays de Bade voisin où se crée cette « communauté d'enseignement et d'apprentissage ». Ils ont fait preuve de cette incapacité trop répandue de sortir de leur propre système conceptuel pour en approcher un autre, de façon d'autant plus impardonnable que les patients de Lechler ne sont pas ceux de la psychanalyse mais des névrosés graves, des psychosomatiques chroniques, des borderlines, des toxicomanes et alcooliques sévères. Pourtant, la démarche de Lechler est exemplaire au niveau théorique. En effet, il pousse son raisonnement jusqu'à son point ultime ce qui lui apporte une cohérence de béton. De plus, ce point ultime est l'un des deux pôles opposés à partir d'un même héritage, à savoir celui de Daniel Casriel. L'autre pôle est celui de l'analyse stricte que j'ai moi-même développée avec la somatanalyse. En effet, bien que je doive à Lechler la rencontre avec Casriel, nous avons évolué de façon parallèle dans les deux sens opposés : lui vers « l'école de vie », moi vers l'analyse pure. Car Casriel tenait une position médiane, équilibrée, pragmatique, plus liée à sa personnalité qu'à un système conceptuel. On pense ici à Freud qui se situait également en un centre idéal à partir duquel ont éclaté des recherches spécialisées dans les différentes directions potentielles : du côté du social avec Adler, du spirituel avec Jung, du corporel avec Ferenczi et de la linguistique avec Lacan. Et tous font de la bonne thérapie ! Lechler organise donc sa clinique comme une « école de vie », tout en partant des techniques proposées par Casriel : le travail émotionnel, le cri, le « bonding » et le groupe. Mais ces techniques ne sont que des outils. Le thérapeute devient un enseignant dont le seul mérite est d'avoir une longueur d'avance sur les autres, sur ces « élèves » dont la tâche consiste à apprendre ce qu'ils n'ont pas acquis par le passé. On retrouve ici l'analyse que fait Gentis du courant Gestalt où l'on met le patient face à ses problèmes en lui laissant la responsabilité de choisir, ce coup-ci, la bonne solution à la place de celle, névrotique, d'autrefois. Très logiquement, pour Lechler la maladie et le symptôme découlent du « déficit en apprentissages » et d'un « syndrome de manque », à partir desquels ils se développent de façon autonome comme « troubles socio-psycho-somatiques ». Ici se profile un autre apport majeur, à savoir la conception globale du symptôme. De là, on peut déduire qu'il suffit de proposer un cadre thérapeutique élargi où s'expriment le « discours » et le « discorps » en « relation groupale » pour que cette triple dimension du symptôme et du patient se manifeste ; là surgit le véritable champ psychiatrique avec Psyché, Soma et Socius. Là vient aussi s'associer la théorisation que propose Gentis pour le principe thérapeutique avec la conjonction de « trois aspects peut-être indissociables du procès thérapeutique : un travail de deuil... une renaissance symbolique... et une production de sens ». En traduisant, on retrouve les dimensions corporelles (l'émotion du deuil), sociales (l'inscription symbolique) et psychiques (la production de sens). Ces trois dimensions sont aussi celles que Breuer et Freud convient à l'occurrence de la catharsis et que j'inclus moi-même dans le « moment primaire ». Aussi ne peut-on qu'approuver Gentis qui propose : « Si l'on retient cette hypothèse, on pourrait alors se demander si ce schéma ne s'applique pas peu ou prou à toutes les thérapies... ». La démarche de Lechler nous donne l'exemple d'un lieu thérapeutique cohérent fondé sur des concepts logiques et une organisation institutionnelle « autogène », en opposition à d'autres méthodes qui reposent avant tout sur une personne, sur une synthèse subjective de pratiques et de valeurs disparates. On peut attendre plus de solidité du premier type que des autres, plus de clarté aussi pour le patient. La Teaching-and-Learning-Community, comme la présente Martin Hambrecht dans sa thèse de doctorat en philosophie, décrit un courant qui va de Kardiner à Lechler en passant par Rado et Casriel, qui plonge dans la mentalité « humanistique » avec Maslow et son travail sur les besoins et satisfactions, qui rencontre le travail « émotionnel » tellement nouveau et controversé, basé sur le cri et le bonding. La « catharsis » est plus que du défoulement et débouche sur ce « lâcher prise » qui est à la base de toute thérapie profonde. Enfin, on découvre que la satisfaction des besoins, par le toucher par exemple, est aussi mobilisatrice que la frustration, donc thérapeutique, tout en servant d'apprentissage.
Avec La naissance de la somatothérapie, Meyer propose également un travail méthodologique, plus précisément conceptuel, puisqu'il ne crée pas de pratique et ne fait que réfléchir sur ce qui existe déjà. Pourtant le projet est ambitieux puisqu'il ne tend à rien moins qu'a amener le corps à sa majorité, à l'autonomie, à l'équiparité avec psyché et socius. Dans le foisonnement des nouvelles thérapies, il apporte un peu d'ordre, il définit, délimite, caractérise, compare et classe ce qui se côtoie pêle-mêle. Il constitue les thérapies dites corporelles en somatothérapies, a côté des psycho- et socio- thérapies déjà individualisées. Trois conditions sont exigées à cet effet : Paradoxalement, c'est « l'ancien » du corps qui nous offre l'une de ces études centrées sur le corps comme dimension spécifique, sans les dénominations nouvelles mais avec un contenu tout à fait correspondant. L'ancien, c'est Robert Durand de Bousingen qui nous a fait l'honneur de participer à nos Rencontres, en voisin. C'est lui qui est allé se former au training autogène auprès de Schultz lui-même et qui l'a introduit en France, sillonnant le pays en véritable précurseur des nouveaux thérapeutes itinérants. Depuis, il se tient strictement à la méthode d'origine, sans ajouter ni déplacer le moindre iota. Par contre, il est resté curieux de toutes les nouveautés, de l'eutonie introduite à Strasbourg par Digelman, de la sophrologie vite démasquée (pour lui !), du New Identity Process de Casriel aux stages duquel nous avons crié en chœur ! Il s'essaye à une « théorie psychanalytique du Training Autogène de J.H. Schultz ». Tout est précieusement délimité : l'objet, à savoir le training, pour lequel le concept de somatothérapie convient à merveille, et la grille de lecture, à savoir la théorie psychanalytique. Il y a là une rigueur méthodologique exemplaire qui permet de tancer dès l'abord : « La confusion la plus dense caractérise habituellement l'ensemble des travaux français qui essayent d'élaborer une explication des mécanismes d'action qui spécifient les diverses méthodes dites de relaxation ». Il suffit de remplacer « relaxation » par « Nouvelles Thérapies » pour percevoir l'exemplarité du propos. Durand de Bousingen se focalise sur ce processus central que constituent les phénomènes de transfert, s'autorisant de Freud pour en reconnaître l'occurrence en relaxation mais employant néanmoins l'appellation plus large de « situation transférentielle » pour respecter les caractéristiques propres à cette thérapie particulière : « La situation transférentielle dépend... étroitement de l'espace psychothérapique… (elle) est différente du transfert analytique qui dépend lui également de la situation analytique elle-même ». En relaxation, ce sont la passivité et l'abandon des contrôles qui sont déterminants pour cette situation ; quant à la remémoration, elle se fait dans l'inscription corporelle. Dans un premier temps, s'établit une dépendance du patient sur un mode hétérohypnotique : « Il y a ... projection de l'idéal du moi du sujet sur le thérapeute ». En même temps, la spécificité corporelle du travail fait adopter au sujet des relations de structure « préverbales », en tout cas préœdipiennes ». Je ne soulignerai, quant à moi, que ce recours au « préverbal », au « préœdipien », qui vient presque systématiquement dès qu'on parle du corps. Pour la somatothérapie, le « corporel » est tout autant pré-, para- et trans-symbolique, pré-, para- et trans-verbal ou -œdipien. C'est ce que j'essaye d'introduire ailleurs avec la dimension somatologique. Dans un deuxième temps, se développe une relation transférentielle de type autogène. Le sujet se dégage de sa dépendance, dans la mesure où le contre-transfert du thérapeute ne l'empêche pas. Mais c'est au niveau du corps que se réalise surtout cette autogenèse : « C'est à travers l'ancrage au corps du sujet, lieu d'expérience, de débat et de conflit du vécu somatique, lieu de rencontre où se vit la relation thérapeutique que pourra se produire ce dégagement identificatoire. L'étayage du moi du sujet sur le vécu corporel à travers les émois archaïques... permet un réinvestissement progressif de ce moi » (Durand de Bounsingen, 1985). Ce résumé ne concerne que le cycle inférieur du training autogène ; l'analyse de Durand de Bousingen s'étend au cycle supérieur mais ce bref aperçu suffit à amorcer la discussion sur l'intérêt général de ce texte, absolument exemplaire :
L’étude sur le tanking emploie une autre méthodologie, plus expérimentale, dénuée de toute grille de lecture préalable sinon de l'habitude d'analyser ce qui se passe directement au niveau du corps. Le hasard a voulu que le « caisson d'isolation sensorielle » se construise à Strasbourg et qu'il constitue l'une de ces innovations que le psychiatre ne peut pas ignorer, ne serait-ce que parce que ses clients vont l'expérimenter, et qu'on lui demandera son avis. Ici tout est clair, logique et compréhensible. Il suffit d'analyser le tanking comme toute thérapie, à partir de son setting et de passer du plus matériel au plus complexe par niveaux d'abstraction successifs :
Globalement, il y a relaxation mais aussi analyse, autoanalyse, dans cette solitude absolue. Les problèmes qui se posent sont ceux de ces émergences de productions nouvelles : sont-elles de l'inconscient, de l'infonctionnant somatologique ? Si oui, comment se structurent ces nouveaux processus en dehors de toute relation ? La poésie et l'étrangeté de cette expérience peut parfaitement constituer une tranche « d'autoanalyse » des plus enrichissante. On peut y vivre des flashs aussi forts que ceux que Raymond Moody relate dans La vie après la vie, dans les moments de mort apparente. On peut y atteindre ces états que les méditations orientales viennent mettre à la mode. On y vit quelque chose de l'ordre du délire contrôlé, retrouvant là une occasion de faire sa « psychose didactique » comme le propose Gentis. Tout cela n'est nullement en marge de la psychiatrie mais en son cœur même comme toutes les Nouvelles Thérapies. Malgré ce travail qui s'attelle à la recherche théorique, on pourra toujours encore ne pas s'intéresser aux Nouvelles Thérapies, c'est le droit le plus strict. Mais on ne pourra plus faire semblant de les ignorer. On ne pourra plus les renvoyer aux calendes grecques parce qu'elles sont là, bien là, pratiquées et théorisées, dans tous les lieux de la psychiatrie. On peut même parier qu'il ne faudra plus dix ans pour que les instances professionnelles s'y intéressent de plus près. Avec ce troisième chapitre sur les Nouvelles Thérapies – version 1985 – nous clôturons l’approche historique des psychopathologies, nous rappelant qu’il s’agit de théories. Nous inaugurons tout autant l’approche clinique qui est bien le but ultime et de la psychopathologie et de notre réflexion, constituant le cœur même de notre art thérapeutique. Cette évocation des Nouvelles Thérapies nous brosse plutôt une ambiance qu’un savoir, un savoir-faire qu’un pouvoir et cette ambiance nous fait passer logiquement à la deuxième partie de ce livre qui doit poser les bases de notre approche intégrative, présentant le cadre de travail d’où est issue l’observation nouvelle de la psychopathologie et développant le modèle épistémologique d’où se théorisent les nouvelles propositions pour une « ontopathologie ». Nous ferons retour sur ces données historiques pour illustrer et valider nos apports personnels.
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