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Table des matières

Chapitre 9 : Une nouvelle étape, scientifique, de la psychothérapie

Nous venons de voir que l’intégration des outils et procédés thérapeutiques impose une méthodologie stricte qui, basée sur les facteurs organisateurs, débouche sur une pratique pluri-globale comprenant un nombre minimum d’outils et procédés. Ces derniers sont choisis pour faire globalité, à savoir complexité, celle-là même du patient. Nous lui devons cela, au patient, et à nous aussi, thérapeutes. Avant tout éclectisme, il y a méthode.
            Pour les théories, il en va de même. Il y en a presque autant que de méthodes et elles sont trop souvent incompatibles. De plus le fonctionnement de l’esprit humain est tel qu’il ne peut concevoir tout, et ensemble. Il n’est pas possible d’additionner, d’accumuler, de multiréférencer indéfiniment... Ici, il faut recourir aux sciences et d’abord aux règles logiques.
            Il faut prendre du recul par rapport aux contenus - dont on sait qu’ils sont, au pire, également efficaces et, au mieux, complémentaires. Il faut se situer au-delà, méta !
            Que nous disent la science, l’épistémologie, la logique ?
            Que nous ne pouvons pas disposer des objets d’une catégorie donnée quand on est soi-même l’un des objets de cette catégorie. On ne peut pas être juge et parti. Je ne peux pas réfléchir sur les autres théories psychothérapiques à partir de ma propre théorie, sinon pour les rejeter ou les cannibaliser ! Voilà l’enseignement de Bertrand Russel avec sa règle des “types logiques”. Il faut aller au-delà, méta-, constituer une autre classe qui serait fondement pour les nombreux objets théoriques de la première classe.
 

tableau 28

Tableau 28 : le principe des types logiques de Bertrand Russell
 
Voilà beaucoup d’ambition sinon de présomption. En fait, il s’agit d’autant d’abnégation et de modestie puisqu’il faut d’abord renoncer à son propre objet (pour nous c’est celui de la somatologie issue des somatanalyses) puis aux objets accrédités (métapsychologie freudienne, sciences cognitives et systémiques notamment). Il importe de créer les outils qui permettent d’aller au-delà et de respecter les règles logiques.... Pour arriver éventuellement à... l’intégration théorique escomptée !
            Nous ferons scientifique, autant que possible, expérientiel d’abord, méthodique ensuite, logique et épistémologique enfin. Nous ferons aussi simple et didactique en proposant deux sous-divisions à cette seconde partie :
-          un cheminement personnel avec ses étapes intermédiaires et ses enseignements sur les théories psychothérapiques,
-          un résultat sous forme paradigmatique avec les éléments de base d’une théorie véritablement intégrative.
 
  • UN ITINERAIRE : lÂ’initiation aux règles de science

  • L’aridité des considérations précédentes ne doit pas nous faire oublier que nous sommes, ici, dans le domaine le plus humain qui soit, le plus subjectif, le plus personnalisé et individualisé, qui nous situe au plus “mou” de ces sciences dites molles que sont les sciences humaines.
                Aussi me plaît-il de m’appuyer en partie sur mon cheminement personnel - bien humain - mais pour en tirer néanmoins les considérations générales sur la théorisation en psychothérapie. Ces préalables nous feront plus facilement sauter le pas méta, au delà.
     
     
    • Premier contact avec les méthodes et théories

    • Le contact avec la psychothérapie commence toujours par une, puis deux, parfois trois méthodes ou plus. Quand il s’agit de techniques avérées, une théorisation adéquate l’accompagne. C’est ainsi que j’ai reçu les enseignements multiples au CHU de Strasbourg (psychopathologie, psychanalyse) et à son équivalent lausannois (comportementalisme, systémisme, psychothérapie des psychoses, groupe-analyse). J’ai complété cet apprentissage par l’expérience personnelle, thérapeutique/analytique :
      psychanalyse (lacanienne),
      psychothérapie analytique de groupe (Selbsterfahrungsgruppe, en Allemagne voisine),
      New Identity Process (NIP) avec son créateur, Daniel Casriel, psychanalyste analysé par Abram Kardiner lui même directement analysé par Freud, ce qui me situe dans la troisième génération freudienne ! Le N.I.P. inclut le travail émotionnel jusqu’au cri et le contact jusqu’au bonding,
      le CHU de Strasbourg m’a formé à la relaxation de Schultz, à l’hypnose profonde, et m’a même proposé d’aller explorer la Konzentrative Bewegungstherapie (thérapie concentrative par le mouvement) chez nos mêmes voisins allemands.
       
                  Je n’ai probablement pas assez connecté avec chacune de ces méthodes, sans cela je me serais spécialisé dans l’une ou deux d’entre elles ! Quant aux théories, je les ai probablement tout aussi peu approfondies, sans cela j’en aurais été convaincu ! C’est cela le risque – et même le piège – de l’engagement total dans la première méthode rencontrée. On s’y identifie, elle devient consubstantielle, et toute prise de distance est difficile sinon impossible. C’est le reproche qu’on peut faire à ceux qui nous accusent en retour de… superficialité. In medio stat virtus. Toujours est-il que chacune de ces méthodes est bien ficelée et très sécurisante de par sa cohérence même. Mais, pour exister, elles doivent s’exclure mutuellement, sinon se faire la guerre ! Et les psychothérapeutes donnent ainsi un bien mauvais exemple à l’humanité.
       
      Enseignement : Toute psychothérapie commence d’abord comme pratique. Et comme nous sommes sapiens sapiens (et bientôt sudans, en sueur !), nous devons connecter du sens, de la pensée, qui débouchent immanquablement sur de la théorie. Toute pratique se complète d’explications : qu’est ce que je fais, pourquoi, comment ça marche, est-ce légitime, efficace, validé, comment cela se situe-t-il par rapport aux autres théories, par rapport aux sciences ?
                  Les accompagnements théoriques dérivent de constructions diverses (pragmatique, fonctionnelle, historique, circonstanciée, personnelle etc...). Ce qui nous intéresse, ici, c’est la congruence de la théorie avec la praxis d’origine et/ou son extension au-delà du champ d’observation initial. On peut distinguer :
       
      1) les théorisations congruantes avec la praxis :
      purement descriptives des techniques et de leurs effets,
      délimitant les indications privilégiées à partir des effets observés (plus ou moins statistiquement),
      rationnalisant un élément majeur (le cri primal fait accéder au “réel”),
      interprétant un contenu remarquable (l’hyperventilation fait contacter le vécu de naissance et baptiser la méthode comme “rebirth”) ;
      2) les théorisations progressivement généralisantes au-delà de cette congruence première:
      -   par emprunt à des théories voisines, (neuroscientifiques, orientales, psychanalytiques, etc...)
      -   par extrapolation à des champs certes voisins mais peu argumentés (le toucher haptonomique débouche sur la science de l’affectivité),
      -   par élargissement tout aussi peu valide des indications (la PNL soigne de plus en plus de pathologies).
                  Voilà pour les pratiques relativement systématisées. Viennent ensuite les combinaisons de techniques plus complexes.
       
      • Intégration de méthodes partielles et perte des repères théoriques

      • J’avais démarré un groupe de thérapie avec le très directif New Identity Process de Casriel mais les Français ne sont pas aussi complaisants que les Américains et je n’avais pas le même goût de la directivité que Casriel. Peu à peu cette méthode s’est transformée en un groupe analytique, non directif, sur le modèle de la groupe-analyse (Foulkes). Et si, dans la pratique, le contenu corporel s’est bien marié au setting analytique, comme nous l’avons vu avec la socio-somatanalyse, dans la théorie, plus rien ne collait !
                    J’avais aussi entrepris des psychanalyses sur le divan. Mais comme je n’appartenais à aucun réseau psychanalytique officiel, je n’avais pas le recrutement optimal. Et je me suis lassé puis j’ai arrêté après quelques années. Il aura fallu quelques années supplémentaires pour oser le nouveau cadre de la psycho-somatanalyse. Mais, dans la théorie, plus rien ne collait !
                    Pourtant, trouvant beaucoup de satisfaction à ces deux nouveaux cadres de travail et obtenant des résultats prometteurs (ne serait ce que par effet de nouveauté, par « catharsis de surprise » au début !) je me suis attelé à une recherche rigoureuse et logique que l’on peut systématiser (du moins dans l’après-coup) en trois étapes (plus une) :
        remettre les compteurs théoriques à zéro,
        créer des modèles intermédiaires entre pratique et théorie,
        rechercher des concordances ou falsifications,
        en attendant les évaluations statistiques de l’efficacité.
        Enseignement : Ces combinaisons de techniques en un protocole unique - parfois très simple comme le divan/fauteuil ou la famille avec glace sans tain- se développent en théorisations proliférantes, omniscientes et impérialistes quand les disciples s’en emparent. Nous avons évoqué la psychanalyse qui est devenue “le” paradigme, pour la psychiatrie française en tout cas. Et pourtant la naissance de nouvelles pratiques et d’autres théories - ainsi que la diminution de clientèle - montre clairement que la psychanalyse occupe un champ bien délimité - et de plus en plus réduit - de la psychothérapie, bien qu’elle s’élargisse à (quasi) toutes les indications comme les thérapies de famille et les cures “brèves”.
                    De même les thérapies familiales, devenues systémiques et stratégiques, s’imposent comme nouveau paradigme et partent à l’assaut de tout le marché de la thérapie. Il n’y a pourtant pas, chez elles, de protocole unique et central. Au contraire, une multitude d’équipes développent de nouvelles techniques et pensées relativement délimitées mais dont l’ensemble fait globalité. C’est ainsi que le système originaire, de la première cybernétique, qui s’est opposé à la psychanalyse, se complexifie en une deuxième cybernétique qui voit l’implication du thérapeute dans le système, évoquant le contre-transfert du psychanalyste, puis en un constructionisme social et cette “narration“ de Michael White qui renouvelle la “verbalisation” du divan. Partis de deux pôles opposés, ces deux courants se rejoignent autour des processus et théorisations principaux : famille/surmoi, transfert/affect, contre-transfert/implication du thérapeute, verbalisation/narration. Mais les deux courants font néanmoins systèmes et se concurrencent sur les mêmes champs... de clientèle.
         
         
        • Un protocole de recherche rigoureu

        • La perte des repères théoriques liés aux pratiques d’origine est évidente et doit être acceptée. Mais cela va loin jusqu’à interroger les grands principes, psychanalytiques en particulier : l’Oedipe, l’inconscient et autre pulsion de mort, par exemple. Un jour mon patron strasbourgeois m’entreprit sur ma thèse d’ethnologie et me demanda à brûle-pourpoint : «  Et le complexe d’Oedipe, qu’en faites-vous ? »  - «  C’est à discuter »  fût ma réponse naïve. Et ce fût aussi la dernière discussion théorique avec le regretté Kammerer ! Il fallait accepter et systématiser cette absence de théorie, y renoncer, retrouvant par là quelque chose comme le doute systématique de Descartes.
                      Il ne restait de solide qu’un cadre de travail strict, qu’un fantastique champ d’observation, véritable laboratoire expérimental que le protocole structurait rigoureusement, faisant référence pour ces vécus des plus nouveaux. Il y avait les règles éthiques et déontologiques comme garde-fou. Encore que l’entourage les mettait en doute, reprochant des «  passages à l’acte «  là où advenaient les «  mises en acte »  novatrices. Mais la véritable énergie des deux somatanalyses provenait de la relation émotionnelle et affective entre analysant et analyste et entre membres du groupe, ce fameux «  facteur non spécifique » reconnu à présent comme essentiel par toute la profession.
                      Il fallait donc observer, scruter, prendre du recul. Mais c’est justement cette distanciation que ces nouvelles méthodes veulent éviter, corrigeant, après Ferenczi et Reich, ce que Freud a institué en se cachant derrière le divan ! Il est vrai que l’émotion, l’énergétique, l’intime du lien, doivent se partager pour exister, doivent s’échanger pour « constituer » l’être. Après mes premiers week-end de socio-somatanalyse, j’étais tellement chamboulé – j’étais dans les processus, sinon dans les choux – que je ne pouvais même plus partager le film du dimanche soir avec ma famille. Et si les premiers repères théoriques ont tardé à en résulter, ils auront au moins été «  processuels », eux aussi, dynamiques, globaux, pléniers.
           
          Enseignement : Trois conditions préalables sont évoquées ici pour arriver à l’intégration théorique, au-delà, méta- :
          -   expérimenter de nouvelles combinaisons pratiques nécessairement plus complexes, prendre le temps de leur élaboration théorique et ne pas s’en contenter néanmoins comme nième théorie de la même catégorie logique ;
          -   se baser sur le seul laboratoire expérimental méta, à savoir la pratique pluri-globale constituée autour des “facteurs organisateurs” ;
          -   repartir dans le doute systématique ou, plus simplement, dans la suspension théorique jusqu’à ce que, d’étape en étape, du neuf advienne.
           
           
        • Modèles intermédiaires entre pratique et théorie

        •           Mes études d’anthropologie m’avaient sensibilisé à cette autre aberration qu’était l’opposition entre le fonctionnalisme (anglais) et le structuralisme (français) : comment pouvait-on insister sur l’un seulement des pôles de l’être, sur sa dynamique ou sur ses constantes ? Aussi me suis-je astreint, dès le départ, à être du côté de la complexité, à savoir «  structuro-fonctionnel ». C’est le titre de la modélisation que j’ai entreprise dès le début de la somatanalyse.
           
           
          • Le modèle structuro-fonctionnel

          • N’ayant plus de théorie, et n’en voulant pas à tout prix, sachant que les concepts sont réducteurs et enfermant, j’ai choisi les modèles topographiques comme premier degré de représentation. En effet, il n’est presque pas possible de passer directement de la clinique à la théorie sans retomber dans les concepts anciens ou dans ceux d’un système voisin, à moins de rester dans des descriptions purement phénoménologiques. Mais on peut modéliser… Voici le départ de ces incessants griffonnages qui ont produit, entre temps, plus de cent vingt schémas différents.
             
            Le modèle structuro-fonctionnel réintroduit le maillon manquant entre :
             
             
            Nous avons longuement présenté les schémas de base de ce modèle ci-dessus pour ne pas les reproduire ici. Nous pouvons observer que ce modèle structuro-fonctionnel est universel. Il ne concerne pas seulement la somatanalyse mais toute psychothérapie, même si chaque méthode n’occupe qu’une surface déterminée du territoire. Il concerne la vie humaine tout bonnement, ses structures et sa dynamique.
                        Il nous suffit de rappeler la fécondité de ce modèle qui a abouti au questionnaire EISARC Plé que nous revisitons rapidement.
             
             
            • Le modèle EISARC Plé

            • L’une des illustrations de cette universalité nous vient d’un auteur “intégratif” déjà cité, à savoir d’Arnold A. Lazarus dont la “thérapie multimodale : éclectisme méthodique” repose sur les mêmes six fonctions du modèle structuro-fonctionnel, comme nous l’avons déjà évoqué.
               
              modèle structuro-fonctionnel
               
              thérapie multimodale
               
               
               
               
               
               émotion
              (E)
              Affect
              (A)
               intuition
              (I)
              Sensation
              (S)
               sensation
              (S)
              Imagerie
              (I)
               action
              (A)
              Cognition
              (C)
               réflexion
              ( R )
              Comportement
              (B)
               communication
              ( C )
              relation interpersonnelle
              (I)
               
               
              drug, medicaments
              (D)
               
               
              (en remettant le B au début, nous
               
               plénarisation
              (Plé)
              retrouvons le logo de Lazarus
              BASIC-ID
               
              Tableau30 : concordances entre EISARC Plé et BASIC ID de Lazarus.
                         
                          Cette mise en rapport des deux approches enrichit le contenu de ces “modes” que les mots risquent d’appauvrir. Nous avons d’ailleurs proposé des termes plus techniques aux quatre fonctions internes :
                                      - intuition et imagerie = fonction psycho-associative,
                                      - sensation = fonction viscéro-sensitive,
                                      - réflexion et cognition = fonction psycho-dissociative,
                                      - action et comportement = fonction musculo-tensionnelle.
                                      - P = plénarité et plénitude, à savoir l’intégration des 6 fonctions.
                          Une autre illustration de l’universalité et de la fécondité du modèle provient de sa pertinence dans mon deuxième travail de doctorat en sociologie et ethnologie.
               
               
              • L’analyse structuro-fonctionnelle du mythe dogon

              • Ce n’est pas par hasard que ce modèle a coïncidé avec la conclusion de ma thèse d’anthropologie sur le mythe Dogon (peuple du Mali, Afrique). Ce mythe situe évidemment dieu et l’homme, l’individu et la société. Voici, pour complément d’information, cette rencontre du mythe et de la psychologie, au niveau formel, structurel.
                 
                Le modèle du mythe se complète et se compare très simplement au modèle structuro- fonctionnel :
                -         le pôle du haut, Amma, est le pôle psychologique,
                -         le pôle du bas, des humains, est le pôle somatologique,
                -         le pôle de gauche, Ogoéen, est le pôle essensiel,
                -         le pôle de droite, Nommoéen, est le pôle attensionnel.
                 
                Le mouvement va très nettement de gauche à droite,    d'Ogo    à    Nommo,    de    la    solitude pulsionnelle   à   la   gemelléité   institutionnelle. Mais   il   n'y   a   pas   pour   autant   rejet   ni condamnation    d'Ogo,    il    y    a    seulement distribution    des    rôles    et    insistance    sur l'indispensable travail d'attensionalisation pour intégrer Ogo, l'individu, au groupe social. Il n'y a pas de manichéisme relégant la sexualité à gauche   par   exemple.   Ici,   elle   est   partout. L'homme   doit réaliser toutes ses fonctions potentielles.
                Ainsi,     nos    processus    vitaux    les    plus fondamentaux sont des processus... divins. Nous sommes Amma, Ogo et Nommo, et Homme tout à la fois. Quand une personne découvre enfin qu'elle est dieu, qu'elle participe de dieu, en Orient on la félicite mais en Occident, on l'enferme.
                 

                schéma 32

                Schéma 32 : concordances entre la structure du mythe dogon et le modèle structuro-fonctionnel

                 

                 

                • Le théorème de l’hum’un

                • Nous sommes toujours encore dans «  l’agencement du multiple ». Un jour, il a quand même fallu se résoudre à identifier les principaux paramètres qui informent notre modèle. Ils sont au nombre de quatre, auxquels j’ai ajouté un cinquième par après :
                  -    l’unité de l’être,
                  -    la polarité maîtrise-jouissance,
                  -    les trois positions de vie : groupe, couple, solo,
                  -    les six étapes du développement relationnel,
                  -    les principales fonctions de l’être.
                   
                              Ces cinq paramètres sont à la fois nécessaires et suffisants pour définir anthropos. Me souvenant du pont aux ânes (le théorème de Pythagore), j’ai appelé cet ensemble : le théorème de l’humain ou l’hum’un trois six deux (auquel j’ai ajouté le dix-huit). A ce propos, une recension d’un de mes livres m’a renvoyé au Président Schreber et à sa paranoïa chiffrée (une des cinq psychanalyses de Freud) ! Nous sommes de nouveau dans le multiple, et dans les concepts réducteurs. Mais ils permettent de travailler, d’observer, d’abstraire, de connecter avec les pathologies notamment. Voici quelques exemples :
                  -    le un, l’unité, soi : le patient arrive-t-il à être là, pleinement là, juste là ?
                  -    le deux, la polarité maîtrise- jouissance : en rebirth, le patient entre-t-il en tétanie par excès de maîtrise ? Ou peut-il s’engager jusqu’à l’intime du lien grâce à sa flexibilité fonctionnelle?
                  -    le trois : groupe, couple, solo : dans quel cadre de vie le patient excelle-t-il, échoue-t-il?
                  -    le six, les étapes de l’ontogenèse : dans quelle étape de vie s’inscrit l’origine de sa pathologie ?
                  -    le dix-huit, les fonctions différenciées : dans quelle fonction s’inscrit prioritairement la pathologie du patient ou son excellence ?
                   
                              Pour mes élèves, les deux critères les plus prisés du théorème auront été le trois (les trois cadres de vie, normalement séparés et connectés) et le six (le six étapes du développement, en particulier les trois dernières étapes, de l’adulte, qui sont rarement envisagées dans les théories psychothérapiques).
                              Quatre de ces paramètres se laissent agencer en un schéma (auquel manque la polarité maîtrise-jouissance).
                   

                  schéma 33

                  Schéma 33 : Les étapes du développement ontogénétique

                  Précisons encore le sens du dix-huit de la différenciation des fonctions particulières : nous avons retenu les 18 fonctions les plus importantes parmi les trois douzaines de “modes” qui constituent l’être humain : chacune de ces fonctions se différencie en se développant, (en hyper- hypo- ou dys- fonctionnement) à un moment relativement précis de la vie et présente alors une “période de sensibilité” particulière qui en fait le lieu d’impact privilégié des événements de vie marquants (paroxystiques, traumatiques ou pléniers). Ainsi, le divorce traumatisant des parents a beaucoup de chance de provoquer :
                  -     des troubles de la propreté chez l’enfant de 2 ans,
                  -     une dyslexie chez l’enfant de 6 ans,
                  -     une dyscalculie chez l’enfant de 9 ans,
                  -     des troubles sexuels chez l’adolescent de 14 ans, par exemple.
                   
                              Avec ces modèles intermédiaires, nous sommes toujours encore dans le multiple, à la recherche d’agencements astucieux : topographique, mythologique, en théorème. Ils permettent de travailler. Ils nous ont redonné des repères suffisants pour soigner, former des thérapeutes /analystes, écrire et nous produire. Mais ils ne constituent pas encore l’intégration théorique. La distance entre la clinique et sa compréhension restait trop grande. Et la complication prenait le pas sur la complexité.
                   
                  Enseignement : L’utilisation d’illustrations schématiques est fréquente en psychothérapie. Freud avait dessiné les première et deuxième topiques. Ça reste, ici, des illustrations qui n’ajoutent que la visualisation. D’autres auteurs recourent aux modèles mathématiques, géométriques, topologiques comme Lacan. Là, le modèle possède aussi une dynamique propre qui vient enrichir le concept humaniste. C’est ce que j’ai fait moi-même avec le modèle topographique appelé structuro-fonctionnel. C’est le modèle lui-même qui m’a suggéré de nouveaux développements comme je le décris dans les textes correspondants (Meyer 1995 et 1998). Ce modèle est basique, méta-, puisqu’il représente le setting même de toute thérapie, quelle qu’elle soit, et même la situation de l’humain dans son contexte tout universellement. C’est pourquoi ce modèle est pertinent pour tous les domaines humains comme le montre sa correspondance avec la structure du mythe (dogon d’abord, universel ensuite). 
                  N’oublions pas que tout le courant systémique se nourrit des analogies avec l’ordinateur et ses première et deuxième cybernétiques, mais pour s’en libérer de nouveau avec le constructionisme et la narration. On a beaucoup critiqué ce recours aux sciences dures, confer la facétie de Sokal ! Il faut évidemment reconnaître clairement les limites de ces analogies et les référer incessamment aux réalités cliniques. Voilà l’aspect le plus « dur » de ces références transdisciplinaires. Il y a également transversalité avec les humanistes, comme avec l’ethnologie, mais aussi avec l’éthologie (Harvey, Cyrulnik) l’anthropologie (Freud), la philosophie (Janet, Reich et Bergson), la pensée orientale, sans parler de la psychologie expérimentale (pour le cognitivisme et le comportementalisme) et des neurosciences (comme nous le ferons avec Edelman, ci-après). Le recours à toutes ces sciences annexes n’apporte pas la réponse mais oblige à prendre du recul et à introduire une rigueur méthodologique et logique dans notre domaine si « mou ».
                   
                   
                • La véritable intégration théorique Le paradigme holanthropique

                • Après le doute systématique et le renoncement aux théories venues d’ailleurs, après le recul anthropologique, après une complication gênante à force de complétude, s’impose un nouveau cahier de charges :
                  -    rendre justice à la pratique pluriglobale,
                  -    rester au plus près de la thérapie/analyse, de ses techniques, méthodes, procédés et cadres,
                  -    simplifier l’ensemble, comme l’est le vécu du moment présent,
                  -    devenir un lieu d’accueil pour (presque) toutes les théories existantes (et à venir),
                  -    s’ouvrir à la vérification scientifique que constitue la falsification.
                  Les réponses partielles sont venues l’une après l’autre, puis la réponse globale, sous la forme du « paradigme holanthropique ». Holanthropique, nous le sommes assurément. Paradigmatique, au sens de Thomas Kuhn, l’avenir nous le dira !
                   
                   
                  • Les purs processus inconscients

                  • La première réponse est celle qui concerne l’inconscient. Je me rappelle avoir fait une conférence aux psychologues de Nancy, il y a plus de vingt ans, et m’être fait    interpeller : «Vous n’avez pas prononcé une seule fois le mot inconscient ». C’était vrai. J’étais très gêné quant à ce concept fondamental pour l’analyse, sans en nier la réalité évidemment. Eh bien, la réponse est venue, de là où on ne l’attendait pas, des pratiques centrées sur les états de conscience comme le rebirth et la Présence Juste. Quant au finish, il s’est fait avec l’EMI, la dite Expérience de Mort Imminente. Le nouveau concept de «pur processus inconscient »  n’englobe pas seulement les deux inconscients déclarés, ceux de Freud et de Jung, mais élargit leur réalité aux vécus et acquis de nombre d’autres pratiques.
                                Les purs processus («purs»  de structure) ne sont pas seulement les ressources fondamentales que nous allons chercher dans les cures longues, mais aussi les limites qui balisent la thérapie courte et même la cure moyenne. Cet acquis achève de fonder les deux somatanalyses en freudisme et jungisme en attendant d’initier une « psychanalyse plénière ».
                     
                    Enseignement : Autant nous avons énuméré longuement les méthodes de thérapie courte (somatothérapies) et leurs procédés (des-amalgamage, re-connexion, dé-blocage). Autant il faut fonder les cures longues, analytiques, en leur cœur même, en leurs processus inconscients. Mais fallait-il pour autant tourner plus de vingt ans autour de « l’inconscient »  parce qu’il a été transformé en une entité, en un substantif (et mis à toutes les sauces) ? Fallait-il sacrifier une carrière universitaire (chez Kammerer) et une conférence (à Nancy) pour la même raison ? Ça s’est fait, tout simplement. Ça a résisté, ça s’est imposé, pour déboucher sur quelque chose de plus juste et de plus fondamental comme nous le verrons plus loin. C’est le prix à payer pour passer au niveau méta-.
                     
                     
                    • Le modèle ontologique

                    • Ce premier acquis a permis de constituer le modèle ontologique auquel je travaillais depuis longtemps. Il transforme l’énumération qui préside au théorème de l’humain en un ensemble simple parfaitement coordonné et interconnecté dont les applications pratiques sont multiples et au plus près de la thérapie, éclairant :
                      -    les lieux d’impact des trois durées de la cure : courte, focale et analytique,
                      -    les étapes du cheminement vers les purs processus, l’évolution du transfert et le déroulement de la dynamique de groupe,
                      -    l’ontogenèse,
                      -    le principe complexification/plénarité, notamment.
                       
                       
                      Enseignement : Il est à la page 266, ce fameux schéma. Il devrait parler de lui-même, même sans légende. Il a une certaine esthétique à être symétrique (un quadrilatère avec quatre ensembles comprenant chacun trois sous-ensembles…) et dynamique (par l’extérieur et l’intérieur). L’esthétique est un critère de scientificité parce que la vie fait des choses simples et belles, belles par leur simplicité, tout en hébergeant la complexité. Il est fécond, comme la vie, autopoïétique. Il recèle tous les points évoqués ci-dessus et d’autres à venir. Il est donc méta, à un autre niveau ; il n’entre pas en concurrence avec d’autres théories mais les invite, au contraire, à s’y situer. Simple, esthétique, fécond, accueillant… il peut se prêter à l’intégration théorique.
                       
                      • Le processus thérapeutique de base : plénier

                      • La pluralité des pratiques et la complexité théorique doivent nécessairement déboucher quelque part où il y a l’un, l’unité, l’unification. Et cette base commune ne peut être que le processus thérapeutique/analytique. Nous l’avons appelé « expérience plénière », et sa répétition débouche sur la « pleine présence ».  Il s’agit d’un vécu immédiat et complexe. Il n’y aura ni argumentation ni preuve, mais seulement phénoménologie et recherche de concordances :
                        -    auprès de Csikszentmihalyi, Stern, Veldman, qui ont des concepts analogues,
                        -    auprès d’Edelman, neuroscientifique, et de sa théorie générale du cerveau,
                        -    dans l’expérience fondatrice des psychothérapeutes en formation,
                        -    à travers l’inscription des méthodes particulières que nous avons évoquées tout du long de ce texte.
                                    La reconnaissance de ce moment plénier comme moment thérapeutique s’est faite par observation et expérience. Elle s’est imposée. Puis il aura fallu trouver des concordances. Nous en citerons ci-après. Mais cela ne prouve rien en soi. Nous ne courrons pas plus après les arguments définitifs… Et pourtant, méthodologiquement et scientifiquement, il faut un tel processus fondamental et commun. La définition même de la psychothérapie le postule et le revendique. Il y a de l’un dans ce moment de re-vitalisation comme dans la vie elle-même. Il est commun, méta-, présent dans toutes les méthodes, toutes les théories, dans chaque cure. La science psychothérapique le veut. La méthodologie intégrative y amène.
                                    L’ensemble de ces quatre thèmes fondamentaux (l’ontogenèse, l’inconscient, l’ontologie, le processus thérapeutique) est nécessaire mais aussi suffisant pour constituer un véritable paradigme. En effet, il cumule :
                        -    les références de base de l’être,
                        -    les particularités de “la” et des psychothérapies,
                        -    l’unicité de la clinique.
                                    Il ne reste qu’à s’engager avec curiosité et courage dans cette démonstration qui nous proposera trois chapitres avec les thèmes annoncés :
                        -     l’ontogenèse avec ses six étapes de vie,
                        -     l’ontologie avec insistance sur les purs processus inconscients,
                        -     l’ontothérapie avec l’expérience plénière comme processus thérapeutique.
                         

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